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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 32 Tout peut être utile... un jour

Mise en ligne : 28 octobre 2006

Texte de l'article :

Tout peut être utile... un jour

1019 Jours de détention... en Centre de détention
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie 
 
 La « récup » :

Voici un mot qui fait vraiment partie du vocabulaire (ou plutôt, du fait) carcéral.

Tout se récupère...

Je vais essayer de t’expliquer pourquoi et l’usage qui en est fait.
Pourquoi ? C’est bien simple, un certain nombre de choses ne sont pas « cantinables ».
Nous n’avons donc pas la possibilité de les acheter, ou, les acheter « coûterait cher » et « le nombre à acheter », hors de proportion avec le besoin.
Ainsi, on (je) récupère tout. Dire « on », mot général, n’est pas d’actualité, car beaucoup préfèrent quémander, coup par coup, à un de leur co-détenu...
. trombone : c’est bien pratique,
. élastique (de toutes tailles) : cela peut servir et cela sert. Ainsi, pour fermer la porte de mon placard, j’ai mis un élastique, car l’aimant (d’origine) n’existe plus. Si je n’avais pas mis cet élastique, la porte resterait ouverte en permanence, donc, poussière, esthétique, etc...
. ficelle : ça peut aussi servir. En théorie, c’est interdit... mais en cantine, on te vend des lacets de 1,60 m... aussi l’interdiction de la ficelle (objet pouvant servir à se suicider) ne me semble pas tout à fait réaliste...
Bref, pour moi avec la jonction : ficelle + élastique + crochets (vendus en cantine), j’ai réussi à faire une espèce de ressort (groom) pour que la porte de ma cellule reste fermée-ouverte, lorsqu’il y a peu de vent... Par grand vent, c’est inefficace. Mais en temps ordinaire, cela fait une barrière quasi naturelle.
Ainsi, la porte ne reste pas ouverte, en permanence, mais elle n’est pas fermée (verrou ouvert) et celui qui veut venir et en a une raison, peut le faire, peut entrer, mais cela évite, quand même, et c’en est un des buts, les curieux et les sans-gênes...
. agrafes : il n’est pas possible d’acquérir une agrafeuse, ou pour le moins, personne n’en a. Un détenu m’a donné l’astuce de récupérer l’agrafe qui est mise pour fermer l’enveloppe de votre courrier (après son ouverture pour contrôle). Avec une aiguille (cantinable), il est très facile de faire des pré-trous et donc de « remettre » une agrafe déjà utilisée...
Là, il me faut faire une parenthèse. Il est dans les traditions, coutumes carcérales que celui qui est libéré, « distribue » à ses anciens co-détenus « amis »... ce dont il n’a pas (plus) besoin, et en particulier ce qu’il a acquis en prison. Et s’il est vrai qu’en général, le linge personnel est ramené « dehors », « le reste » (ou ce qui peut rappeler de mauvais souvenirs) reste en prison, à l’exception, peut-être, des objets d’une certaine valeur, comme un poste de radio... et encore, cela se négocie et se revend (échange).
Pour ma part, j’ai, plusieurs fois, bénéficié de ces « largesses ». Ainsi, j’ai : aiguilles, fil blanc, scotch, colle, crochets, cintres, cuvettes, vaisselle (en plus), cruche pour chauffage de l’eau (avec toto), claquettes pour douche, couverture et linge de maison (en surplus), bloc de papier à lettres, enveloppes, bic, timbres (de la part de ceux qui ont bénéficié de mes écritures), rallonge électrique, multiprise, toto, etc... que je n’ai jamais « acquis », mais que l’on m’a donné.
. les échanges : il est fréquent que l’on te propose un échange : timbre contre..., tabac contre..., unités téléphoniques contre...

Mais si l’échange n’est pas fait sur le champ, s’il ne s’agit que d’une promesse : « je te le rendrais »... il vaut mieux ne pas trop compter dessus... car le retour arrive si rarement que j’aurais tendance à dire « jamais »... ce qui t’oblige à dire des « mensonges pieux » du style : « j’ai pas »... « je n’ai que ce que j’ai besoin pour moi »...
. ce qui se donne fréquemment (et sans retour), ce sont les produits d’hygiène qui nous sont fournis, et dont l’usage n’est pas nécessaire (surnombre) ou demandé afin de rendre service à d’autres.
. les boîtes (flacons) de toutes sortes : moi, je les garde toutes, et souvent, elles sont bien utiles, pour moi, et pour d’autres, ainsi :
. les boîtes de Ricoré (grand modèle) sont idéales pour surélever le frigo et permettre un peu de rangement en dessous (camouflage = réserve de conserves).
. les barquettes (lavées et gardées - celles qui servent à nous apporter nos repas), et divers emballages : souvent, je les décore.
Ainsi avec des emballages du style tube de dentifrice, je me suis fait un présentoir pour brosse à dents, dentifrice, rasoir, etc... assez esthétique et pour le moins pratique et hygiénique... Je les utilise pour conditionner un certain nombre de petits objets : exemple : médicaments de la semaine, élastique, trombone, etc...).
. un certain nombre de flacons : ainsi, à Metz, il était possible de « cantiner » de grands flacons de Maxwell, qualité filtre de 200 g. Je m’en sers comme décoration (après y avoir collé une carte postale (reçue) et comme lieu de stockage, à l’abri de la chaleur et de l’humidité, de bonbons, petits gâteaux secs, sucre, etc... J’en ai un certain nombre (et j’en ai donné pas mal), c’est bien pratique et permet une meilleure conservation.
. bouteilles vides d’eau minérale. Encore une parenthèse : à mon arrivée, à Saint Mihiel, le hasard a fait que j’ai pu bénéficié d’un second matelas. Certes, il ne m’était nullement nécessaire pour « bien » dormir, mais, il avait l’avantage de surélever l’autre matelas et permettait de s’asseoir sur le lit, sans « sentir » la barre de pourtour (rambarde basse) du lit. Lors d’une fouille générale, destinée à « récupérer » tous ces objets « utiles », mais en double et qui, à force, devaient manquer ailleurs, il m’a donc été repris.
Un détenu m’a donné l’idée de remplacer ce matelas par des bouteilles d’eau, type Contrex, bien remplies. Il en faut 50... ce qui a été un peu long au départ (7 par semaine), mais une fois fait, c’est parfait et remplace le matelas sans inconvénient majeur. Depuis, ma consommation d’eau m’a permis d’équiper, déjà, deux autres détenus...
. récup d’atelier. Ce n’est pas une révélation que d’affirmer que de l’atelier arrive dans les unités un certain nombre de produits utilitaires (ou alimentaire, ou de luxe), échantillons conditionnés par les travailleurs.
Et s’il est vrai qu’en fin de chaîne (série), le retour en cellule du surplus est autorisé... ce retour ne se limite pas à ce surplus... et donc, circulent des pochettes de shampoing, après-rasage, parfum, bricoles de toutes sortes, gâteaux, même des choses qui nous sont, tout à fait, inutiles ( !), etc... et aussi des produits servant au conditionnement.
Ainsi, à Metz, j’avais « récupéré » : scotch double face, colle type UHU ou express, rouleau de scotch brun pour fermer les colis, clous ou crochets en L, etc...

Je dois avouer qu’à mon arrivée, ici, un sérieux tri a été fait et je n’ai pas tout « récupéré »...
Encore aujourd’hui, il m’arrive de chercher quelque chose que j’étais sûr d’avoir, cela a été retenu et pourtant, j’avais pris la précaution de ne pas « transférer » le plus « interdit - non toléré »...
. papier déjà imprimé sur une face : la collecte est, pour moi, systématique, en effet, j’en utilise (pour l’impression en brouillon) beaucoup (autant que nécessaire) pour la (les) relecture(s) des textes et courriers faits pour moi-même, le journal ou un détenu. En effet, le papier « blanc » (ramette) est distribué au compte-goutte et donc, nous le réservons, au « tirage définitif ». Ainsi, à la surprise de beaucoup, je récupère aussi, souvent, les feuilles qui servent à nous indiquer le menu (composition) de notre repas (1/2 A4), dont le dos est vierge... je m’en sers comme brouillon et j’en fais un large usage pour toutes... mes petites notes, pense-bêtes, etc...
. il y a, aussi, quelques récups moins avouables (qui ne sont pas dans mes habitudes), telle que prendre le balai de l’unité et le réserver à son usage personnel, parfois, le démonter pour s’en servir comme d’une « antenne » pour son poste de radio, avec comme élément métallique, un cintre (fil de fer) et/ou un fil électrique...
. en théorie, et c’est le cas à Metz, il était « interdit » de garder (récupérer) des emballages (cartons) pouvant être utiles pour stocker, comme je le fais, du linge non utilisé en cette saison, une réserve de « vivres » et/ou de produits d’entretien... et/ou des bouquins à lire ou lus... bref, faire en sorte qu’il soit plus facile de ranger le bazar individuel. Il est vrai qu’en cellule, à 2 dans 9 m², c’est plus hard que seul, où même si tu as ton petit bazar... il ne gène personne.
. il est sûr qu’être un peu débrouillard a du bon, et savoir se faire aider n’est pas inutile, en détention.
. je dois te dire que je suis rentré dans des cellules où, outre l’odeur « douteuse », l’ordre et la propreté n’étaient pas au rendez-vous.
. à cet égard, ma politique, mon attitude sont claires : « je ne vais pas chez les autres », car, a priori, je n’ai pas besoin d’eux et c’est eux qui viennent chez moi, et seulement si c’est nécessaire... et mon souhait... autrement, il y a les couloirs... pour discuter.

Pour être à l’aise en détention, il est souvent utile d’être débrouillard. Je t’en donne deux exemples.
Je m’étais fabriqué un système de chauffage (vapeur) avec des bouteilles d’eau vides et le chauffage d’eau avec deux totos. Certes j’étais un peu victime de buée et donc d’humidité latente, mais avec un peu d’aération en hauteur, c’était tout à fait appréciable et mes rares visiteurs (auxi lors des repas et surveillants) en constataient l’efficacité, moi aussi...
En effet, comme je te l’ai déjà dit, à Metz, nous n’avions que le chauffage par le sol et celui-ci était quelque peu (beaucoup) déficient ou insuffisant.
Toujours à Metz, pour l’été, ma cellule étant en plein sud, je m’étais fabriqué un pare-soleil avec des capsules de pots de yaourt que j’avais collés sur du carton et que j’installais pendant les après-midis. C’était aussi très efficace, pour me protéger de la chaleur torride (pas de courant d’air possible).

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