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(2006) Blog 21 " Beau comme une prison qui brûle... "

Mise en ligne : 28 octobre 2006

Dernière modification : 10 décembre 2006

Texte de l'article :

Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY


Beau comme une prison qui brûle...
Spéciale dédicace à Kiou

La première fois que je l’ai vu c’était dans les années 90 dans la petite cours des D.P.S. de la troisième division à Fresnes.
Nous étions quelques uns réunis dans ce trou à rats après moult transferts disciplinaires, bref que des gens de bonne compagnie...
On peut dire qu’il avait de l’allure le Monsieur, avec ses un mètre quatre vingt dix engoncés dans un veille anorak décoloré et un vieux jogging délavé. Ce qui frappait le plus c’était ses yeux de chinois au milieu d’un visage triangulaire, buriné, creusé, par trop d’années de placard... malgré cette allure peu ordinaire et décalé faisant penser à un aristocrate ruiné, il inspirait l’intelligence mais aussi le respect de ceux qui ont vécus plusieurs vies.
A mon entré dans la cours il m’avait tendu une grande main de pianiste, ayant plus servi à tenir un calibre qu’à faire du piano et il se présenta d’un mot claquant comme un coup de fouet.
- Kiou !
Un peu interloqué par ce surnom bizarre, je me présentais à mon tour.
- Laurent.
Voila je venais de faire connaissance avec ce drôle de personnage à l’allure un peu étrange au premier abord mais qui se révèlera être un véritable guerrier sans concession dans cet univers carcéral.
Aujourd’hui cet éternel insoumis est dehors après avoir tiré des années (plus de 25 ans !). Il vient d’être papa d’un petit garçon, façon pour lui, j’en suis sûr, de faire la nique à ceux qui croyaient l’enfermer pour toujours, je l’entends d’ici :
- Hé oui non seulement on sort, mais en plus on se reproduit ! Ha ha ha...
C’est donc en l’honneur de cet heureux événement que j’écris ce texte afin de célébrer cette naissance qui est un hymne à la vie et un espoir pour tous ceux que l’administration pénitentiaire a voulu éteindre au fond de ses p... de centrales tombeaux. Les années, les décennies de prisons sont autant de tentatives d’homicide social contre nous, mais si on lutte, si on résiste on finit toujours par s’en sortir car, et il ne faut jamais l’oublier, il y a une vie après la prison.
Résistance et espérance sont les seules antidotes contre la mort lente et la machine à broyer les hommes. Pour ne pas se laisser manger par le fonctionnement venimeux et mortifère des centrales il faut, quand cela est nécessaire, se lever et dire NON ! Bien sûr un mouvement de protestation peut parfois dégénérer, mais vaut mieux cela que la soumission et la résignation face aux trop longues peines et aux conditions de détention indignes.
Les mouvements et les émeutes font parties du monde carcéral, on ne peut pas y échapper, un jour ou l’autre cela vous tombe dessus et quand cela éclate on ne sait jamais comment ça va finir, c’est incontrôlable.
Après le récit de « San Muerte » voici donc celui de « Clairvaux land » un épisode épique de mes aventures carcérales où vous plongerez au cœur d’une mutinerie... Alors attachez vos ceintures.

"Emeute à Clairvaux land..."

Centrale de Clairvaux, mardi 18 février 2003.

Enfin nous y étions. Ce soir on bloque le bâtiment pour protester contre le placement de deux gars au mitard.
Kiou et moi avions obtenu ce que nous voulions après des mois de stratégies et de tentatives infructueuses. Si les choses se passaient comme prévu demain nous serions enfin dans un camion de transfert en partance pour un quelconque Q.I de la région parisienne. Depuis quelques temps ce qui nous importait le plus c’était de quitter cette maudite centrale de Clairvaux véritable mouroir où les longues peines sont enterrés vivantes.
Il nous aura fallu prés de six mois d’âpres manipulations pour arriver à ce résultat et pour qu’enfin se dessine un début de mouvement d’humeur que l’on espérait plus.
C’est tout naturellement que les quelques amis de ceux placés au mitard étaient venus nous trouver pour nous demander conseil afin de savoir ce que l’on pouvait faire comme action, évidement c’était presque en cœur que nous leur avions répondu qu’il fallait faire un blocage total du bâtiment pour exiger leur sortie immédiate du quartier.
On peut se demander pourquoi ils étaient venus nous consulter pour avoir notre avis, je pense tout simplement que c’était parce que depuis notre arrivée nous étions sur tous les fronts de contestations et de revendications et que l’on ne s’en cachait pas. En fait nous faisions tout pour nous faire remarquer afin d’être sur la liste du prochain transfert, pour cela nous appliquions depuis des semaines une méthode qui consistait à pourrir l’ambiance de la taule ceci afin que la direction prenne la décision de nous éjecter. Par conséquent tous les détenus savaient à qui s’adresser pour organiser ce genre de mouvement, ils savaient que nous répondrions présent.

En centrale le seul moyen d’obtenir un transfert rapide c’est de monter sur le toit ou de faire un mouvement collectif. Les transferts disciplinaires sont en quelques sortes des « express », des raccourcis permettant d’éviter les un à deux ans d’attente pour une demande de transfert classique. En tout cas cette opportunité de blocage je comptais bien la saisir car je n’avais pas du tout l’intention de faire plus d’un an dans cette centrale qui m’avait fait une si mauvaise impression dés le premier jour.

En effet je me souviens qu’en pénétrant dans l’une des cellules exiguës du bâtiment A où l’on m’avait affecté, j’avais ressenti une angoisse terrible qui m’avait mis mal à l’aise. Je m’était assis sur le lit et une seule pensée m’était venue à l’esprit : je ne veux pas rester ici !
Je n’avais même pas envie de défaire mon paquetage et de ranger mes affaires tellement je me sentais abattu et que ce sentiment de claustrophobie était fort en moi.
Il se dégageait vraiment de cette prison une mauvaise ambiance étouffante, angoissante, malfaisante, bref elle sentait la mort. Certain lieux diffusent des ondes négatives, de mauvaises vibrations, surtout là où il y a eut quelques drames ou morts violentes. Je ne pourrai pas vous expliquer d’où me vient cette sensibilité, mais il y a des lieux qui provoquent en moi un trouble et à chaque fois, je découvre qu’il s’agit d’endroits où se sont passé des événements tragiques.
Clairvaux a eut son lot de cadavres, entre suicides et tentatives d’évasions sanglantes on a l’embarras du choix. Ici les murs ont donc une histoire bien sombre et ceux qui comprennent leurs langages mémoriels savent combien de tragédies imprègnent la pierre. L’enfermement à long terme développe un sens qui permet d’entendre les murmures qui suintent parfois des parois. À force d’être intime avec les murs qui vous enferment ceux-ci finissent toujours par vous confier leurs plus horribles secrets.
Lorsque vous arrivez pour la première fois sur le domaine de « Clairvaux land » vous passez je ne sais combien de portes blindés qui se referment les unes après les autres au fur et à mesure de la progression intra muros et cela vous donne la sensation désagréable de pénétrer la roche aussi facilement que si on vous enfonçait dans des sables mouvants. Murs après murs, enceintes après enceintes on se perd au cœur de cet ancien monastère cistercien où règne encore un étrange silence religieux, malgré que Dieu lui-même semble avoir abandonné cet ex édifice sacré où durant des siècle des hommes pieux se sont usés en prières. En 1789 la révolution française est venue balayer tout ça, la république a confisqué les biens du clergé puis a transformé de nombreux monastères et abbayes en prisons dans tout le pays. Le crime a donc remplacé la piété, drôle de métamorphose qui laisse planer une atmosphère singulière dans tous ces établissements. Que reste-t-il de ces anciens vestiges religieux sinon la pénitence, la solitude, le désespoir, la folie, attributs laisser là en héritage pour un nouvel Enfer(-mement) conçu pour une nouvelle génération de moines maudits, ces hommes déchus que l’on nomme les « longue peines ».
Ici pas de rédemption ! Les années sont infinies, elles se portent comme des enclumes, comme des boulets trop lourds au milieu d’un océan où l’on se noie avant même d’atteindre l’autre rive...
Oui « Clairvaux land » c’est toute cette ambiance pesante qui provoque immédiatement un malaise lorsque, à peine descendue du fourgon cellulaire, on se retrouve face à la fameuse « villa Suchet ».
La « villa Suchet » c’est un petit quartier séparé de la détention abritant mitard, quartier d’isolement et cellules d’arrivant, il fut appelé comme cela parce qu’une famille de matons, la famille Suchet, se refilait la garde de ce quartier disciplinaire de générations en générations au point d’en devenir, en quelque sorte, leur résidence secondaire ...
Ici même les matons ont l’air d’être là depuis des siècles abandonnés à leur sort en total autarcie, on les croirait tous issue d’une seul et même famille consanguine tellement ils ont tous la même tronche et la même physionomie. Bref tout semblait être fait pour provoquer une répulsion, un rejet, une allergie à cette taule. Une chose était sûr à peine arrivé je savais que je ne pourrais pas m’adapter ou rester ici très longtemps.

En octobre 2002 soit un mois après mon arrivée, je vis débarqué avec soulagement Kiou, au moins en voilà un qui, à coup sûr, ressentirait la même allergie que moi vis à vis de ces lieux et qui ferait tout pour ne pas y rester. Je ne mettais pas trompé sur ses impressions et ses intentions, comme moi il n’avait pas très envie de rester bloqué dans cette prison ressemblant plus à un cimetière qu’à autre chose. C’est ainsi que débuta notre programme de déstabilisation et d’agitation de la détention.
Au début on a attaqué léger, c’est à dire éviter toute discussion, tout dialogue avec les matons, pas de merci, pas de bonjour, ni de bonsoir histoire de mettre la pression et la distance entre eux et nous. Cette indifférence volontairement hautaine avait pour but de nous faire détester le plus possible. Cette tâche n’était pas trop difficile puisque depuis toujours dans nos parcours carcéraux nous avions été élevé dans le culte de l’insoumission, de la défiance et de la désobéissance. Bref nous avions des aptitudes certaines pour l’incorrection vis à vis de l’institution pénitentiaire. Kiou à ce niveau était passé maître en la matière car il avait érigé le mépris du « bleu » en art de vivre, voir même en principe philosophique. Il savait, en quelques mots d’humours, ridiculiser un maton sans que celui-ci ne comprenne vraiment ce qui lui arrivait. En tout cas après avoir eu affaire à son humour et sa repartie acide, ils ne revenaient plus se frotter à lui. Bref il ne nous a pas fallut longtemps pour nous mettre à dos tout le personnel et la direction de la centrale.

Le prof de sport qui avait pour habitude d’être très familier avec les détenus fut notre premier objectif et notre première victime. En effet celui-ci avait pris ses aises et ses habitudes en serrant la main des prisonniers, en les tutoyant et en étant proche d’eux. Il jouait au foot, au tennis, faisait de la musculation parmi nous comme l’exigeait son boulot d’indic, mais quand il nous vit débarquer il a sentit tout de suite que nous n’étions pas du genre à sympathiser avec sa corporation. Au début il a tâté le terrain et a fait une tentative d’approche en nous tendant une main molle, mais devant tout le monde il s’est pris la honte quand on lui a dit sèchement que nous on ne touchait pas la main des matons. Il a bien tenté de nous expliquer qu’il était prof de sport avant d’être surveillant, mais il savait que pour des types comme nous cela ne faisait aucune différence et qu’il était inutile de discuter. Au bout de quelques semaines les détenus qui étaient de notre côté plus que du sien, ne voulait plus jouer avec lui et ne lui serrer plus la paluche. Il a finit par tourner tout seul sur le terrain comme un pestiféré en nous maudissant. Un jour il a disparu soit disant parce qu’il avait fait une dépression nerveuse, j’espère que ce n’était pas de notre faute...

Les surveillants de Clairvaux avaient pour habitude de laisser toutes les grilles d’étage ouverte afin, fainéants comme ils étaient, de ne pas se déplacer de leur bureau, il fallait que les détenus ouvrent et repoussent la grille eux même derrière eux pour faire comme si elle était fermée au yeux des cameras. S’était un petit arrangement convenu entre détenus et surveillants pour que les premiers circulent et que les seconds ne se dérangent pas à chaque fois pour ouvrir la grille. Evidement l’occasion était trop belle pour nous et à chaque fois que l’on passait une grille on la laissait grande ouverte derrière nous et cela n’a pas tardé à exaspérer tout le monde, détenus comme surveillants. Bien sûr les psychopathes et les quelques jeunes « Grimlin’s » du bâtiment étaient avec nous car ils aimaient bien notre façon d’agir face à l’administration. Sur 80 détenus que comptait notre bâtiment il suffisait d’une poignée pour mettre la détention sous tension. Il y eut même quelques actes de sabotages et de détérioration de matériels dans la détention mais aucun coupable ne fut pris en flag ce qui rendait la direction de plus en plus nerveuse.
À chaque fois qu’on en avait l’occasion on lançait des pétitions dans la détention histoire de mobiliser les troupes, bien entendu on s’arrangeait toujours pour que quelques mouchards sachent que cela venait de nous, puis on envoyait tout ça aux médias. Évidement la direction n’appréciait pas beaucoup la publicité faite sur son établissement.

Chaque soir avant d’être bouclé en cellule nous faisions en sorte de traîner dans les étages et les coursives, tout ça pour entraver l’application d’une nouvelle directive sécuritaire du ministère qui consistait à fermer les cellules de toutes les centrales pour qu’il n’y ait plus de circulations, de regroupements ou de vies sociales entre détenus au sein des détentions. Donc chaque soir on jouait au chat et à la souris avec les matons et s’était un vrai cirque pour nous faire réintégrer. En plus lors de l’une de ces petites ballades quotidienne avant fermeture, nous avions trouvé un nouveau jeu qui consistait à fixer sans un mot depuis notre coursive le surveillant de l’étage en dessous. Puis on appelait d’autres détenus qui faisait de même, au bout de quelques minute nous étions une dizaine, voir une quinzaine à mater le maton dans ses moindres faits et gestes. Cela les rendait fous tandis que nous étions mort de rire. Ainsi tous les soirs nous avions pris pour habitude de nous pencher au bord de la coursive pour notre séance d’observation, surtout sur un maton que l’on surnommait Fresnes, lui cela lui filait la rage et plus il avait la rage et plus on se réjouissait. Bien sûr tous cela n’avait qu’un seul objectif : le transfert, même si celui-ci finissait vraiment par se faire désirer car franchement avec tout ce que nous faisions depuis des semaines on commençait à se demander quand ils allaient nous baluchonner.

Cependant notre stratégie commençait à porter ses fruits puisqu’un jour certains surveillants syndiqués ont fait pression sur la direction pour que Kiou et moi soyons transféré de toute urgence, mais leur requête avait été refusée. En apprenant cela nous avions été un peu déçu et on se demandait vraiment ce que l’on pouvait faire de plus pour atteindre notre objectif et arriver à nos fins. C’est à ce moment que me vint l’idée d’organiser un blocage de nuit dans le bâtiment durant lequel nous organiserions un grand banquet jusqu’au lendemain matin. Cela devait consister à faire descendre tout le monde au rez-de-chaussée, sortir toutes les tables, faire des gamelles et manger en festoyant toute la nuit jusqu’à ce que les CRS viennent nous déloger et nous fassent réintégrer nos cellules. C’est sûr qu’après avoir organisé un tel événement on serait dans un camion dés le lendemain matin. Un mouvement pacifique et festif c’était du jamais vu et l’idée était intéressante, on commença donc a en parler autour de nous et l’idée fit sont chemin jusqu’à ce que l’on détermine une date. Malheureusement le jour J il y eut un suicide ce qui cassa l’ambiance et il n’était plus question de faire ce banquet. Petite consolation, le soir même, nous bloquâmes jusqu’à 20 heures pour voir la direction et avoir des explications sur la mort de notre pote, c’était un début.
Les fêtes de la fin d’années 2002 prirent des allures de trêve, puis nous attaquâmes l’année 2003 en petites actions tranquilles jusqu’à ce fameux mardi 18 février, où pour une embrouille de téléphone deux détenus furent placés au Quartier Disciplinaire.

Cette fois nous n’avions pas l’intention de laisser passer l’occasion de mobiliser tout le monde pour réussir notre blocage qui devait absolument se faire de manière pacifique, car notre but était d’endosser la paternité de ce mouvement pour être transféré, mais pas de se prendre une nouvelle condamnation pour des faits de mutinerie, d’autant plus que Kiou était en fin de peine.
Dans l’après midi nous nous étions réunis en promenade pour définir notre action et le rôle de chacun. Nous étions un peu plus d’une vingtaine prés à agir, s’était largement suffisant. Chacun dans sont étage devait faire en sorte, à la fermeture, d’empêcher les surveillants de fermer les grilles des coursives et les portes de cellules afin que nous soyons le plus nombreux possible sur les trois étages, ainsi nous aurions plus de chances de prendre le bâtiment sans heurts, car il fallait que cela se passe le mieux possible et en douceur.
Vers 19 heures tout le monde était donc à son poste dans les coursives et devant chaque grille. Les surveillants sentaient bien qu’il y avait de l’électricité dans l’air et quand l’un d’eux s’approcha de nous pour fermer une des grilles du troisième on lui dit que ce soir il pouvait ranger ses clés et appeler un gradé car on bloquait. C’était maintenant dans l’heure qui allait suivre que se jouerait le succès de notre opération. Voilà les hostilités avaient commencés dans toute la détention et les surveillants se sont mit à flipper ne sachant plus quoi faire face à la paralysie soudaine de tout le bâtiment. Ils donnaient des coups de files de tous côtés et attendaient les ordres de leurs supérieurs. Quelques minutes plus tard un gradé monta à l’étage et les quelques détenus désigner comme porte parole firent part de notre principale revendication, à savoir : la sortie immédiate des deux détenus placé au mitard. Kiou et moi savions pertinemment que la direction ne céderait jamais à nos doléances car c’est un principe de base dans les administrations répressives, on ne négocie pas avec des mutins ou avec des détenus lors d’un mouvement. Donc pas la peine d’user notre salive en discutions stériles, on laissait les autres parlementer tout en écoutant les différentes interventions. Voyant que le premier surveillant était un peu dépassé par les événements, un des détenus chargés de la communication demanda à voir des membres de la direction et le gradé après un coup de talkie-walkie descendit les chercher.
Une demi heure plus tard c’est la sous directrice qui se pointa. Je crois qu’elle ne se rendait absolument pas compte de la situation, car elle commença par donner des ordres pour que tout le monde regagne sa cellule et qu’il n’était pas question de céder à nos exigences. Je crois qu’elle sous estimait complètement notre détermination à prolonger le blocage. Elle fit même quelques menaces quant aux conséquences de nos actes, mais elle finit par se rendre compte qu’elle commençait à échauffer les esprits plus qu’autre chose. Les gradés et les surveillants sentaient bien que ça pouvait déraper d’un moment à l’autre et ils commencèrent à se regrouper jetant des regards inquiets dans tous les coins redoutant sans doute une prise d’otage. Nous étions bien une cinquantaine repartie dans tous les points stratégiques de la détention et mis à part leur présence, le bâtiment était tombé entre nos mains sans trop de difficultés.
Quelques insultes commencèrent à fuser face à l’entêtement de la directrice, il était temps de la virer, elle et ses sbires, avant que cela ne tourne mal. En effet il ne fallait absolument pas que la situation dégénère en violences ou que cela se transforme en prise d’otage car là l’addition n’était plus la même. Donc c’est gentiment mais fermement qu’on les invita à quitter les lieux pour que nous puissions prendre totalement possession des locaux pour la nuit. Pas besoin de leur confisquer les clés puisque tout était ouvert à part l’escalier auquel nous n’avions pas accès.
Vers 20 heures comme nous l’avions prévu, les rats avaient quitté le navire, maintenant nous n’avions plus qu’à attendre que les mobiles ou les CRS débarquent. Le temps qu’ils arrivent et se déploient ils n’interviendraient que très tard dans la nuit.
Kiou et moi étions satisfait car cette fois s’était sûr, dés le petit matin nous serions transféré manu militari en disciplinaire. En attendant une longue nuit blanche se préparait car nous devions faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de casse et que le mouvement demeure pacifique jusqu’à l’aube.
La taule était à nous ce soir et on avait la permission de minuit, cette sensation de liberté était vraiment grisante, euphorisante. Nous étions tous chez Fathi buvant le café et taillant des costards à la sous-directrice qui venait de perdre le contrôle de sa prison. Je l’avais pourtant prévenu quelques mois plus tôt, lors de l’audience arrivant, en lui citant la phrase suivante « l’esprit est toujours plus fort que la matière ». Cette devise que j’ai faite mienne, je la répète depuis des années à tous les directeurs de taule que je croise, en général ils ne saisissent pas tout de suite ce que je veux dire, mais lorsqu’ils comprennent il est déjà trop tard...
En tout cas l’air condescendant et autoritaire de la sous-directrice lors de cet entretien d’accueil ne m’avait pas du tout plu. Elle m’avait fait tout un discours uniquement basé sur la sécurité et la discipline de son établissement, que le ministère avait décidé de fermer les portes des centrales, qu’on ne pouvait plus circuler d’une cellule à l’autre, que ses surveillants dans les miradors étaient entraîné au tir, qu’il ne fallait pas penser à l’évasion etc.... bref elle m’avait fait l’article de sa vision carcérale comme un VRP aurait voulu vendre une encyclopédie sur la pénitentiaire à des retraités sans le sou. Un vrai prospectus publicitaire appris par coeur vomissant le venin d’une rhétorique pseudo dissuasive normalement conçue pour me faire trembler et m’impressionner mais qui ne me faisait même pas dresser un poil pubien. Elle était à fond dans son rôle de dominatrice made in Taiwan, elle y croyait à fond, mais ce qu’elle ne savait sans doute pas, dans sa totale inconscience de fonctionnaire bornée, c’est que cela faisait bien longtemps que des types comme moi étions immunisés, vaccinés, imperméabilisés, insensibles à ce genre de boniments répressifs prévus que pour effrayer une population pénale soumise et infantile. Nous cela faisait bien longtemps que nous avions franchit le Rubicon de la mort sociale à coup de peines interminables et ça c’est comme traverser le cap Horn à la nage, une fois qu’on la fait il ne peut plus rien nous arriver.
Bref à cette heure elle ne devait pas se sentir très fier d’elle en appelant au secours la direction régionale, le ministère, le garde des sceaux, le préfet, les forces de l’ordre et les pompiers. Pendant ce temps nous étions en train de nous marrer tout en sachant intérieurement que cela ne durerait pas et que s’était juste le calme avant la tempête ...
Sur les coups de 22 heures nous entendîmes un grand fracas et quelques vitres se briser. Le mouvement pacifique venait d’expirer pour être remplacé par la violence d’une mutinerie. Nous tentâmes de raisonner quelques « Grimlin’s » mais le sang bouillonnant de la révolte coulait déjà dans leurs veines comme une surdose d’amphétamines. Fallait pas rêver la révolte s’était inviter au bal et elle allait éclater comme un pustule bien mûr. Il n’y avait plus rien à faire à part se mettre aux abris car quand une émeute éclate c’est comme un cyclone rien ne peut l’arrêter, il faut juste attendre que ça passe. Kiou avait le sourire, tout ça le faisait rigoler. Moi sincèrement je flippais rien qu’à l’idée de ce qu’on allait prendre dans la poire dés les premières heures de l’aube, car c’est sûr, ceux tenus pour responsable allaient morfler sévère, que voulez-vous j’ai toujours été douillet.
Tous les câbles des caméras furent sectionnés, alors la mutinerie redoubla d’intensité comme un puissant ouragan au dessus d’une ville en bambou... désormais le mouvement ne nous appartenait plus et devenait incontrôlable, du rôle d’acteur nous passâmes à celui de spectateurs fascinés par le déchaînement des éléments.
En faisant le tour des coursives on se rendit compte que la folie collectives s’était rependu comme une traînée de poudre. Tout était entrain de dégringoler du troisième étage, des portes de cellules, les bureaux des surveillants, des bacs à fleurs, des écrans d’ordinateur, des extincteurs, des matelas, des chaises tout cela s’écrasaient au rez-de-chaussée dans un bruit infernale. Toutes les vitres furent descendues, même une lance à incendie était entrain de noyer les étages et l’ascenseur à chariot. Un vent de folie était en train de dévaster le bâtiment comme une tornade. Parmi les mutins il y avait même des types qu’on n’avait jamais vu en promenade, des détenus qui ne sortaient jamais de leurs cellules et que l’on nomme le peuple des coursives tellement ils sont pâles. Là ils se déchaînaient, se défoulaient soudain métamorphosés en des bêtes féroces. Ils fracassaient tous ce qui leur tombait sous la main.
Des petits groupes couraient et criaient tout en transportant du mobilier qu’ils balançaient par-dessus les rambardes. La cabine téléphonique du rez-de-chaussée fut pulvérisée à coup de barre de fer. Un autre groupe à l’aide d’extincteurs était en train de casser les briques de verre du mur donnant sur la promenade. Le mur céda comme un barrage déversant quelques détenus à l’extérieur. Ils allèrent discuter avec les gars du bâtiment B qui étaient tous aux fenêtres pour voir sombrer notre bâtiment comme le Titanique dans l’Atlantique.
Nous regagnâmes la cellule pour regarder LCI et voir si il parlait de notre mouvement ce qui arriva sur les coup de 1 heure du matin.
Vers 2 heures une fumée épaisse et noire se rependit dans les étages. Au rez-de-chaussée un grand bûché de matelas et de meubles était en train de se consumer dégageant des vapeurs toxiques. La fumée étais si dense que lorsque je fis un tour sur la coursive je n’y voyait pas à un mètre, je ne pouvais m’éloigner de peur de me perdre et de m’asphyxier, en plus les lumières dans les étages venaient d’être coupées. En allant à la fenêtre pour prendre un grand bol d’air je constatais que dehors ça commençait à bouger du côté des forces de l’ordre. Des matons en armes et des CRS étaient entrain de se déployer dans les allées des murs de rondes et tout autour du bâtiment. C’était le signe qu’ils allaient bientôt donner l’assaut. Kiou avait disparu et avec cette fumée toxique fallait faire gaffe qu’il ne soit pas en train de s’asphyxier dans un coin. Personne dans la cellule de Fathi ni dans celle d’un autre pote. La progression dans la coursive était presque impossible tellement il y avait de fumée, heureusement sa cellule n’était pas trop loin et je me précipitais à l’intérieur pour découvrir une scène qui me laissa sans voix. Monsieur était là, une poêle à la main, entrain de se faire cuire des côtelettes d’agneau à trois heures du matin ! Ha vraiment il n’avait pas de soucis le Kiou. Pendant que la mutinerie faisait rage et que le bâtiment était la proie des flammes il s’occupait à faire sa petite cuisine le plus tranquillement du monde. Évidement cela me fit sourire lorsqu’il me dit qu’il prenait des forces avant d’affronter les semaines de cachot et les mois d’isolement qui nous attendaient après ce mouvement pacifique qui avait mal tourné.
Vers quatre heures du matin un détenu passa nous voir pour nous annoncer que les autorités avaient donné la consigne de nous regrouper au rez-de-chaussée car ils allaient donner l’assaut. Je retournais donc dans ma cellule prendre une veste pour amortir les coups au cas ou cela se passerait mal. L’heure du grand départ avait sonné. Je passais dans les cellules de Kiou et Fathi ils se préparaient eux aussi pour descendre. Puis je partais en premier pensant qu’ils me suivaient. Il nous fallait traverser tout le bâtiment enfumé et rejoindre le rez-de-chaussée en sautant d’étages en étages car les escaliers était fermés. Je progressais à tâtons dans l’obscurité la plus total sans pouvoir respirer. Kiou et Fathi avaient dû rebrousser chemin car je ne les entendais plus, ils n’étaient plus derrière moi. J’étais arrivé à peu prés à mi parcours et je devais maintenant faire très vite car les fumées toxiques commençaient à me donner le vertige. Arrivé tout au bout de la coursive j’enjambais la première rambarde me suspendant dans le vide pour atteindre le deuxième étage puis le premier, ensuite je me laissais tomber au sol. Aujourd’hui encore je me demande comment j’ai pu réussir à descendre ces trois étages en escalade dans de telles conditions, sans doute l’instinct de survie.
Maintenant il n’y avait plus qu’à attendre la charge des CRS qui progressaient en découpant des grilles à la meuleuse pour atteindre une première barricade d’où émergeaient encore quelques flammes. Nous étions maintenant presque tous réunis au rez-de-chaussée, on y voyait un peu plus clair car la fumée montait dans les étages supérieurs. Autour de moi tout n’était que désolation, les dégâts étaient vraiment impressionnants, le sol était jonché de verres cassés et d’objets de toutes sortes. Comme des gueules noirs ressortant d’une mine nous avions tous les visages pleins de suies au point de ne plus pouvoir se reconnaître. Kiou visiblement n’était pas là, il avait dû rester coincé au troisième avec Fathi.
Les CRS arrivèrent à notre hauteur avec leurs chiens et leurs « flash ball » et nous intimèrent l’ordre de nous asseoir et de mettre les mains sur la tête. Après dix minutes d’attente ils commencèrent l’évacuation du bâtiment. Tout se passa sans réelle violence. Un à un nous étions fouillé, menotté puis emmené à l’extérieur pour une photo et pour être placé provisoirement dans des fourgons cellulaires. Sur le chemin je vis la sous directrice qui, tête baissée, marchait dans les cendres encore fumantes de sa prison, elle releva la tête et quand nos regard se croisèrent je constatais qu’elle avait les larmes au yeux, à ce moment je n’eus qu’une envie c’était de quitter les lieux au plus vite avant d’avoir un fou rire nerveux qui, j’en suis sûr, aurait été mal interprété.
Après quelques heures d’attente on nous dirigea vers des bus, en montant dans l’un d’eux j’aperçu Kiou qui me fit un clin d’œil. Ça va il n’était pas trop cabossé.
Vers 8 heures nous prenions la route laissant derrière nous une centrale encore toute ébranlée par cette nuit incendiaire. Les 80 détenus du bâtiment furent dispatchés dans toutes les prisons de la région. Quant à nous nous avions pris la direction de la région parisienne pour y être placé dans différentes prisons, Kiou au quartier d’isolement de Bois d’Arcy et moi à celui de Fresnes...
Voila comment, après une nuit d’émeute, c’était terminé mon séjour à « Clairvaux land ». Je n’étais pas mécontent d’avoir quitté cette taule mais maintenant je me demandais franchement où j’allais atterrir ?
Sans doute dans une autre centrale de sécurité, une nouvelle fosse commune pour taulards à longue peine.

Le mercredi 19 février le premier ministre de l’époque, RAFFARIN, accompagné du Garde des Sceaux PERBEN, se rendit sur les lieux pour constater les dégâts. S’était la première fois qu’un premier ministre remettait les pieds dans une centrale depuis G. CLEMENCEAU (1841-1929 !). C’est dire à quel point les hommes politiques se foutent pas mal des maisons centrales et des prisons en général.
Des cendres de « Clairvaux land » vont naître les nouvelles troupes d’élites de la pénitentiaire que l’on nomme les E.R.I.S (équipes régionales d’interventions et de sécurité). En effet quelques jours après les incidents du 18 février, PERBEN en profitera pour annoncer officiellement leur création, mais ces unités ne seront effectives que quelques mois plus tard en novembre 2003.
Hé oui vous ne le saviez pas messieurs les E.R.I.S, mais comme le « Jedi » dans la guerre des étoiles vous venez de découvrir qui est votre vrai géniteur, c’est Kiou ! Vous savez celui qui se faisait des côtelettes d’agneau à 3 heures du mat au cœur de l’émeute. C’est sûr que d’apprendre cette nouvelle cela doit faire un choc, mais bon historiquement comme je viens de le démontrer c’est la pure vérité et faudra faire avec.
Au mois d’avril 2003 explosera une seconde émeute à Clairvaux qui cette fois détruira les ateliers et fera d’énormes dégâts.

Vous venez de partager quelques moments intenses de la vie en centrale, c’est sûr que beaucoup n’apprécieront pas ce texte mais peu importe, je crois qu’il faut expliquer ce que sont réellement nos vies de longues peines et pourquoi parfois surviennent des révoltes.
Ce BLOG ce n’est pas « Prison break » avec ses héros en taulards de pacotille et ses prisons caricaturées. Ici la vie que l’on mène n’est ni une série culte, ni un long fleuve tranquille, parfois la violence explose et les mutineries font parties intégrantes du monde pénitentiaire, ne pas en parler ça serait vous donner une vision incomplète de l’univers carcérale . Je suis votre guide de ce côté obscur de notre société et je crois que de vous faire croire que j’ai été un détenu modèle, ça serait vous mentir et ça serait aussi trahir mes mots et mes textes. D’ailleurs voici les extraits d’une synthèse comportementale faite par la direction de Clairvaux sur mon compte datant de mars 2003 :

« À son arrivé sur la maison centrale de Clairvaux en septembre 2002, il a été affecté sur le bâtiment A. (...) Il précisait qu’il était actuellement dans une situation à l’abandon. Il considérait les surveillants comme agressifs, qu’il n’y avait pour lui aucune perspective, qu’il ne pouvait trouver son équilibre. (...) Il est observé par le personnel comme une personne difficile à gérer au quotidien avec un ascendant important sur les autres co-détenus, avec une personnalité forte. Les liens d’amitiés développés avec Mr K... dés son installation ne laisse aucun doute sur sa participation à la mutinerie du 18 février 2003. Son naturel revendicateur et ses déclarations sur le dysfonctionnement du système carcéral sont permanents. Il est doté d’un esprit revanchard. »

Il était important de vous raconter sans détour cet épisode car il fait aussi partie de mon parcours. Aujourd’hui même si je ne renie pas mon passé, je pense que l’écrit est bien plus efficace qu’une émeute pour faire avancée les choses, cependant ça n’a pas toujours été mon opinion comme l’illustre assez bien le dessin qui accompagne ce texte.

À bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA,
"Le blogueur de l’ombre"