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(2005) Saisine no 2005-7 pour connaître les conditions de détention du décès de K. B. à la MA de Gap

Mise en ligne : 14 avril 2006

Texte de l'article :

Saisine no 2005-7

AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 17 janvier 2005, par M. Bernard Barraux, sénateur de l’Allier

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 17 janvier 2005, par M. Bernard Barraux, sénateur de l’Allier, des conditions du décès de M. K.B., âgé de 18 ans et demi, le 24 novembre 2004, à la maison d’arrêt de Gap (Hautes-Alpes 05).
Le magistrat instructeur, au nom du secret de l’instruction, a refusé de communiquer à la Commission la procédure pénale actuellement en cours au tribunal de grande instance de Gap. La Commission a pris connaissance du rapport de l’Inspection des services pénitentiaires en date du 3 décembre 2004.
Elle s’est rendue à la maison d’arrêt de Gap, où elle a procédé à l’audition de quatre surveillants, dont un surveillant principal et un premier surveillant, et du directeur de la maison d’arrêt. Elle a visité les lieux et notamment la cellule où M. K.B. a été retrouvé mort le matin du 24 novembre 2004.
L’infirmière qui effectue des vacations ponctuelles à la prison de Gap depuis 2000 a également été entendue.
Au cours de ses investigations, la Commission a été informée des conclusions du rapport d’autopsie du 24 novembre 2004.

La maison d’arrêt de Gap est un petit établissement ancien, vétuste, situé dans le centre-ville. Elle a une capacité théorique d’accueil de 29 places hommes, 6 places femmes, 4 places de semi-liberté. Les détenus sont répartis entre six dortoirs et une cellule à deux places. Il y a une cellule disciplinaire. Les conditions de détention sont mauvaises du fait notamment de la promiscuité des dortoirs, qui pose la question de la sécurité des détenus et des surveillants.

Le 22 novembre 2004, il y avait un sureffectif en détention hommes : 34 détenus au lieu de 29.

 ! LES FAITS
M. K.B., âgé d’un peu plus de 18 ans, a été incarcéré à la maison d’arrêt de Gap le vendredi 19 novembre 2004 dans la soirée.

M. C.C., le directeur de la maison d’arrêt, a déclaré qu’il attendait, ce soir-là, deux entrants jeunes, et qu’il avait envisagé, dans le cadre de la prévention des suicides, de les mettre ensemble. Ayant été prévenu que finalement seul M. K.B. était incarcéré, il s’en était inquiété auprès du vice-procureur, et ce dernier lui avait répondu que « M. K.B. ne paraissait pas suicidaire, que l’affectation en cellule seule n’était pas contre-indiquée ». Selon M. C.C., le jeune K.B. « avait l’apparence du zonard, coupe de cheveux, piercing ». Il est arrivé avec une ordonnance médicale et « une petite bouteille d’un médicament », qui lui avaient été délivrées par un médecin lors de sa garde à vue.

Le premier surveillant, M. R.D.M., qui a procédé aux formalités d’écrou vers 21 h 22, déclare que le parquet avait informé le directeur que M. K.B. « pouvait être dangereux, résister à son placement sous écrou » et que « la notice du tribunal indiquait qu’il pouvait porter atteinte à son intégrité physique ». Il était également signalé comme polytoxicomane.

Cependant, selon le surveillant principal M. H., M. K.B. n’était pas agressif à son arrivée, les gendarmes qui l’ont conduit à la prison le présentant comme « un pauvre jeune ».

Le directeur a placé M. K.B., seul, dans la cellule no 1, comportant deux lits superposés.

Le lundi 22 novembre, le détenu B., qui se trouvait dans la cellule disciplinaire située à côté de la cellule no 1, a été transféré dans la cellule de M. K.B. bien que n’ayant pas terminé sa sanction disciplinaire de 30 jours, au motif que l’on avait besoin de la cellule disciplinaire pour y mettre le détenu S., qui avait provoqué le jour même un incident en cours de promenade.

Le détenu B., condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour viol, était présenté par l’administration pénitentiaire comme ayant un comportement « perturbé, sournois, voire dangereux » et le directeur avait demandé son transfèrement. Pour M. K.B., il s’agissait d’une première incarcération.

Selon les déclarations des surveillants et du directeur, la cohabitation s’est déroulée sans difficultés apparentes.

Le mardi 23 novembre dans la matinée, M. K.B. a comparu devant le tribunal où il a été condamné à deux mois de prison.

Il convient de préciser que la cellule no 1 occupée par MM. K.B. et B. est située au rez-de-chaussée, à côté de la cellule disciplinaire. Elle est composée d’un lit à deux étages dont le pied est face à la porte. Dans la journée, elle reçoit peu de lumière naturelle d’un soupirail. Elle comporte un plafonnier commandé à l’intérieur de la cellule et un hublot de veille commandé de l’extérieur.

Il est constant que ce hublot de veille ne fonctionnait plus depuis le lundi 22 novembre après-midi, démonté par M. K.B. qui n’avait pas compris pourquoi ce hublot s’éclairait et s’éteignait car il ignorait « que c’était les surveillants qui actionnaient le bouton pression dans le cadre des contrôles des cellules ». Le surveillant principal M. L., qui avait constaté l’absence d’éclairage, déclare n’avoir pris « aucune mesure particulière concernant cet éclairage défectueux ». Il n’a pas rédigé de rapport d’incident concernant le démontage de l’appareil. Le premier surveillant R.D.M. a déclaré qu’ayant constaté sur place ce dysfonctionnement, il avait été « amusé de la naïveté de M. K.B. » et qu’il avait fait venir un formateur qui avait essayé de réparer l’éclairage mais n’y était pas parvenu. Le directeur avait été informé le jour même par les surveillants du problème de la cellule no 1.

De plus, lorsqu’on accroche un linge de bain au pied du lit, il est impossible de voir par l’oeilleton le détenu situé à l’étage inférieur, ce qui est confirmé par le surveillant H., qui a déclaré : « À la cellule no 1, il y avait une serviette de toilette qui tombait sur le devant de M. K.B. »

Le mardi 23 novembre, vers 20 h 00, le surveillant principal H. a constaté que les occupants de la cellule no 1 regardaient la télévision et que le plafonnier était allumé. Peu de temps après cette ronde, le détenu S., placé dans la cellule disciplinaire située à côté de la cellule no 1, l’a fait appeler par l’entremise de M. B., dont l’interphone fonctionnait, pour qu’il éteigne la lumière. Le surveillant a expliqué que la cellule disciplinaire n’a qu’un système d’éclairage qu’on allume entre la porte et la grille, inaccessible au détenu, et que son interphone ne fonctionnait pas.

Le surveillant principal M. L. a effectué deux rondes dans la nuit du 23 au 24 novembre. Il a entendu, au début de la nuit, un bruit sur les tôles de la cour de promenade qui a été signalé sur le registre. Lors de la ronde de 1 h 15, il a constaté que dans la cellule no 1, la télévision et le plafonnier étaient éteints. « J’ai actionné, dit-il, le bouton pression de la veilleuse, elle n’a pas fonctionné ». Il a ajouté : « En l’absence de consignes particulières pour cette cellule, je n’ai pas jugé bon de taper à la porte pour voir s’il y avait un problème ». Lors de cette même ronde, le détenu S., dans la cellule disciplinaire, lui a demandé d’éteindre la lumière de sa cellule.

Le surveillant principal L. a fait une deuxième ronde vers 6 h 00 du matin, constatant que la lumière de veille de la cellule occupée par MM. K.B. et B. ne fonctionnait toujours pas. Il dit l’avoir signalé oralement aux surveillants du matin, alors que l’incident aurait dû faire l’objet d’une inscription au registre prévu à cet effet.

Le mercredi 24 novembre, le surveillant G. a pris son service à 7 h 00. Il a attendu l’arrivée du directeur pour faire l’ouverture de la cellule no 1 et de la cellule disciplinaire, comme celui-ci le lui avait demandé la veille, lui disant que « les détenus étaient dangereux, surtout le détenu B. et le détenu S. ». Le surveillant G. s’est donc présenté avec le directeur et le premier surveillant R.D.M. vers 7 h 45 devant les cellules concernées. Il a précisé que lorsqu’il procède à l’ouverture des cellules, il doit « effectuer le comptage, vérifier l’intégrité physique des détenus », mais reconnaît n’avoir pas pénétré ce matin-là dans la cellule de MM. K.B. et B. et que, de là où il était, il n’avait « aucune vue sur la cellule ».

Le détenu B. a sorti sa poubelle et ses plats et les a posés sur une table dans le couloir. Le silence et l’absence de mouvement de M. K.B. n’ont pas retenu son attention ni celle du directeur qui avait pourtant demandé à être présent. Ainsi, il est constant qu’à l’ouverture de la cellule vers 7 h 45, la cellule n’a pas été éclairée et qu’il n’y a pas eu, ni de la part du surveillant G., ni de la part du chef d’établissement présent, contrôle de l’état de M. K.B.

Le même surveillant est allé chercher le détenu B. vers 8 h 45 pour qu’il soit interrogé par un policier. Il déclare avoir allumé le plafonnier de la cellule, ce qui implique qu’il ait pénétré dans cette cellule. Or, il n’a pas pris soin à cette occasion-là non plus de vérifier l’intégrité physique de M. K.B. « J’ai pensé que M. K.B. dormait », a-t-il déclaré.

C’est toujours le surveillant G. qui a reconduit le détenu B. à sa cellule,
sans s’enquérir de M. K.B.

C’est le détenu B. qui a alerté les surveillants vers 9 h 30, en disant à l’interphone « que son codétenu n’allait pas bien ». Le premier surveillant R.D.M. s’est rendu avec deux de ses collègues à la cellule, où il a constaté que M. K.B. était décédé.

Il a appelé le directeur et le SAMU. Il relate avoir trouvé M. K.B. « allongé sur le ventre, le visage dans l’oreiller, le bras gauche replié sous lui ; il y avait du sang au niveau du nez et de la bouche sur l’oreiller ».

La Commission relève que les conclusions de l’autopsie du 24 novembre 2004 font état de « lésions compatibles avec une asphyxie mécanique par suffocation » et de traces de lésions au niveau du scrotum. Les causes du décès de M. K.B. sont recherchées par la justice.

Il apparaît que l’état médical de M. K.B., dès son arrivée, méritait une attention particulière.

La Commission a recueilli des déclarations contradictoires concernant l’état de santé apparent de M. K.B. Elles restent à apprécier au regard de la chronologie des contacts que M. K.B. a eu avec divers intervenants, surveillants et personnels médicaux, notamment le 22 et le 23 novembre.

L’hypothèse que M. K.B. ait eu accès à divers médicaments en grande quantité ou ait pu les stocker est envisageable, au regard des défaillances relevées par la Commission dans la surveillance et l’attention portée à ce jeune détenu.

Mme C., infirmière, a vu M. K.B. pour la première fois le lundi 22 novembre en fin d’après-midi. Elle n’a pas été informée de l’arrivée d’un nouveau détenu qui avait un problème de toxicomanie, ni le samedi 20 ni le dimanche 21, où elle s’est rendue à la prison pour assurer la distribution des médicaments. Elle n’a pas été informée que M. K.B. était arrivé de sa garde à vue avec « une petite bouteille de médicament ». Elle a pris connaissance du traitement donné par le SAMU dans la journée du lundi 22 novembre, où elle a laissé M. K.B. en possession d’un flacon de médicament prescrit par le SAMU, le RIVOTRIL, avec une dose pour
vingt-quatre heures. Elle déclare qu’« à la visite médicale du mardi, M. K.B. était dans un état déplorable, presque un moribond, il ne tenait pas debout. Il m’a paru être à un stade de toxicomanie avancée et un état de délabrement physique très avancé ». Le médecin l’a persuadé de renoncer au RIVOTRIL et lui a prescrit un autre médicament dont Mme C. ne se souvient plus du nom.

C’est dans l’état décrit le mardi après-midi par l’infirmière, que M. K.B. a été remis en cellule ; il apparaît qu’un tel état nécessitait une surveillance appropriée, si ce n’est une hospitalisation.

Or, la Commission relève que le lundi matin, M. K.B., examiné par le
médecin du SAMU, ne fait l’objet, selon le premier surveillant R.D.M. et le directeur, d’aucun signalement, qu’il est conduit le mardi matin au tribunal pour être jugé, ce qui laisse supposer qu’il était en état de s’y présenter, et que M. R.D.M. le revoit l’après-midi même, notant que M. K.B. « était rassuré par sa condamnation moins importante qu’il ne le craignait. Il était bien, serein ». M. R.D.M. a ajouté que M. K.B. s’était rendu à la promenade l’après-midi, avant d’être examiné dans le cadre de « la consultation dite de routine par le médecin, qui ne nous a rien signalé ».

D’après le premier surveillant R.D. M, le détenu B. aurait raconté, après la découverte du décès de M. K.B., que « M. K.B. avait été malade pendant la nuit, qu’il était tombé de son lit et qu’il l’avait aidé à se recoucher ».

Si ce fait est exact, la Commission ne peut que constater que le codétenu n’a pas appelé le surveillant de garde et que le surveillant principal n’a rien pu voir ni à 1 h 15, ni à 6 h 00 du matin, heure présumée du décès.

 ! AVIS
Il n’appartient pas à la Commission de se prononcer sur les causes du décès de M. K.B., le magistrat instructeur étant seul compétent pour le
faire.

En revanche, il appartient à la Commission de souligner les négligences, voire les fautes graves, commises dans la surveillance du détenu K.B.

Il est constant que l’administration pénitentiaire a été informée par le tribunal de l’état de M. K.B., tant en ce qui concerne ses réactions éventuelles à l’incarcération, que sa polytoxicomanie. La consultation du 23 novembre après-midi a confirmé cet état. Il appartenait donc à l’administration pénitentiaire d’apporter une attention particulière à ce
jeune détenu.

L’Inspection des services pénitentiaires a relevé que le choix du chef d’établissement de placer le détenu B. dans la même cellule que M. K.B. était discutable.

La Commission estime que M. K.B. n’aurait pas dû être exposé au risque d’agressivité d’un récidiviste parfaitement connu du chef d’établissement. Le mardi 23 après-midi, l’état de M. K.B. décrit par l’infirmière est celui
d’une vulnérabilité importante visible.

La Commission estime que l’état de M. K.B. imposait au chef d’établissement de prendre des mesures de surveillance particulières et de donner aux surveillants des consignes adaptées et précises, ce qui n’a pas été le cas.

La Commission estime que le chef d’établissement a fait preuve de négligence grave, en ne veillant pas à la réparation du hublot de veille dès qu’il fut informé de sa défectuosité.

La Commission estime que le surveillant principal L. a commis une négligence en ne prenant aucune mesure particulière pour remédier au démontage de l’éclairage de veille par M. K.B., dont il avait été témoin, et notamment de ne pas avoir rédigé un rapport d’incident et de ne pas avoir informé ses collègues par une mention sur le registre prévu à cet effet. De plus, le surveillant principal L. qui, du fait du non fonctionnement de la veilleuse, ne pouvait rien voir dans la cellule, aurait dû, lors de ses rondes de 1 h 15 et de 6 h 00 le 24 novembre, frapper à la porte, même en l’absence de consignes particulières.

Enfin la Commission estime que le surveillant G., chargé, à l’ouverture des portes, d’effectuer le comptage et de vérifier l’intégrité physique des détenus, n’a pas fait ce qu’il estime lui-même être son travail, ni à 7 h 45 ni à 8 h 45, ni plus tard lorsqu’il a ramené le détenu B. dans la cellule no 1.

La Commission s’inquiète du suivi de la santé des détenus de la maison d’arrêt de Gap qui, en l’espèce, révèle un manque d’organisation et de concertation entre le service médical et l’administration pénitentiaire.

 ! RECOMMANDATIONS
La Commission, rejoignant les conclusions de l’Inspection des services pénitentiaires, demande que soit diligentée, si cela n’a pas été fait, une inspection générale de cet établissement.

Elle estime que les dysfonctionnements relevés émanant tant du chef d’établissement que du surveillant principal L., du premier surveillant R.D.M. et du surveillant G., sont susceptibles de constituer des fautes professionnelles. La Commission recommande la saisine de l’instance disciplinaire.

La Commission souhaite attirer l’attention du ministère de la Santé sur l’organisation du suivi de la santé des détenus à la maison d’arrêt de Gap.

Adopté le 19 décembre 2005

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et à M. Xavier Bertrand, ministre de la Santé et des Solidarités, dont les réponses ont été les suivantes :