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(2004) Lettre ouverte aux parlementaires : la suspension de peine

Mise en ligne : 18 novembre 2004

Dernière modification : 18 novembre 2004

Texte de l'article :

Mercredi 3 novembre 2004

Objet : Courrier adressé aux Député(e)s et aux Sénateur(trice)s sur les conditions de détention des détenu(e)s malades.

Monsieur, Madame,

Hier, mardi 2 novembre, ma demande de suspension de peine a été rejetée par la commission d’application des peines parce que je suis un séropositif en trop bonne santé, d’après les experts.
Effectivement, grâce au lourd traitement médical que je prends, je suis provisoirement sorti d’affaire, mais pour combien de temps ?

J’aimerai un instant que vous imaginiez ce que l’on peut ressentir lorsqu’on vous fait comprendre qu’il n’y a, pour vous, qu’une seule façon de sortir de prison, être à l’article de la mort.
Si vous aviez un fils, une fille, un proche parent dans cette situation que feriez-vous ?
Le laisseriez-vous aux mains du monde carcéral jusqu’à ce que sa santé se détériore et qu’on le laisse sortir mourant.

Non ! Vous feriez tout pour le faire libérer, car vous trouveriez inadmissible de laisser un malade vivre dans de telles conditions. Vous provoqueriez un scandale, vous invoqueriez les droits de l’Homme, la dignité, l’humanité dû à chaque détenu(e). Bref vous vous sentiriez concerné.

Mais ce n’est pas le cas et, le sort de pauvres bougres comme nous n’intéresse personne. Nos souffrances doivent être subies dans le silence et l’indifférence générale, après tout nous ne sommes que des « gueux » voués aux plus sombres destins.

Et pourtant, il va bien falloir que quelqu’un se lève pour crier haut et fort que le sujet « tabou » des prisonnier(e)s malades est un scandale !

Il va falloir le faire, car nul n’à l’air de se rendre compte qu’il y a, dans les quelques 190 prisons françaises, des personnes qui meurent dans les pires conditions, alors que des commissions d’application des peines tergiversent sur leurs demandes de suspension de peine. Actuellement ces juridictions n’attendent que les derniers instants pour daigner affranchir les malades en fin de vie.

Cancer, sida, vieillesse et autres pathologies frappent aux portes de centaines de cellules chaque année et combien sont ceux qui seront poussés dans la tombe avec encore à leurs pieds les entraves ?
Image un peu forte me direz-vous ?

Pas plus que celle d’un(e) détenu(e) expirant sur un lit de l’hôpital « prison » de Fresnes où il n’y a même pas un service de soins palliatifs, (50 décès par an dans cet établissement soit environ un par semaine, si on ajoute à cela un suicide tous les trois jours sur l’ensemble des établissements pénitentiaires, le bilan est lourd)

Toute personne touchée par la maladie ne doit pas être considéré comme un(e) détenu(e), la peine d’enfermement doit prendre fin et tout doit être fait pour soulager et soigner le (la) patient(e), on a jamais guéri personne au fond d’une cellule, bien au contraire.

Il faudrait instaurer d’urgence un système d’assignation à résidence pour les prisonnier(e)s atteint(e)s d’une pathologie grave (les technologies de surveillance actuelles le permettent), cela leurs permettrait de vivre près de leurs proches et d’être soigné convenablement avec beaucoup plus de chance de guérison, puisque le stress et la dépression causés par l’environnement carcéral sont souvent des facteurs aggravant de la maladie. Il est certain que le taux de mortalité baisserait avec la mise en place d’un tel système. Il suffirait juste d’un peu de volonté politique, d’intelligence et d’humanité de la part des pouvoirs publics pour mettre en œuvre cette alternative à l’incarcération des malades.

Mais non, au lieu de cela on préfère punir jusqu’à ce que mort s’en suive. De nos jours les sanctions pénales doivent s’appliquer même sur un lit de mort avec, s’il le faut, des menottes aux poignets.

C’est la culture de l’expiation dans la douleur qui règne au sein du monde du ministère de la justice et de l’application des peines, il faut vraiment réviser cette mentalité digne du moyen âge et de l’inquisition. Nous sommes loin de la civilisation dans ce monde carcéral beaucoup périssent dans ce déni des droits de l’Homme que sont les prisons.
A quand la véritable abolition de la peine de mort ?

Atteint par le sida depuis vingt ans, je ferai sans doute partie de ceux qui périront dans ces cages, mais qu’on se le dise, je ne le ferai pas en silence...

Et que doit-on dire de ces peines trop lourdes qui nous sont infligées ? Pour ma part, je suis condamné à 30 ans. Aucun dictateur ou tyran sur cette planète n’a jamais fait ou subi une telle sanction, mise à part la peine de mort à laquelle beaucoup ont pu échapper. Même les criminels de guerre jugés par le tribunal international de la Haye ne sont pas aussi lourdement condamnés !...
Un jour, il faudra faire des statistiques sur ces condamnations éliminatoires pour savoir combien de détenu(e)s ont pu survivre à ce substitut de la guillotine et on découvrira certainement qu’il n’y en aura eu que très peu.
Ce sont des peines inconcevables qui réduisent à néant tout espoir et, si on y ajoute, comme c’est mon cas, la maladie, alors c’est sûr il n’y a plus aucune chance. N’est pas Papon qui veut !...

On dit que le (la) détenu(e) doit trouver un sens à sa peine, manifestement dans de telles circonstances, je ne peux en trouver car je suis dans la démesure, dans la disproportion pénale. Je n’ai pourtant été condamné que pour avoir volé de l’argent et réussi une évasion, sans enlever la gravité des faits, dois-je être autant sanctionné en tenant compte de la maladie qui me frappe ?

Il faut croire que la société défend ses intérêts au-delà de ce qu’il faudrait, ceci dans un état d’esprit de vengeance ultra sécuritaire et ça, ce n’est pas la justice.

Bien sur il y a les victimes, mais sachez qu’après quinze années passées dans une prison, un(e) détenu(e) a des séquelles irréversibles (s’il arrive jusqu’au bout), alors doit-on prolonger la sanction jusqu’à la mort ou attendre qu’il soit trop tard pour une réadaptation éventuelle ?

On ne combat pas une injustice faite aux victimes par une autre injustice faite aux condamné(e)s !

Il faut revoir tout le système carcéral et envisager de meilleures prises en charge pour les malades incarcéré(e)s, plusieurs projets et réformes n’ont jamais abouti pour diverses raisons, cependant il serait temps qu’enfin les choses changent car on ne peut pas tout miser sur le répressif, des vies humaines sont en jeux.
Faut-il changer de gouvernement pour cela ?

La société entière est concernée, à l’instar des politiques de tous bords, en effet leur devoir est de préserver la dignité humaine et de défendre les droits de l’homme partout sur le territoire, même au sein des prisons.

En attendant cette éventualité, malheureusement pas d’actualité, je vous invite à me soutenir dans ce combat pour que cesse cette hécatombe carcérale indigne de notre pays, pour cela il vous est possible d’intervenir en questionnant le gouvernement jusqu’à ce qu’il donne enfin une réponse satisfaisante et humaine à ce problème.

Comme vous le savez, vous pouvez me rendre visite à la centrale de Moulin Yzeure ainsi nous pourrons dialoguer, ceci afin que vous vous rendiez compte de ce que peut vivre concrètement une très longue peine.
Moins de misérabilisme, moins de pitié, plus de respect, plus de considération, voilà ce que je demande.

Monsieur, Madame, je vous prie de bien vouloir agréer mes salutations les plus respectueuses.

Laurent JACQUA
Président d’Honneur de Ban Public
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Laurent Jacqua
9959 / 2D
Maison Centrale
BP 41
03401 YZEURE

Dossier à consulter :
Observatoire de la santé et de l’hygiène : http://www.prison.eu.org/rubrique.php3?id_rubrique=777