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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 26 Gens du "dedans"... gens du "dehors"

Mise en ligne : 21 octobre 2006

Texte de l'article :

Gens du "dedans"... gens du "dehors"

1019 Jours de détention... en Centre de détention
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie

Gens du dehors - gens du dedans

L’expression « gens du dehors » n’est pas de moi, mais de notre aumônier catholique (rappel : qui est un laïc) qui appelle ainsi ceux qui ne sont pas en prison.
Je vais essayer de t’expliquer, vu de l’intérieur, le regard de ceux qui sont « dehors » sur ceux qui sont « dedans », et vice-versa.
Commençons par l’avis, l’opinion que se font les gens de dehors, sur les détenus.
Mes affirmations sont, en fait, la synthèse de ce que je pense moi-même, de ce que l’on m’en a dit (les formateurs et intervenants extérieurs), de ce qu’en rapportent certains médias, et surtout, notre aumônier.
L’adage « s’ils sont en prison, c’est qu’ils l’ont mérité » existe toujours, mais il perd un peu de sa force. La presse est là pour nous rappeler le nombre « conséquent » de détenus innocents...
L’adage « Ils ont tout le confort » perd aussi de sa force et la TV se fait, assez souvent, l’écho de scandale pour que chacun soit informé de cas « inhumains ». Il y en a cependant qui considèrent que nous ne devrions pas avoir la TV, pas d’eau chaude, pas de cantines (achats payants), que nous ne devrions pas avoir la possibilité d’être « seul » en cellule (« cela supprimerait les suicides » - ce qui est faux, il n’est pas rare que ce soit un co-détenu qui découvre le suicide de son compagnon de cellule), que nous devrions avoir un travail obligatoire non rémunéré, que nous avons une trop belle vie. Je ne m’attarderai pas sur ces cas extrêmes qui ne sont plus d’actualité pour la majorité de nos concitoyens, mais ils existent... et à l’occasion, je t’ai déjà parlé de ce qui est plus pénible que ces soi-disantes privations... « l’isolement ».

Revenons à notre propos : Cette année, j’ai eu l’avantage (en est-ce un) de rencontrer et de discuter avec des formateurs (stage dit de réinsertion) qui venaient pour la première fois... en prison. Seuls deux formateurs sur six, connaissaient déjà les lieux pour y avoir enseigné les années précédentes.
Au départ, ceux-ci sont arrivés, pleins de bonne volonté, certes, il s’agit de volontariat, et tous ont eu besoin de temps pour s’adapter aux conditions d’accès des lieux : entrée, contrôle, visite des sacs, portique détecteur de métaux, etc... et cela, malgré, bien sûr, une enquête de personnalité préalable et la distribution de consignes (cahier des charges).
A chaque entrée, le même cérémonial : permis de rentrer, remise d’alarme, clefs, etc...
Même s’ils sont arrivés sans a priori, ou, pour le moins, avec l’idée qu’un détenu était un être comme tout le monde, tous ont très vite compris ce qu’était une prison.
Ils ont été surpris des conditions et pressions psychologiques que nous subissons 24h/24 et de l’influence du milieu sur les conditions matérielles et nos capacités intellectuelles, sur notre comportement, nous y reviendrons à travers divers exemples.
Après deux ou trois mois d’adaptation, cela leur est devenu plus familier et acceptable.
Nos formateurs étaient, quelque peu, pour la majorité, « préparés » à nous, travaillant déjà dans le cadre de la formation continue, donc avec un public qui a été, à un moment ou à un autre, exclu du système scolaire traditionnel (souvent depuis fort longtemps...). En ce qui concerne le niveau scolaire, leur surprise n’a donc pas été grande et la nécessité de répéter ne les a pas surpris, la nécessité d’écrire au tableau, non plus.

Ce qui les a « choqués » le plus, ce sont les états très variables d’humeur, d’un jour à l’autre, d’une minute à l’autre. Pour eux, il a fallu accepter le fait de ne pas être écouté, de voir le cours perturbé par des « coups de gueule » et/ou par des attitudes de révolte (parfois à la limite de la grossièreté) contre le système, et ce, parfois, sans aucun rapport avec ce qui est dit, en cours, à ce moment-là...
L’adaptation perpétuelle est nécessaire et je dois dire (et je leur ai dit, lors du bilan final) que je trouve leur disponibilité et leur faculté d’adaptation et à encaisser, dignes d’admiration...
Il est à noter que ces états d’humeur « changeant » sont, également, à supporter par les surveillants, mais ceux-ci disposent d’un outil, à leur service, « la répression »...
Il me faut vous parler d’une coutume. Par tradition (par obligation), il est coutume que s’il semble correct de saluer un surveillant (et il te répond, en général), on ne lui serre pas la main. Par contre, avec les gens qui viennent de l’extérieur, il est coutume que (eux et) nous leur serions la main... (entre détenus, aussi, mais je t’en ai déjà parlé), c’est en fait un signe de reconnaissance fort et de différenciation fort. Les surveillants serrent la main des intervenants extérieurs, ainsi qu’entre eux (et aussi à leurs supérieurs).
Ici, nous avons beaucoup d’intervenants extérieurs, puisque la gestion matérielle de la maison est assurée par des « privés » (hors administration pénitentiaire). En fait, pour moi, le seul moyen de les différencier est l’habit (pas d’uniforme bleu) et ce serrement de main. Il faut reconnaître que certains (intervenants privés) souhaitent garder cette distance et sont réticents à te serrer la main... mais cela reste des exceptions.

Fermons la parenthèse. Pour ma part, j’ai vu la construction de la Maison d’Arrêt de Metz (en 1978/79), je l’ai côtoyée, journellement, pendant plusieurs années, elle était sur ma route, mais j’avoue qu’elle me laissait indifférente et que je ne me suis jamais préoccupé du sort de ceux qui y séjournaient.
J’ai connu des gars qui y avaient fait un séjour, mais je ne les ai pas interrogés sur leur sort, et en fait, je savais fort peu de choses sur l’intérieur avant d’y être entré moi-même.
Je me souviens, cependant, que nous avions mis en place, un projet d’animation, à l’époque où j’étais dans une association, vers les années 1985/86, je me souviens que j’y étais entré, mais, en fait, je pense que je n’avais pas dû dépasser le stade de la salle polyvalente (chapelle, salle d’attente-détenus des parloirs, salle de spectacles, etc...), j’avais vaguement souvenir des grilles et des portes, mais pas de leur facteur stressant, j’explique cela, aujourd’hui, par le fait que nous étions en groupe et que l’attente nous a été épargnée, les portes s’ouvraient au fur et à mesure de notre arrivée...
Si je te dis cela, c’est un peu pour déculpabiliser tous ceux qui, en fait, se préoccupent fort peu des 64.000 détenus en France pour les 49.000 places...
Notre aumônier nous dit aussi, que la réaction des gens du dehors est parfois surprenante.
Dans toutes les prisons, il est possible que certaines personnes viennent, ponctuellement, participer aux offices religieux.
Rares sont ceux qui acceptent de faire le pas, ne serait-ce que 1 ou 2 fois par an, pour 2 ou 3 heures, bien encadrés, en contact avec des détenus, dirons-nous, respectueux et reconnaissants de leur présence.

Par contre, plus nombreux étaient ceux qui « tenaient » à aider financièrement et matériellement les détenus, par des dons, timbres, victuailles à Noël, vêtements, argent, etc...
Et à nos bienfaiteurs les plus généreux, il a été proposé de venir partager avec nous, notre temps de prière. C’est « non », ils ont « peur » de faire le pas... Une fois que celui-ci a été fait, l’attitude change. Comment expliquer cela ? Je ne sais, car ceux qui viennent, en témoignent, reviennent et ont l’air content de pouvoir échanger quelques mots avec nous, d’avoir fait cette démarche d’approche.
La prison, vue de l’extérieur, si elle ne laisse pas indifférent, rebute le commun des mortels, cela me semble une certitude.
Les parloirs sont un moment privilégié d’échange « dehors-dedans », et je te ferai un paragraphe « spécial », ci-dessous.
Je te dirai que notre jugement est assez positif sur les gens du dehors qui entrent dans le milieu carcéral.
Il est cependant, à noter que le jugement contre ceux qui ne se manifestent pas, pas plus en courrier qu’en visite, est souvent très sévère par le détenu.
Beaucoup ne comprennent pas la réticence, l’absence de recherche de communication. Il n’est pas rare d’entendre : « Il pourrait quand même m’écrire, m’envoyer un mandat, il est passé par là, il sait ce que c’est la prison, je ne comprends pas son silence, moi, je... » et s’en suit la menace (réelle ou non) de le rejeter, une fois qu’il sera « dehors »... Je suis persuadé que ce rejet se limite en ces mots, et qu’une fois, dehors, les liens se rétablisseront.
Il est vrai que lorsqu’il s’agit d’un « ancien détenu », on comprend mal ce sentiment de « rejet » et ce refus d’aider son ancien compagnon...
Ce sentiment d’incompréhension est très fort, et, il est souvent l’objet de conversation.
Il est très dur de se sentir mis à l’écart et personne ne le supporte.
Ce manque de communication avec des personnes avec qui on était relativement proche, est ressenti comme une condamnation supplémentaire. Le silence des membres de sa propre famille est particulièrement « déprimant ».
Il est bien évident que ce n’est pas toujours le cas, et souvent, même s’il n’y a pas de lien « palpable », on sait que nombreux, dehors, sont préoccupés par notre présent même s’ils n’arrivent pas à faire le pas... pour le moins, ils se renseignent sur notre sort et intérieurement « compatissent ».
Mais de l’intérieur, ce silence est souvent considéré comme une lâcheté...
Pour ma part, je sais que ce n’est pas parce qu’il ne se manifeste pas que l’autre est devenu indifférent et je crois que cette distance, est plus le fruit d’un certain malaise, d’une certaine pudeur, d’une crainte de blesser.
Il est sûr que chaque situation est différente, il n’y a pas de règle immuable, mais pour ma part, j’ai pris l’attitude suivante : je ne fais pas le premier pas, mais par contre, je ne laisse pas de courrier sans réponse.
A la réflexion, je me rends compte que, parfois, j’ai fait le premier pas, mais c’était dans des cas particuliers et parce que, même si je savais que je n’obtiendrais pas de réponse, je savais que mon destinataire serait « content » d’avoir de mes nouvelles.
Il est vrai que l’existence de ces murs de six mètres de haut, et l’impossibilité de communiquer facilement, font que nous ne vivons pas au rythme du dehors et avec le temps, nous nous en éloignons de plus en plus, et c’est aussi pour cette raison que je pense que bien souvent « la sortie » est plus difficile à réussir qu’on le croit.
C’est dans cette optique que j’ai fait le spécial « La sortie » (que je publierai dans un prochain article) qui reprend tout ce qu’un ancien détenu doit savoir pour réussir son « retour », volontairement je ne dis pas « sa réinsertion », car cela c’est autre chose...
Et si on croit les statistiques, en ce domaine, il apparaît que de nombreuses familles se déchirent, lors du retour de l’absent... qui a perdu sa place. On s’est passé de lui, et certains (lors de leur retour) ne comprennent pas que si leur famille a su se passer d’eux pendant un certain temps, ce n’est pas à eux à s’imposer... Et c’est alors que la rupture se crée, alors que pendant toute la détention, les relations ont été bonnes, ou pour le moins, acceptables et acceptées.
Comme tu le vois, rien n’est simple. Il est difficile, de part et d’autre, de bien faire, de savoir bien faire.
Cette réflexion t’apportera, peut-être, un éclairage « nouveau » sur ce que nous vivons psychologiquement parlant.
Les liens entre ceux du dehors et ceux du dedans sont durs à établir, à maintenir, à faire vivre avec sérénité et réalisme, mais, quoique l’on en pense, de part et d’autre, je pense qu’ils sont nécessaires et qu’ils doivent être favorisés pour permettre la survie des uns et permettre un retour dans de bonnes conditions.

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