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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 25 La vie en Centre de détention...

Mise en ligne : 20 octobre 2006

Texte de l'article :

La vie en Centre de détention...

1019 Jours de détention... en Centre de détention
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie
 
Journée - type en CD et un peu plus de détails :

Pour la cellule, je te donne quelques détails et différences, par rapport à Metz :
. en mieux : l’espace « toilettes » (plus petit, mais mieux agencé, avec un bon éclairage, une tablette (à Metz, il n’y en avait pas), une belle glace, un lavabo qui a la forme carrée d’un évier (ce qui facilite la vaisselle, avec une petite tablette pour poser (genre, mini égouttoir), un WC, une prise de courant.
Moi, j’y ai mis ma grande poubelle (au moins 60 l),
. en moins bien : le lit et l’armoire sont fixés au sol, donc pas d’initiative « privée ».
Moi, j’ai mis le frigo (sous la TV), à côté de la fenêtre (qui peut être ouverte à 100 %). Comme à Metz, les cellules, côte à côte, sont inversées, ce sont les sanitaires qui servent de pivot. Toutes les portes s’ouvrent dans le même sens (face à l’arrivée dans l’unité). Quand, je suis dans le coin « sanitaires », je peux voir la TV (à l’envers) dans la glace, en effet, en règle générale, je laisse la porte des sanitaires ouvertes, et je l’ai accrochée au lit, mais la nuit, elle doit être fermée, car autrement, son ouverture gêne la vision à partir de l’œilleton (et donc, la sécurité). Encore une précision, la table étant petite (57 x 63), je l’ai « libérée » au maximum et je me sers du dessus du frigo pour y déposer ma cruche qui me sert à chauffer l’eau du café et ma boîte à courrier... + Ricoré (l’ami du petit prisonnier) + bouteille d’eau, etc...

Journée - type en Centre de détention

Je m’étais dit que je pouvais aussi, te parler de ma semaine "type", en Centre de détention.
Avant que je sois "écrivain", mes journées étaient simples : ouverture de la porte à 7 h + lever pour la refermer de l’intérieur, je me recouchais jusqu’à 8 h 30 avec France 2, en fond sonore. 8 h 30 : lever + petit-déjeuner + toilette + un peu de rangement, nous arrivons à 9 h 30. A partir de là : TV ou écriture ou lecture jusqu’à 15 h 30 (avec interruption pour le repas de midi). 15 h 45 à 17 h : travail à l’infirmerie (nettoyage). 17 h à 18 h (activités : voir ci-dessous), 18 h 15 : douche + repas + fermeture de la cellule (vers 19 h) + TV couché + dodo...
Depuis quelques mois, j’ai donc "repris" l’activité d’écrivain que j’avais abandonnée, avec regret, en quittant Metz. Dès mon arrivée, il était prévu que ce "poste" me serait confié et ne voyant rien venir, j’ai pris contact avec le directeur de l’école d’ici qui m’a autorisé à venir en salle d’informatique et nous avons discuté de mon futur "emploi" et en particulier des conditions matérielles. D’emblée, il est apparu que, sans problème particulier, je pourrais utiliser un ordinateur pour la réalisation de courriers « importants ».
Donc, fin avril, le chef de détention me confirme que mon poste est créé et que je commence dès lundi et qu’ainsi, je quitte le poste d’auxi-infirmerie.
Mais, comme c’était encore les vacances scolaires et donc, de certains de mes "interlocuteurs" susceptibles de mettre en place, concrètement, mon "emploi", pendant encore 20 jours, j’ai été "écrivain officiel", non connu, puisque l’information et les définitions de l’emploi n’avaient pas été faites... ce qui ne m’a pas empêché de répondre aux demandes spontanées.

A ce jour, tout le monde étant là, il a été décidé :
. que j’assurerai une permanence (aux heures de bibliothèque),
. que, pour "ma sécurité", je n’irais pas dans les unités,
. que, si la situation (la confidentialité) l’exigeait, je pourrais utiliser une salle de l’école.
Voilà les bases actuelles qui pourront être revues, en fonction de l’évolution de la demande.
Donc, cela roule... et occupe mes journées qui se partagent entre un temps en bibliothèque et le reste, en salle informatique...
Comme autres activités, je vais 2 fois par semaine (en principe, les mardis et jeudis) en "Santé par le sport", en fait (pour moi) : 1 heure de vélo d’appartement, pour affiner ma ligne, le mercredi : 1h15 de "relaxation" (essentiellement des exercices respiratoires, des étirements et de maîtrise du corps (sentir chaque partie de notre corps, à la demande), cela détend... : voilà pour l’activité physique...
Je participe, également, à l’équipe de rédaction (six ou sept gars) du bulletin interne du CD (réunion hebdomadaire, chaque vendredi) qui s’appelle : "L’Escapade" : tout un programme... Il n’est pas mal fait, mais il passe à la "censure" et ne reflète que partiellement ce que nous voudrions qu’il soit : plus complet, plus pratique et plus intéressant pour nos co-détenus...
Toutes ces activités ont lieu de 17h à 18h15, afin que tous (y compris ceux qui travaillent) puissent y participer... Mais, en fait, les travailleurs ont quelques difficultés à y participer pleinement, car de 17h à l’heure du repas, c’est aussi, pour eux, le moment de la douche, du téléphone, de la préparation du repas (ou complément) et en tout cas, un moment où ils sont un peu libre...

Pour te préciser encore un peu la "bonne" ambiance qui règne dans notre "unité de vie", je te dirais (aux dires des surveillants) que nous sommes une unité "calme" dans laquelle ils aiment bien venir.
Ce qui implique que, comme on ne leur casse pas la tête, ils ne nous cassent pas les pieds par toutes sortes de tracasseries, même si celles-ci sont réglementaires...
Ils nous font donc confiance et on leur rend en n’en abusant pas... et en nous "gérant" nous-mêmes, en particulier, lors des repas qui, en général, subissent un certain rituel : retour en cellule, porte refermée, puis réouverture, 4 par 4, puis re-fermeture... Cela peut te sembler bizarre que nous considérions que le fait de ne pas « réintégrer » (rentrer en cellule) soit considéré comme une « faveur », alors que c’est la règle... et pourtant, le fait de nous laisser nous organiser dans la distribution des repas est ressenti par la totalité des membres de notre unité comme un signe de "reconnaissance" de notre "sérieux". Je pense que tu as saisi...

...

Il me semble que j’ai fait le tour de toutes les informations « pratiques » que je pouvais te faire partager,, afin que tu puisses me suivre tout au long de ces journées.
Comme il me reste encore quelques jours... mois ... à faire.
Et, pour poursuivre notre échange, je vais essayer de te faire part de quelques unes de mes pensées et impressions sur les conditions psychiques de ce que je vis, de ce que nous vivons... en détention.
...

« L’isolement » = 1ère punition... ?

A maintes reprises, j’ai eu l’occasion de te le dire déjà : c’est « l’isolement », « l’éloignement » de nos familles qui est notre première punition.
Pour certains, c’est d’ailleurs, la seule...
C’est, en fait, un sentiment général. La quasi totalité des détenus avec lesquels j’en ai discuté, souffre de cet isolement.
Ce sentiment d’isolement est d’autant plus « amplifié » qu’il est difficile, voire impossible, de trouver, en prison, un « confident » susceptible d’échanges « sincères » et « honnêtes » que tout être humain recherche... et dont il a besoin...
Pour les étrangers, l’isolement est inévitable, il y a les kms, et même ici, il est difficile d’avoir un contact téléphonique... les unités filent vite.
Pour les français ou résidents français qui ne sont pas de la région, le problème est presque identique. Les parloirs sont rares, les coups de téléphone, coûteux... et leur principale préoccupation est d’obtenir un transfert dans un Centre de détention, plus proche de chez eux.
Faisons une parenthèse : beaucoup arrivent ici, parce que le Centre de détention de Saint Mihiel leur est présenté comme un lieu où il y a de la place et du travail, où c’est bien, matériellement parlant, et pour quitter, rapidement, une Maison d’arrêt surpeuplée, voire insalubre, ils « demandent » (le mot est fort, ils « acceptent ») leur transfert pour Saint Mihiel, en prévoyant (on leur dit que ce sera possible) de demander un nouveau transfert vers un lieu plus proche de chez eux.
Pour ceux qui sont de la Lorraine, Saint Mihiel est un Centre de détention, « d’affectation normale »...

Mais, quand même, paumé et très loin de toute ville, avec des moyens difficiles de communication : minimum aller-retour - 2 heures de route, pour une heure de parloir (parfois 2), donc beaucoup de frais pour les familles, pas de transport en commun, ou si peu...
Si le secteur « habitation » est adapté, les parties « travail » et « ludique » et/ou « éducatif » sont tout à fait insuffisantes... ce qui provoque un sentiment « réel » d’ennui et de désoeuvrement pour beaucoup. Et tu le sais, ou tu t’en doutes, ici plus qu’ailleurs, le désoeuvrement est source de conflit et d’agressivité.
Rien n’est simple, je le sais, mais il est surprenant que, ici comme en beaucoup d’autres lieux, il y ait toujours quelque chose qui cloche... à croire qu’il n’est pas imaginable de faire quelque chose qui « fonctionne bien »... !!!
Pour sortir de cet isolement « affectif et familial », il y a, en théorie, plusieurs moyens dont les principaux sont les aménagements de peines (libération conditionnelle, semi-liberté, chantier extérieur) et les permissions de sortie.
Je ne te dirai pas que cela n’existe que sur le papier, parce que ce serait faux... Il y en a, ici et ailleurs, mais ici, peut-être plus difficilement qu’ailleurs, en raison des personnes qui en sont maîtres... Je ne t’en parlerai pas, cela ne changerait rien...

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