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(2005) Lettre ouverte de Laurent Jacqua aux parlementaires sur le respect dû aux prisonnier(e)s

Mise en ligne : 7 avril 2005

Texte de l'article :

Yzeure, mars 2005

Objet : Courrier adressé aux Député(e) s et aux Sénateur (trice) s

Madame, Monsieur,

Je vis dans un pays...

Je vis dans un pays où il faut être blanc et riche pour être traité humainement et jugé par une justice équitable.

Je vis dans un pays où l’on jette les « sans papiers » en prison et où l’on est capable lors des expulsions de les étouffer jusqu’à ce que mort s’en suive.

Je vis dans un pays où dans les prisons on peut vivre avec quatre autres détenus dans 9 m2 pour une seule cuvette de toilette.

Je vis dans un pays où le placement en isolement (que l’on appelle aussi la torture blanche) peut durer des années sans moyen d’appel jusqu’à en devenir fou.

Je vis dans un pays où les miradors peuvent tirer dans le dos d’un homme désarmé.

Je vis dans un pays où je n’ai plus le droit à l’expression, où mes conversations sont écoutées, où mes courriers sont lus.

Je vis dans un pays où ma vie est sous surveillance constante et où je n’ai droit à aucune vie intime ou familiale.

Je vis dans un pays où l’on me refuse le droit d’avoir une vie affective et sexuelle avec mon épouse.

Je vis dans un pays où des femmes peuvent accoucher menottées.

Je vis dans un pays où lorsque je suis emmené à l’hôpital je suis entravé et menotté dans le dos et où, durant la consultation, toujours enchaîné, le secret médical n’est pas respecté à cause de la présence des forces de l’ordre.

Je vis dans un pays où au lieu de soigner les malades mentaux on préfère les jeter en prison.

Je vis dans un pays où l’on me refuse la suspension de peine alors que je suis atteint d’une pathologie grave.

Je vis dans un pays où on laisse les malades et les vieux mourir en cellule, ou atteindre la phase terminale pour daigner les libérer.

Je vis dans un pays où je ne peux être soigné convenablement parce que la sécurité est prioritaire sur la santé.

Je vis dans un pays où les prisonniers sont exploités pour des salaires de misère.

Je vis dans un pays où je ne peux me syndiquer, où je ne peux créer une association, où je ne peux même pas faire partie d’un groupe d’individus sous peine d’être transféré. 

Je vis dans un pays où il est préférable d’être un animal domestique plutôt qu’un détenu si l’on veut être considéré par l’opinion public.

Je vis dans un pays où ma dignité n’est pas respectée, où je peux être fouillé à nu tous les jours et être obligé, par la force, de m’accroupir et de tousser.

Je vis dans un pays où des hommes cagoulés peuvent venir m’enlever la nuit, me bâillonner, m’attacher, me séquestrer et me transférer dans un lieu inconnu sans prévenir ma famille.

Je vis dans un pays où les longues peines sont emmurées vivants au fin fond de « centrales tombeaux » sans espoir de revoir un jour la liberté.

Je vis dans un pays où la population pénale a un taux de suicide 7 fois supérieur à la moyenne nationale.

Je vis dans un pays où le taux de mortalité carcérale ne permet pas de dire que la peine de mort est abolie.

Je vis dans un pays où la prison tue aussi certainement qu’elle emprisonne.

Je vis dans un pays où la dictature du tout sécuritaire abolie mes droits les plus fondamentaux.

Je vis dans un pays où les commissions parlementaires disent que les prisons sont une honte pour la république.

Voilà mon quotidien, ma vie de prisonnier que vous ne supporteriez pas une seconde. Un tel traitement on croirait cela possible dans un pays totalitaire et pourtant ce pays c’est la France !

Si vous viviez un tel cauchemar avec cette liste effarante de privations de libertés pour seul droit, vous subiriez le plus haut degré de la tyrannie, de l’asservissement, de l’oppression et de la répression, le contraire du fondement d’une démocratie.

Aucune femme, aucun homme, quoiqu’ils aient fait, ne devrait endurer de telles conditions au sein d’un pays qui se prétend être la Patrie des droits de l’homme.

Or cet univers existe bel et bien aujourd’hui dans notre beau pays, en effet les personnes incarcérées vivent tous les jours ces manquements à la dignité humaine mainte fois condamnés par la Cour Européenne.

Il est temps d’en finir avec ces traitements indignes et dégradants que subissent les prisonnières et les prisonniers au sein des prisons françaises. Il est temps de réclamer notre part légitime de dignité et de respect comme tous citoyens.

Laurent JACQUA
Président d’honneur de Ban Public. 
Détenu à la centrale de Moulins Yzeure.

Laurent JACQUA
9959 / 2D
M.C.
BP 41
03401 YZEURE