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Non à la Pénalisation de la transmission du VIH

(2005) Warning veut faire bouger les lignes sur la prévention du sida

Mise en ligne : 15 octobre 2006

Texte de l'article :

Warning veut faire bouger les lignes sur la prévention du sida 
Le président de l’association Warning, dédiée à la prévention en direction des homosexuels présente son analyse concernant des enjeux actuels, en particulier concernant sur la pénalisation de la transmission du VIH. 

Pouvez-vous présenter Warning ?

Tout simplement un petit groupe, basé à Paris, qui existe depuis décembre 2003 et qui fonctionne en association. Chaque jour, nous suivons ce qui se dit en matière de prévention VIH en milieu gay, en France et à l’étranger. Et nous essayons d’en informer nos lecteurs. Régulière-ment, nous sortons des textes d’analyses sur l’épidémiologie, la prévention, les tendances et tout ce qui concerne de près ou de loin les gays et le VIH. On vient tous de l’univers associatif, en fait d’Act Up. On en connaît les lourdeurs et la sclérose. Nous fonctionnons comme un laboratoire d’idées. Ce qui nous a semblé important dès le début, c’était de poser un nouveau regard sur des questions diverses comme le bareback, IST et VIH, l’évolution de l’épidémie chez les homos, ou encore les droits des séropos.

Les questions sociales sont aussi importantes. C’est pourquoi nous avons pris position pour le Non à la constitution. Notre indépendance nous permet une grande liberté de ton et de propos. Nous avons un site Internet, sur lequel nous proposons aussi des textes de personnes externes au groupe afin d’enrichir la réflexion. La majorité des textes sont signés. L’Internet est un outil qui nous donne la souplesse nécessaire dans la phase de lancement sans s’enfermer dans la réunionite. Tous les échanges à l’intérieur du groupe se font principalement par mail. Warning, c’est une aventure à la fois difficile et très enrichissante. La preuve, regardez le nombre de textes publiés à un rythme soutenu. Cela aurait été impossible ailleurs.

Mais nous sommes aussi un groupe d’alerte et d’action. Nous avons mis en garde sur les dérives possibles suite à l’affaire de Strasbourg où un séropo a été condamné à 6 ans de prison. Nous avons secoué l’INVS pour sa gestion désastreuse de la déclaration obligatoire de séropositivité. Groupe d’action aussi, pour secouer le monde associatif de lutte contre le sida quand il oublie de faire son job ou encore pour le faire nous-même comme ce fut le cas lors de l’arrivée de cette nouvelle IST, la lymphogranulomatose.

C’est-à-dire ?

L’épidémie a pris un tournant en 1996 avec l’arrivée des multithérapies. Et en près de dix ans, les changements se sont accumulés, en tous cas pour les gays. Ceci veut dire que nous sommes dans un nouveau paradigme qui a ses implications et ses conséquences. L’interview d’Eric Rofes, un militant sida américain, que j’ai faite en novembre 2004 sur la santé gay montre bien cette évolution. Par exemple, la fin de l’hécatombe, c’est aussi pour les gays l’envie à nouveau de vivre sur du long terme, de jouir. La question du plaisir est centrale et toute prévention qui fonctionne sur la culpabilisation n’est pas pertinente, et probablement même nocive. Et il n’est pas question pour nous de lancer à nouveau l’anathème sur les gays et vouloir les faire retourner dans la panique des années noires.

La parole à la première personne, au nom des malades, en a pris un sérieux coup, puisque pas mal de séropos ont quitté les associations où ils ne se retrouvaient plus. Pourtant ce genre de discours a tout de même tendance à perdurer. Tous ceux de Warning voulaient sortir de cette mystification : cette parole où tout le monde est séropo et gay et... raton laveur pendant qu’on y est ! Ça bloque le discours. D’autant plus que l’épidémie, elle concerne aussi les séronegs, et là, il y a un moyen de redynamiser. L’hécatombe a entraîné un vaste traumatisme dans la communauté, dont 10, peut-être 20 % des membres sont séropos dans les grands centres urbains. Certes, c’est nettement moins dramatique pour les séronegs. Mais les conséquences doivent être analysées de manière approfondie. Par conséquent, à Warning, il y a des séropos, des séronegs, des hommes, des femmes. Ce qui nous lie, c’est le sujet : la prévention et la santé des gays.

Etes-vous favorable à la criminalisation de la transmission volontaire ?

Non, si on entend clairement ce que veut dire criminalisation, c’est-à-dire la pénalisation, qui implique une peine de prison. C’est d’ailleurs la position du Conseil national du sida et d’ONU-SIDA. Aides nous a rejoints sur nos positions, en reconnaissant la souffrance des personnes contaminées par abus ou à leur insu. Ce qui pour nous était important lors du débat, c’était de reconnaître l’existence de cas de tromperies et que les victimes de cette tromperie avait elles aussi droit à réclamation. On est loin ici du discours officiel d’Act Up, qui rejette tout cela tout en étant très ambigu puisque cette association continue à stigmatiser les homos barebackers. C’est d’ailleurs à cet endroit, le bareback, qu’on s’est rendu compte que le concept de responsabilité partagée dans le domaine de la prévention était mort et que tout était lié. On voit bien que l’épidémie chez les hétéros n’a pas eu lieu, et qu’elle se concentre sur certaines populations, les départements français d’Amérique et les populations d’origine sub-saharienne. Comment faire fonctionner le concept de responsabilité partagée quand l’épidémie reste concentrée dans des groupes de population ?

Chez les gays, les choses ont évolué, et l’arrivée du PaCS a eu une conséquence inattendue. Les jeunes gays revendiquent la confiance dans le couple, et donc l’idée que tout gay est potentiellement séropo et qu’il faut pour tout rapport mettre une capote a pris un coup dans l’aile. Je ne parle même pas de certains barebackers qui rejettent la responsabilité de la contamination sur les séronegs. Aides a proposé un traitement de ces contaminations par abus pour tromperie par la voie civile, ce qui évite alors le passage en pénal et la prison. De toute manière, il faut attendre le résultat du pourvoi en cassation du procès de Strasbourg. En tous les cas, Warning militera contre la pénalisation. Nous avons établi des contacts afin d’être prêts, si nécessaire, à s’opposer s’il y a risque de dérive définitive vers la pénalisation des contaminations. A ce propos, le projet de traité constitutionnel européen était inquiétant sur ce point-là. Nous l’avons dénoncé. Le droit à la liberté et la sûreté y était assorti d’une exception, selon les voies légales, s’il s’agit de la « détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ». (Partie II art. 66 et acte final - art. 6).

A long terme, il faut reconstruire les fondements de la prévention. Que mettre à la place de la responsabilité partagée ? La proposition de Christian Saout, sur le consentement éclairé nous semble très problématique et celle faite par le CRIPS, la responsabilité conjointe, ne reste qu’une tentative inaboutie.

Certains séropos paniquent du fait du procès de Strasbourg, non pas parce qu’ils ne protègent pas leur sexualité, mais parce qu’ils ou elles pensent qu’une stigmatisation de tous les séropos est en marche. Devant cette peur, il devient urgent de s’impliquer. Certains en ont la capacité. Il est important qu’ils viennent en force dans les associations de lutte contre le sida. On peut poser aux séropos deux questions : est-ce que vous faites confiance aux militants et aux associations pour défendre vos intérêts de manière efficace, et est-ce que vous pensez que les efforts pour refonder la prévention sont bien menés ou non ?

Quel est votre bilan, après un an d’existence ? Quels sont vos projets ?

En fait nous avons publié plus d’une centaine de textes sur notre site web, sur la prévention, l’épidémiologie ou encore la sexualité gay. C’est là une entreprise à long terme car elle consiste à renouveler progressivement les discours à la fois pour les acteurs de lutte contre le sida mais aussi en direction des médias. Car ça devient très dangereux, on a d’un côté un risque d’extension des procès pour contamination et de l’autre quelques inconscients qui stigmatisent les barebackeurs. Le discours alarmiste sur l’épidémie en France ne nous intéresse pas. Il sert en fait à entretenir le système et notamment les financements mais ne procure pas au public visé des outils pour les aider dans leur prévention. Et puis nous sommes intervenus plusieurs fois par communiqué de presse pour bouger le "sidaland". On a fait un gros effort de vulgarisation des informations provenant de l’étranger. Nous avons maintenant deux traducteurs bénévoles. En terme d’action, c’est l’Institut national de Veille Sanitaire qui a été visé en premier. Cet organisme a bien du mal à gérer correctement le dispositif de la déclaration obligatoire du VIH/SIDA. A ce propos, j’ai bien peur que les choses ne s’arrangent pas. L’INVS continue à accumuler un retard de plus en plus grand dans la comptabilisation des notifications. Il y a un réel manque de moyens humains et financiers. Je ne vois pas comment on peut se permettre en France de crier haut et fort qu’il y a une reprise de l’épidémie chez les gays quand au même moment on laisse l’INVS incapable de sortir des données fiables sur cette tendance.

Ensuite, nous nous sommes battus pour qu’existe une prévention de la lymphogranulomatose vénérienne, une infection vénérienne qui réapparaissait chez les gays. Alors qu’en Angleterre le Terrence Higgins Trust avait déjà réalisé une plaquette d’information sur les risques de la LGV, il n’y avait toujours rien en France et pourtant l’alerte était lancée depuis un an. On a alors fait un communiqué de presse assez drôle indiquant qu’enfin une plaquette existait, mais qu’elle était uniquement disponible en langue anglaise. Ça n’a pas fait un pli. Un mois après, le SNEG sortait une version traduite, qu’il en soit encore remercié. Et Act Up-Lyon a eu l’idée de faire une affiche sur la LGV. Warning s’y est associé et maintenant Act Up-Toulouse. Nous avons apporté un soutien logistique et ajouté un site Internet d’info sur la LGV avec possibilité d’informer les amis par l’envoi d’e-card. Cette affiche Act Up-Lyon / Warning a été diffusée dans plusieurs villes de France.

Mais ce qui est le plus intéressant, c’est de voir que notre proposition d’une affiche d’information sur le traitement d’urgence vient d’être reprise par la charte de prévention sur Lyon et par Aides sur Paris. Notre idée était qu’il fallait afficher à l’entrée des sex-clubs une info claire sur le traitement d’urgence avec les coordonnées de l’hôpital le plus proche. C’est désormais chose faite.

A mon avis, il faut voir les profondes évolutions qui touchent les gays : le bareback s’est installé maintenant dans le milieu gay. Les pratiques non protégées occasionnelles sont encore en augmentation et certains utilisent le "sérotriage" comme moyen de prévention. Le problème est très complexe. Et sur ce sujet, on a le sentiment d’une glaciation des associations. Ensuite, nous réfléchissons aux moyens de redynamiser la prévention notamment au travers du concept de santé gay. La santé des gays et des lesbiennes, au sens large, n’est pas optimale et la contamination VIH peut résulter parfois de cet état de fait. Je pense par exemple à la sursuicidalité des jeunes gays.

Trois mots clés pour terminer : amour, désir, confiance. Des thèmes qui sont au centre de notre réflexion. 

Source : Combat face au sida