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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 30 Tradition oblige...

Mise en ligne : 25 octobre 2006

Texte de l'article :

Tradition oblige...

1019 Jours de détention... en Centre de détention
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie 
 
Fenêtres = poubelle...

En prison, il y a des traditions, des habitudes qu’il est difficile de faire disparaître et même, ici, où il nous est distribué, chaque mois, sur demande, 30 sacs-poubelles, pour certains, la fenêtre semble être le chemin normal de leurs détritus.
Voyons, d’abord, la situation de Metz. Mais d’emblée, je peux t’affirmer que « partout » où cela est « possible » (du possible, nous reparlerons), cette tradition demeure...
Donc, à Metz, tout passe par les fenêtres... et sert à nourrir une colonie de rats. Cette pratique est fort peu « réprimée »... mais elle coûte, outre l’emploi de deux auxi, la coquette somme, selon une source bien informée, de près d’un million d’euros, chaque année, en dératisation périodique.
A décharge pour le détenu, en cellule, nous n’avions pas de poubelle et encore moins de sacs-poubelles...
Cependant, il était dans les attributions des auxi d’étage (et ils le faisaient) de collecter les déchets à l’issue de chaque repas. Il s’agissait de récupérer tous les plats-assiettes à alvéole (inox), puis les barquettes plastiques vides et les déchets.
Malgré une note de service à l’intention des détenus et du personnel pénitentiaire, cette « obligation » n’a été respectée que quelques jours, voire semaines pour les plus zélés... Il était pourtant simple : deux détenus, à la distribution = 2 plats-assiettes + x barquettes ; à l’issue du repas, le ramassage devait être : 2 plats-assiettes + x barquettes et les déchets.
Ce serait trop simple...

Les surveillants ne se sentaient pas chargés d’une telle mission - vérification, les auxi n’étaient pas là pour sanctionner leurs co-détenus...
Nous avons appris que l’administration avait l’intention de doubler les fenêtres de grilles (losange de 2 cm) qui empêcheraient l’envoi de déchets (et pain) et l’usage des yoyos. Le yoyo est un cordage (lamelle de drap !) qui sert à communiquer, à envoyer quelque chose, par la fenêtre, d’une cellule à l’autre, et malgré le décalage des fenêtres, cette pratique est courante bien que réprimable ...
Une telle installation de grilles devant faire l’objet d’une autorisation municipale puisqu’elle touche à l’aspect extérieur des bâtiments, le maire de Metz s’y serait opposé, en disant que « les détenus n’étaient pas des animaux ». Merci à lui.
Cela n’a pas empêché la pose d’un certain nombre de grilles, dont j’ai vu l’installation. En effet, le stationnement et le chargement des fourgons cellulaires, arrivant ou partant, étaient bien visibles et lorsqu’ils ont lieu, chaque jour, plusieurs fois par jour, chaque fois ou presque, ils étaient accompagnés de cris d’hostilité et l’envoi de projectiles de toutes sortes (yaourt, boîte métallique (vide ou pleine), etc... tout était bon. Pour les protéger, une grille avait déjà été posée entre le bâtiment et le lieu d’embarquement, mais elle était d’une efficacité relative, car du 5ème étage, avec un bon tir, le projectile pouvait passer au dessus de la grille et aboutir...
Or, un week-end, un débile, mais il y en a, hélas, plusieurs, a trouvé le moyen de mettre le feu aux poubelles (contenairs) qui étaient stockées sous nos fenêtres. Les pompiers ont dû intervenir... et ils ont fait l’objet d’un « canardage » de projectiles de toutes sortes...

Résultat... ils ont porté plainte (à juste titre)... apprenant cela, les gendarmes et les policiers et les syndicats de surveillants ont aussi porté plainte..., et, ce qui devait arriver, arriva, par mesure de sécurité, un certain nombre de cellules ont été équipées, sur les 5 étages, de grilles (en losange de 2 cm).
Et la mise en place a été vite faite, avec une nacelle extérieure, niveau par niveau, en 5 jours... Les grilles étaient pré-prêtes, il ne restait qu’à les fixer par des boulons extérieurs. Et pour une fois, l’administration a été « diplomate »... Il est sûr que cela a provoqué une certaine révolution (agitation)... et ceux qui n’étaient pas satisfaits, ont été déplacés dans une autre partie du bâtiment et, en plus, ils (l’administration) ont fait d’une pierre, deux coups, car beaucoup de ces cellules n’étaient occupées que par un seul détenu (en effet, il s’agit de ce que l’on appelle « le petit quartier », donc, à priori, plus calme, plus protégé) et on les a mis en cellule de 2. Pour eux, difficile de refuser... ils étaient demandeurs... outre la vue et la cellule très obscurcies, plus de yoyos (et trafics) possibles...
Et de « nouveaux » arrivants ont été mis dans ces cellules, rendues libres (et doubles), les nouveaux ne connaissant pas l’ancien système, ils ne pouvaient que s’y adapter et l’accepter...
Pour revenir à l’extérieur, donc, tout passait par les fenêtres : plats alvéolés (inox), barquettes plastiques, pain, boîte vide, bouteille vide, toute sorte d’emballages, déchets, vraiment tout ce qui aurait dû se trouver dans une poubelle. Cela occupait, chaque jour, au moins deux auxi (donc rémunérés) à qui on avait fourni des « casques »... Même s’ils n’étaient pas des cibles (n’exagérons pas), le risque de recevoir quelque chose de blessant n’était pas à exclure.

Donc, tous ces détritus, en majeure partie d’origine alimentaire, étaient comestibles pour nos amis les bêtes... qui étaient de deux sortes.
D’une part, des corbeaux (des corneilles, paraît-il), de taille imposante (de vrais poulets), sur une face du bâtiment, de l’autre, des pigeons (même gabarit). Bizarrement (ou naturellement), chaque groupe avait son territoire.
Outre ces volatiles, certes gênants, mais aussi distrayants... (il était fréquent de les voir se bagarrer pour « se » nourrir), il y avait (a) aussi, surtout, une colonie très importante de rats de taille majestueuse (de vrais chats) et périodiquement, une nouvelle nichée arrivait...
On m’a rapporté que, parfois, « ils » (les rats) rentraient dans les bâtiments : en sous-sol, sûrement, au RDC, absolument pas. J’en ai pris la confirmation auprès de détenus, ayant séjourné, longtemps, au RDC.
D’ailleurs, dans la journée, nous ne les voyions pas, ils sortaient à la tombée de la nuit et circulaient (se battaient) toute la nuit. Certes, cela fait un spectacle, mais un spectacle désolant. Outre le risque d’infections, de maladies, le côté « occupation des lieux » est un peu gênant...
Qu’y faire ? Faire la chasse aux pollueurs... et sévir... Je ne vois pas d’autre solution...

A Saint-Mihiel, comme tu le sais, nous avons « poubelle et sacs poubelle ». De plus, les humeurs étant plus calmes, il y a moins de choses qui passent par les fenêtres, mais il y en a quand même.
Ce qui est incompréhensible, c’est le laxisme de l’administration, les auteurs de ces envois seraient facilement identifiables.

Ici, les fenêtres sont alignées (4 niveaux) et bien séparées, l’une de l’autre, ce qui fait que les détritus se trouvent « toujours » en dessous d’une même rangée de fenêtres... et il serait facile de faire une vérification « de visu », avec très peu d’attente par un surveillant, à l’heure des repas.
Mais, ce n’est pas fait, et il y a donc deux « ramasseurs »... A priori, s’il y a bien quelques corneilles, à ma connaissance, il n’y a pas de rats... une fois, j’ai vu une petite souris... !

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