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(2005) Résister, c’est déjà ne plus être une victime

Mise en ligne : 7 septembre 2005

Dernière modification : 21 juillet 2007

Texte de l'article :

Cher(e)s ami(e)s de l’envolée, chers enfants, chers poteaux guérilléros,

Je vous présente la lettre ouverte (cf numéro14) que j’ai envoyé au magistrat instructeur en charge du dossier de mes fils Cyril et Christophe Khider. J’espère qu’à défaut de m’apporter des solutions, le juge répondra à mes questions.
Je sais que j’avance en territoire ennemi ; la victimisation n’est pas l’arme que j’aurai choisie d’instinct et en priorité pour me défendre, mais que c’est celle qui fonctionne le mieux sur la base du concept créancier débiteur : tu dois, tu paies, avec le spécialiste au milieu pour dire combien tu dois et surtout à qui. La victimisation est une arme de destruction massive, une technologie de pointe, une véritable chaîne dont le maillon le plus faible est la victime du suivant, le tout dans la perspective de productivité intense de ce business.
Malgré cela, j’ai décidé en toute connaissance de cause de me battre contre la justice même si je dois utiliser son artillerie lourde.
Raconter dire écrire, ce n’est déjà plus être une victime, c’est refuser de creuser le trou, l’échine ployée ; c’est vouloir en sortir.
Pour l’heure, dans l’histoire de mes enfants par exemple, les « victimes » deviennent les « bourreaux », les « bourreaux » devenant à leur tour des « victimes » Tout est question de subjectivité, de point de vue, tout dépend de quel côté on tient la lorgnette, la victime n’étant pas toujours celle qu’on croit.
Quand à Christophe et Cyril, la justice, dans sa démarche de recouvrement de créances, leur a tricoté un costume de coupable, du sur mesure, avec cravate assortie qui leur écrase déjà la trachée. Les pauvres surveillants, en particulier celui qui a tiré sur l’hélicoptère, ont enfilé leurs grenouillères en éponge velours d’anges innocents. Ils ont planqué les cagoules dans leurs poches, ça peut toujours servir si le débiteur n’est pas enclin à se laisser déposséder de sa vie. On grimpe encore un échelon et on torture la famille dans cette optique de « remboursement » à tout prix, créant ainsi de nouvelles victimes de ce vrai faux commerce équitable.
Personne ne s’interroge sur le fait qu’un(e) condamné(e) auquel(le) on ôte la vie par le biais d’une peine d’élimination dont tout espoir a été banni n’aura de cesse de s’évader ; une évasion est une réaction née de l’instinct de survie.
Un frère, une sœur, un proche qui donne un rein, un bout de foie ou de la moelle osseuse à celui qui en a besoin s’inscrit dans la même logique d’amour que celui qui offre un hélicoptère en vue d’une greffe de vie et de liberté. C’est le même mécanisme affectif qui se met en place. Qui oserait affirmer que dans un cas d’extrême détresse, il n’aimerait pas voir arriver son frère, sa sœur ou un proche pour le sauver ? Si celui-là existe, qu’il me jette la première pale.
Je suis engagée dans un combat contre la fatalité sécuritaire et l’inertie du « ça ne sert à rien ». J’ai décidé de faire cette lettre ouverte au juge ainsi que des dépôts de plaintes antérieurs, présents ou futurs, au moindre débordement de la justice et de la pénitentiaire ; ces deux institutions ayant tendance à oublier les lois.
J’exige un procès équitable pour mes fils et la vie sauve pour ma fille et moi.
J’en ai assez que nous recevions, elle et moi, de l’aide humanitaire d’une main (sous forme de trithérapie), et de l’autre la mort sous forme de convois exténuants et tuants vers ces taules concentrationnaires et de plus en plus éloignées.
Je m’adresse à tous ceux qui en ont marre de subir le joug vengeur et barbare de cette justice ; une justice qui tend à nous séparer de nos familles, une justice qui nous prive de notre courrier, de nos dessins d’enfants, une justice qui nous excentre à outrance. Une justice qui met sur un pied d’égalité, en bas de l’échafaud symbolique, le mis en cause et sa famille. Je m’adresse à tous ceux qui en ont marre de subir les brimades en tout genre, les assauts massifs et répétés de la pénitentiaire, les actes de barbaries et les humiliations.
AmiEs guérilléros, venez rejoindre les rangs de ceux et de celles qui refusent la démission totale et l’abdication des personnes détenues. Devant le viol en réunion des droits de l’homme par ceux qui les ont mis en place, ne laissez plus rien passer, écrivez, dénoncez, déposez des plaintes, mobilisez leur temps et leur énergie, luttez pied à pied. Pendant qu’ils sont occupés par les tribunaux administratifs, ils gardent leurs matraques et leurs cagoules dans leurs poches.
Ne nous laissons pas broyer par les mâchoires acérées du piège sécuritaire, car si nous attendons un sursaut d’humanité de leur part en nous vautrant dans un fantasme de revanches futures, le piège se refermera inexorablement sur nous. Il ne nous restera pas d’autre solution que de se bouffer la patte pour s’extraire de ce présent indicible et mortifère.
Il ne faut surtout pas rentrer dans cet autre concept à la mode du « je ne peux pas faire le deuil tant que l’autre en face, n’a pas payé par des moyens financiers, par son travail, ou de sa vie ».
J’ai beaucoup de mal à comprendre les gens qui après la disparition d’un proche ou sa mise en fauteuil roulant (suite à un accident de voiture par exemple), sont persuadés que si le coupable prend une peine de prison à perpétuité, ça le ramènera à la vie ou ça lui rendra l’usage de ses membres ; comme si une telle condamnation pouvait apporter dans leur vie, une espèce de redistribution du malheur.
Pour ma part, j’ai constaté lors du décès de ma mère, il y a quatre ans, qu’accuser l’hôpital ou le destin m’empêchait de lui laisser sa place. La plus belle façon de la faire vivre était de reprendre le flambeau de son combat pour les siens, qui aujourd’hui encore éclaire ma vie et notre famille.
La vengeance est stérile, surtout quand elle poignarde la souffrance dans le dos.

Catherine
catherine-2005@hotmail.fr