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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 12 Ambiance

Mise en ligne : 7 octobre 2006

Texte de l'article :

Ambiance

1019 Jours de détention... en Maison d’Arrêt
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie

Ambiance :

Comme tu peux t’en douter, la prison, c’est un monde à part, un peu (beaucoup) hors du temps, hors du lieu, hors des contraintes avec ses moments de rigolade, mais surtout avec ses obligations et l’obligation de supporter ses compagnons de route (d’infortune)...

Mon emploi d’écrivain a l’avantage « certain » de me permettre d’occuper mon temps avec une certaine utilité.
Pour moi, c’est primordial, ne rien faire m’aurait été très pénible et si pendant quatre mois, je n’ai rien fait si ce n’est lire et jouer au tarot, j’en avais l’overdose et si je n’avais pas eu, en plus, à m’occuper de ma défense et de mon procès, je crois bien que j’aurais « pété les plombs » (comme on dit ici). Et, crois-moi, c’est fréquent... et toujours pénible de voir dans quel état « l’incarcération » peut mettre certains individus... et ce, malgré une médicalisation optimum pour 3/4 des détenus (calmant, somnifère, et toutes sortes de saloperies (comme nous, nous disons) qui ont, certes, leur nécessité un certain temps, mais ils sont mal contrôlés et sources de « trafic ». Ici, les mélanges « maison » sont fréquents avec Subutex ou Méthanol, etc..., bref de quoi « exploser » ou pour le moins « s’évader » et si on rajoute à cela la « fumette »... Bref, je suis entré dans un monde que j’ignorais et si on ne le côtoie pas, on ne peut l’imaginer...
Pour dire vrai, ma plus grande tristesse est la séparation de ma famille qui m’est imposée.

Pour le côté matériel, je fais partie des privilégiés, je sais m’adapter et le reste est « supportable », surtout que je ne suis pas obligé de participer à des activités « collectives » pour trouver un minimum de relations humaines.

Je passe « au mieux » mon temps, je ne souffre pas trop de la promiscuité imposée et bien réelle.

Pour bon nombre de détenus (et en particulier, pour ceux qui y reviennent et donc qui y ont leurs habitudes), on ne peut pas dire que la prison est un lieu redouté où on se sent brimé. Ce n’est pas le bagne ; certes, la liberté n’existe pas (plus), mais une certaine organisation de vie existe qui fait que l’ambiance n’a rien de très désagréable.
En chaque chose, on recherche ce qui est plaisant, on masque ce qui fâche, on transforme ce qui peut l’être. En fait, on vit dans un monde irréel, faux, artificiel.
Les relations « de prison » n’existent pas. Les promesses faites (à la sortie) sont rarement respectées, les retrouvailles (hors murs) plus que rares.
L’individualisme est de mise, chacun vit pour lui-même et les rapports « vrais » avec l’autre sont rares, les échanges, de même.
Il est vrai que comme écrivain, j’ai été le témoin, le confident d’un certain nombre de détenus. Ont-ils été sincères, je ne sais, je les ai écoutés, j’ai essayé de répondre à leur attente, mais, malgré ma « fonction » et l’aide que j’ai pu apporter à certains, je ne peux pas dire que des relations « suivies » ont pu se créer.
Il y a, il y aura de très rares exceptions, peut-être...

Le lieu n’ayant pas pour vocation d’être agréable, en cela, il réussit, mais l’humain ayant la faculté de s’adapter, il s’adapte à ce cadre rigide et quelque peu hors du commun, en sachant l’apprivoiser, en sachant le transformer... en un lieu de vie... où chacun y trouve ce qu’il y apporte.

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Le bouquin de Paul Denis n’a pas encore trouvé d’éditeur.
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