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(2006) "9m2 pour deux" José Césarini et Jimmy Glasberg : réalisateurs sur l’univers carcéral

Mise en ligne : 21 septembre 2006

Forum du 01/02/2006 avec José Césarini et Jimmy Glasberg
(réalisateurs du long-métrage sur l’univers carcéral "9m2 pour deux" (sortie en salles le 1er février))

Texte de l'article :

question de : Laurette
> Bonjour, j’ai 25 ans et j’interviens à la prison de la santé en tant qu’enseignante de français auprès de détenus. Je me demande, à chaque fois que je pénètre dans cet établissement, pourquoi les gens ne sont pas au courant des conditions d’incarcération. Des dalles de béton sont tombées, certains détenus ont dû être transférés et on n’en parle pratiquement pas. Pourquoi ? Quelle est la fonction de la prison dans notre société dans ces conditions ? Juste un lieu d’enfermememnt qui rabaisse et humilie l’homme ? 

Réponse > Justement, on espère que pouvoir diffuser des films réalisés dans le cadre d’ateliers audiovisuels va permettre de construire un lien avec l’extérieur, et aussi une réciprocité avec l’extérieur, entre les spectateurs et les détenus. 
 
question de : Internaute
> Bien que je n’aie vu du film que ce qui est présenté ici (courte séquence, dossier Arte, etc), j’ai l’impression d’avoir compris votre démarche et je l’apprécie. Ma question est la suivante : les femmes sont moins nombreuses que les hommes en prison, mais pensez-vous un jour vous intéresser à elles ? 

Réponse > Nous avons déjà mené deux ateliers avec les femmes, à la prison de Marseille, en 1999-2000 et en 2001-2002. Ils ont donné naissance à deux films "Mirage" de Tiziana Bancheri et "L’épreuve du vide" de Caroline Caccavale, qui peuvent être vus dans le catalogue du CNC, "Images de la culture". 
 
question de : Internaute
> Un film sur les détenus par des détenus, n’est-ce pas un peu biaisé ? Ou alors, n’avez-vous aucune prétention de trasncrire la réalité carcérale ?
Réponse > Ce film n’est pas une transcription de la réalité carcérale. Il montre, sans jugement, la relation de deux personnes dans 9m2. Ce n’est pas une enquête journalisitique sur l’univers carcéral.
 
question de : Internaute
> J’ai lu, hier, dans Le Monde, que certains détenus avaient été surpris, voire déçus, de leur prestation lors de la diffusion de la série sur Arte, mais moins à propos du film. Pourquoi ?

Réponse > Parce que le film restitue, je pense, de manière brute, les expressions que chacun des participants ont ressenties pendant le tournage et ont essayées de révéler. Ne serait-ce qu’à travers la durée du plan séquence. Les paroles et le son sont directement ceux du plan, il n’y a pas de montage. 
 
question de : Internaute
> Quel est votre parcours à tous les deux ? Expérience du milieu ?

Réponse > Pour moi (José Césarini), ça fait depuis 1987 que je travaille régulièrement dans le milieu carcéral à travers différentes expériences. En tant que réalisateur et artiste, il est de mon devoir d’aller dans ces lieux-là. 
 
 question de : Internaute
> Qu’est qui vous a motivés à sortir 9m2 en salle ?

Réponse > Ce qui nous a motivé, c’est la qualité du travail qui, progressivement, se faisait et nous a donné envie d’aller vers une vision plus publique, sachant que chaque année, toutes les expériences de cinéma menées dans les ateliers "sortent". Exemple, le dernier film de Dominique Comtat "Mots pour maux", sélectionné au Festival du réel et diffusé en mars à Beaubourg, donc. 
 
question de : Internaute
> Connaissez-vous l’audience du docu quand il était sur Arte ?

Réponse > Non, aucune idée. Mais, Arte nous avait dit que nous étions bien dans les normes de ce type de programme. 
 
question de : Internaute
> Vous avez créé Lieux publics. C’est quoi exactement : une association qui gère l’atelier vidéo de la prison ?

Réponse > C’est Lieux fictifs !
c’est une association qui a un laboratoire de recherche cinématographique et dans lequel on produit des films et des expériences de cinéma. Et c’est aussi, la structure qui a initié et qui gère les ateliers depuis 1997.
 
question de : Internaute
> Est-ce que vous avez gardé des liens avec les détenus, après ?
Réponse > Oui, avec tout le monde.
On a encore vu Nordine aujourd’hui !
 
question de : Internaute
> Je crois que les studios sont construits à la place de ’ancien lieu où il y avait les condamnés à mort. C’est vrai ? Si oui, est-ce symbolique ?

Réponse > Oui, c’est vrai.
Par contre, ce qui est symbolique, c’est que le studio est construit dans les anciennes cours de promenade et ces cours sont construits sur la base de l’architecture du panoptique. (cf le "panopticon" de Jérémy Bentham : un point central à partir duquel on peu surveiller tous les axes).
Et faire des studios de cinéma dans cet espace, c’est inverser le principe du regard.
 
question de : Internaute
> D’autres projets sur les prisons ?

Réponse > Oui, les ateliers continue.
Le film réalisé juste après "9m2" a été remarqué et sélectionné au Festival du Réel, à Beaubourg en mars.
Et nous, on fait une installation vidéo (cf www.lieuxfictifs.org), dans la continuité du film, une démarche qui questionne la représentation de la prison. Dans un sens plastique, et non didactique.
 
question de : Internaute
> Vous expliquez que le film "entend questionner le rapport filmeur-filmé" et réel-réalité... C’est-à-dire ?
Réponse > L’acte de filmer n’est jamais innocent. Le rapport entre la caméra,le filmeur, ET l’acteur, l’interprète ou personnage est essentiel dans la cinématographie.
Dès lors qu’on tient une caméra, on est dans la fiction donc, le réel n’existe pas. "9m2" n’est qu’une forme de représentation du réel, qui permet d’interpréter la réalité.
La caméra actrice est une caméra "chaude" qui interprète physiquement et qui joue avec le partenaire filmé.
C’est à partir de ce point de vue que nous avons entamé cette expérience.
L’espace "9m2" étant le réceptacle de l’expression filmique. Une expérience aidée par l’enfermement car il faut gérer, avec la caméra, à la fois l’espace et le corps.
 
question de : Internaute
> Partagez-vous l’opinion de Loïk Le Floch-Prigent qui, invité du nouvlobs.com, avait écrit que "la prison telle qu’elle est réalisée aujourd’hui est inefficace. Que loin de protéger la société, elle encourage la délinquance et qu’il faut une remise à plat rapide." ? 
Réponse > Que propose t-il ?
Quand on est condamné, on est condamné à du temps et la question la plus importante est de savoir ce qu’on fait de ce temps.
Si des dispositifs sont mis en place pour que le temps ne soit pas simplement oublié ou occupé, alors, la personne pourra se réenvisager et, donc, réenvisager sa place à l’intérieur de la société.
 
question de : Internaute
> Bonjour, beaucoup sont favorables à l’instauration d’un numérs clausus en prison ; avez-vous une idée sur la question après "9m2 pour deux" ?
Réponse > Si le numérus clausus, c’est une personne en prison, alors, c’est mieux de se choisir.
Mais en même temps, le film montre que, par moment, c’est mieux de ne pas être seul parce que c’est par rapport à l’autre qu’on se construit.
L’important est de pouvoir choisir avec qui on veut être.
Généralement, ce n’est pas le cas, sauf si il y a des situations de tension, alors l’administration pénitentiaire peut intervenir. Mais si on est dans un effectif de surpopulation, de sur-effectif...
 
question de : Internaute
> C’est quoi la distinction entre maisons d’arrêts et centres de détention ?
Réponse > Une maison d’arrêt, c’est un lieu où on attend son jugement, ou, quand on est condamné, c’est là où on attend un transfert. C’est un lieu d’attente, en fait. Même si parfois quelqu’un peut rester 2-3 ans en préventive.
Le centre de détention, c’est celui où on effectue sa peine quand on est condamné. Ils y sont plus surveillés.
Par exemple, les 10 détenus de Clairvaux sont, eux, en centrale, ils ont pris perpétuité.
Et les membres d’Action directe sont aussi en centrale.
 
question de : Internaute
> Quelles ont été les principales difficultés à la réalisation de ce film ?

Réponse > Il y en avait plein.
C’est une aventure humaine complexe et la grande difficulté du projet est là.
L’homme est au centre du film, mais la caméra est aussi au centre des hommes
 
question de : Internaute
> En réalisant ce documentaire,n’avez-vous pas eu peur de tomber dans les clichés nombreux liés au monde carcéral ? Et si oui comment avez-vous fait pour les éviter ?

Réponse > Connaissant la prison et sa représentation médiatique et cinématographique, depuis une quinzaines d’années, nous étions confrontés au piège du voyeurisme et de l’obscène. Mais nous les connaissions, ces clichés.
 
question de : Internaute
> je n’ai pas vu votre documentaire mais juste lu qu’il s’agissait d’un film "sur les détenus faits par les détenus". Je n’arrive pas à saisir du coup quelle a été votre travail là-dedans, du point de vue de la réalisation ? Merci de m’éclairer !

Réponse > Le travail a été de les amener à pouvoir s’exprimer.
Le travail s’est fait en deux étapes.
La première étape, de six mois, de formation et de prise de conscience à la cinématographie, de prise en main de l’outil caméra, de la mise en lumière de l’espace "9m2"...
Les autres six mois, le tournage proprement dit avec des mises en place des séquances, en dirigeant les "filmeurs-filmés" dans l’interprétation des thèmes choisis.
Nous controlions leur travail en plan-séquence par l’intermédiaire d’un dispositif d’une caméra raccordée à un écran de contrôle.
L’interprétation des scènes se fait sous la forme de plans séquences avec des échanges de caméra qui font passer du filmeur au filmé.
 
question de : Internaute
> Qui a subventionné la réalisation de votre documentaire ? Quels liens avez vous entretenu avec l’administration pénitentiaire ? Et quels échos avez vous reçu de leur part ?

Réponse > Les ateliers, dans lesquels cette expérience cinématographique s’est développée, viennent de la DRAC, du fonds social européen, du conseil régional PACA et du conseil régional des Bouches du Rhône, de l’administration pénitentiaire et la politique à la ville.
Dans un deuxième temps, la coproduction s’est faite avec Agat Film, le CNC et Arte.
L’AP a donné son autorisation à chaque étape du projet, c’est-à-dire au visionnage de la série et au visionnage du long-métrage. 
 
question de : Internaute
> Comment d’est opérée la "sélection" des détenus et de la prison ? Quel accueil a reçu votre projet de leur part ?
Réponse > Les ateliers sont permanents à l’année, cinq jours sur sept.
A chaque début de session, nous ouvrons un recrutement à l’ensemble de l’établissement.
Une première sélection est faite par l’AP qui élimine une partie des candidats.
Tous ceux qui restent sont vus individuellement. Et on leur explique le projet de façon plus détaillée.
A partir de là, certains peuvent décider de ne pas y participer.
L’acceuil a été unanimement bon parce que le projet leur a tous semblé juste.
 
question de : Internaute
> Etes vous d’accord avec le dossier du Nouvel Obs paru en fin d’année qui dénonce l’état des prisons françaises ?

Réponse > Je pense qu’il faut effectivement réfléchir sur le sens de la peine et ce qu’on fait pendant ce temps d’incarcération, de façon que les gens aient la possibilité de se reconstruire après cette expérience.
 
question de : Internaute
> Je me permets une petite suggestion pour un éventuel prochain film sur ce thème ; un tableau comparatif des lieux de détention au 4 coins du monde. Cela permettrait de sortir de notre vision franco-française...
Réponse > Voir le travail de la photographe de Jane-Evelyne Atwood et de Klavdj Sluban.
Celui de l’OIP aussi.
 
question de : Internaute
> Bonjour,
Savez-vous quelle avait été la réaction des téléspectateurs d’Arte à votre documentaire (en termes quantitatif -audience- et qualitatifs) ?

Réponse > De manière générale, il a été bien perçu.
Globalement, c’était positif. Les gens étaient plutôt bouleversés.
 
question de : Internaute
> D’où vient votre intérêt pour le monde carcéral ? D’une expérience proche de vous ?
Réponse > Au départ, c’était suite aux écrits de Foucauld et la conscience que, pour comprendre la société, la perception de la prison était nécessaire.
La prison, c’est fascinant, c’est "hate and love".
 
question de : Internaute
> Une rediffusion du documentaire à la télévision est-elle prévue ?

Réponse > On ne sait pas...
 
question de : Internaute
> Quelles actions mener pour mobiliser l’opinion publique sur le sort des prisonniers ?

Réponse > Je ne pense pas que ce soit une question de mobilisation mais plutôt de prise de conscience politique d’une société sur ce qu’elle veut.
Il faudrait un débat public, mais serein.
On devrait se poser des questions sur la société avant de se poser des questions sur la prison, qui appartient à la République, au même titre qu’une école ou qu’un hôpital.
 
question de : Internaute
> Quel est le message que vous souhaitez faire passer à travers ce film ?
Réponse > Certainement pas un message.
Mais plutôt construire une proximité, une humanité que la pression médiatique, habituellement, refuse à ce lieu.
IL s’agit de construire un autre rapport.
 
question de : Internaute
> Pourquoi "9m2 pour deux" n’est-il pas diffusé dans davantage de cinémas ? N’est-il pas important de sensibiliser l’opinion de manière la plus large possible à la situation carcérale en France ?
Réponse > Le système de distribution des films est un système, avant tout, commercial donc réservé aux films commerciaux.
Seuls les cinémas d’arts et d’essai accompagnent les films moins commerciaux.
On compte sur le bouche à oreille pour que le spectateur intéressé par un cinéma "différent" rejoigne ces salles.
Venez nombreux ce soir au Saint-André-des-Arts à 20h15, à Paris, où la projection sera suivie d’un débat.
Nous vous souhaitons, à tous, bonne projection et merci de l’intérêt que vous avez porté pour ce travail.

Source : Nouvel Obs