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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 16 Quelques questions et leurs réponses

Mise en ligne : 11 octobre 2006

Texte de l'article :

Quelques questions et leurs réponses

1019 Jours de détention... en Maison d’Arrêt
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie 

 
 Les questions que tu ne me poses pas, mais qui méritent une réponse...

Le travail :

Je t’ai parlé de mon travail d’écrivain, mais tu l’as compris, je ne suis pas le seul à travailler.
Un certain nombre (important) de détenus travaille au service des autres dans le cadre d’un emploi de service, essentiellement de l’entretien et/ou du nettoyage des parties communes.
Les capacités personnelles sont rarement exploitées (même pour le coiffeur), c’est plutôt à la tête du client et/ou selon une certaine « côte d’amour », tu vois ce que je veux dire.
D’ailleurs, l’emploi y est précaire, tu peux le quitter, mais on peut aussi te « remplacer », sous un prétexte souvent très futile.

Deux étages sur 5 de la maison sont occupés par ce que l’on appelle les travailleurs.
En fait de « travail », il s’agit de manipulation et de conditionnement (mettre des agrafes dans des boîtes) pour des clients « extérieurs ». Cela occupe, c’est payé à la pièce et fournit quelques subsides qui peuvent être cantinés (TV, achats divers, alimentaires ou autres).
Pour y être accepté, il faut faire une demande et montrer patte blanche. Ce devrait être un droit (le travail), ce n’est qu’une possibilité si...
Ici, certains travaillent en cellule. C’est, en théorie, pour les protéger des autres (conflit de personnes), mais, en réalité, cette pratique est pernicieuse, car cela les isole, et de surcroît, ils s’abrutissent souvent dans un travail abrutissant...
Comme pour les auxi, l’emploi y est précaire... et tu peux être remplacé...

Le Sport :

C’est l’activité principale et unique d’un grand nombre de détenus.
L’activité est dite encadrée et a lieu, deux fois par semaine, par étage, tous les jours, pour certains (une soixantaine).
Pour les plus mordus, il y a la musculation avec l’aide d’appareils divers, pas au top (paraît-il). Bref les vrais sportifs ne sont pas satisfaits et souvent déçus, les autres s’en contentent.
Nombreux sont ceux qui complètent ces exercices par des exercices en cellule (abdos et pompes).
Il est possible de pratiquer des sports collectifs (foot, volley). Parfois des compétitions sont organisées, même contre des équipes venant de l’extérieur.
En fait, la fréquentation de l’activité sport (souvent en dilettante) est importante parce qu’elle permet, aussi, de bénéficier d’une douche supplémentaire à la fin de la séance, ce qui permet, aussi, de retarder le retour en cellule... à deux.
Le nombre des participants et l’insuffisance de l’encadrement font que cela reste une activité à risque.
Il n’est pas rare que des « comptes » s’y règlent, souvent sans suite, parfois avec un passage à l’infirmerie, si ce n’est plus...
Néanmoins c’est une activité attendue et à laquelle, tout le monde (ou presque) participe avec plus ou moins d’assiduité, ne serait que pour prendre l’air pendant 1h30. Pour beaucoup, c’est plus un lieu de détente et de rencontre qu’une activité sportive.

La promenade :

Il y a trois aires (de 40 m²) de promenade pour 5 étages de 100 gars...
La promenade, pour le détenu commun est une activité. Elle a lieu le matin et l’après-midi pendant deux ou trois heures, par tous les temps (sauf en cas de brouillard...). C’est l’occasion de sortir de cellule et de prendre l’air. Le taux de fréquentation est très variable, il peut être de quelques individus, mais le week-end, s’il fait beau, ce peut être 60 gars...
Elles sont, en principe, surveillées, mais en cas de conflit, un surveillant n’intervient jamais seul, d’où le temps d’ameuter les autres, le conflit est réglé, avec calme ou avec sang...
Tout conflit est, bien sûr, réprimé, mais encore faut-il arriver à faire la différence entre la (les) victime(s) et le (les) agresseur(s), ce qui n’est pas toujours facile... il n’y a pas de témoins..., bien entendu.
Je n’ai jamais participé à ces promenades « collectives »... Une bonne âme m’avait prévenu... et je n’en voyais pas l’utilité.

Par contre, au secteur « Jeunes adultes » (JA), et ensuite, comme auxi-écrivain, j’ai pu bénéficier d’une promenade de 12 h 15 à 13 h 15, à nombre limité (une dizaine, maxi).
En fait, nous sommes dehors, dans une cour de la surface d’un terrain de basket, goudronnée avec une bordure herbeuse de 3 m de large. A cette saison, on tourne en rond, à 3 ou 4, en discutant. Par beau temps, il est possible de faire du "bronzing", mais le soleil de notre région n’a pas encore été au rendez-vous. Moi, je sors peu, et uniquement lorsque le temps le permet.

Jours de Fête :

Voilà un thème que je n’ai jamais vraiment évoqué dans mes courriers, mais il me faut le faire.
Noël, Nouvel an, Anniversaire, Fête de soi-même ou d’un proche que l’on aime, sont des moments plus que pénibles et où l’isolement se fait sentir avec le plus d’amertume.
Ne pas pouvoir évoquer ces évènements avec ceux que l’on aime est, assurément, ce qui te rappelle que tu as été mis en « isolement », loin de ta vie...
La non-manifestation d’un lien est toujours une souffrance.
J’ai souvenir d’un jeune (la trentaine) qui me confiait : « Tu te rends compte, écrivain, depuis 18 mois, je n’ai pas reçu une lettre, on ne m’a pas souhaité ma fête et mon anniversaire... et pourtant, mon père et mon frère ont connu la prison ».
Cette évocation du passé de ses proches et leur silence, à son égard, lui pesait. Etre mis en isolement par la Justice, c’est déjà une lourde peine. Etre mis en isolement par ses proches devient insupportable et source de nombreux dérèglements (conscients ou inconscients) du comportement.
Ami lecteur, n’oublie pas que quelques mots à l’occasion de certaines fêtes, font plus de bien qu’un long discours. Une carte postale, de temps en temps, quelques mots, pour se manifester et rompre l’isolement suffisent.
J’ai souvenir d’un avocat qui écrivait, à l’occasion de Noël et du Nouvel An, à tous ses clients incarcérés, voilà une initiative heureuse, peu banale et qui marque les esprits.

Parloir :

Le parloir est attendu, souhaité, mais aussi redouté.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que d’une manière ou d’une autre, le détenu est agressé par l’extérieur.
Il le souhaite et l’attend parce que, pour lui, c’est la preuve qu’il existe, que quelqu’un pense encore à lui.
Il le redoute parce que c’est souvent, à cette occasion, que les mauvaises nouvelles arrivent... et cela casse le moral... pour plusieurs jours...
Souvent, il est préférable, de part et d’autre, de ne pas évoquer les sujets qui fâchent... Le silence et le non-dit évitent les mauvaises interprétations et souvent, des rancoeurs bien inutiles. Certes, faire l’autruche n’est pas forcément bon, non plus. A chacun de juger ce qui doit être dit et ce qui doit être tu...
Et puis, il y a les « parloir-fantômes »... le visiteur ne vient pas, et le retour en cellule est très, très pénible, tu peux l’imaginer... Pourquoi cette absence ? Que s’est-il passé ? Ont-ils eu un accident ?
Bref, tout passe en tête... et comme en Maison d’arrêt, le détenu n’a pas accès au téléphone, il faut attendre... attendre... une lettre d’explication qui, souvent, n’arrive pas.
Malgré le cérémonial (appel, attente, contrôle) et les contraintes (fouille par palpage ou à corps) que provoque l’événement « parloir », il est rare de se trouver une bonne raison de faire l’impasse sur ce moment d’évasion et de communication avec l’extérieur. Même si les banalités sont de rigueur... la présence suffit pour apporter son lot de réconfort.

Le parloir peut être complété par le courrier ou le téléphone (en Centre de détention).

Pour ma part, je dois vous avouer qu’à cause de, ou grâce à mon esprit d’adaptation, je ne souffre pas trop « physiquement » de l’isolement que m’impose la Justice et j’arrive à m’évader. Aussi, sur le plan affectif, mental et amical, je suis toujours hors de ces lieux et, paradoxalement, les moments les plus attendus et les plus redoutés sont les « parloirs » où je rencontre famille et parfois quelques amis fidèles : là, la réalité m’est jetée à la face, et la barrière apparaît : je suis ici et je ne suis pas parmi eux, et eux, ne sont pas autour de moi... Mais « annuler » ces rencontres bi-hebdomadaires serait encore pire...

Surpopulation... vrai ou faux problème...

Les médias te parlent sans cesse de la surpopulation, en prison. Certes, elle existe, ici : 654 détenus pour 439 places.
Pour moi, elle a eu pour conséquence le retrait de notre privilège... et je suis, depuis peu, en cellule, avec un autre détenu (celui qui est avec moi, en bibliothèque). Chacun a su garder une certaine autonomie dans l’espace... ce qui fait que cette cohabitation se passe bien, on discute beaucoup ensemble, et le temps passe ainsi très vite, et comme les « urgences » sont « rares », je néglige quelque peu mes correspondants...

En fait, le surnombre n’est pas ressenti directement, par le détenu. En effet, souvent, surtout les plus jeunes (et ils sont nombreux) préfèrent être ensemble, même un peu entassé à 3 dans 9 m² (avec un matelas par terre).
Ce qui est plus inadmissible, c’est bien sûr que cette surpopulation n’a pas été prévue et que, si on peut entasser les détenus, on ne peut étendre les infrastructures et les services communs (cuisine, salle d’activités, de sport, cour, douches, etc...), si bien que la qualité de vie s’en ressent.
L’énervement et une certaine excitation, consécutifs à cette surpopulation, font que la vie devient pénible. Les tensions sont fortes. Un rien provoque un conflit...
Tout cela se gère très mal, de plus, il me semble que le nombre de surveillants ne suit pas... pour eux, c’est donc, aussi, un surcroît de travail et d’énervement... qu’ils passent... sur notre dos, leur disponibilité... disparaît... un peu...

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