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(2004) Les détenus hospitalisés pourront être menottés dans le dos

Mise en ligne : 26 novembre 2004

Texte de l'article :

Une première note de l’administration pénitentiaire rendait même cette mesure obligatoire.
Ordre a été passé par l’administration pénitentiaire, le 14 octobre, en "urgence signalée", de menotter dans le dos tous les détenus extraits de leurs prisons pour des raisons médicales. C’est en réaction à l’évasion de Laurent Aouadj, dit "le Gominé", que la note a été publiée. Ce détenu de la maison d’arrêt de la Santé, à Paris, braqueur et agresseur sexuel considéré comme dangereux, avait profité, le 8 octobre, d’une visite de routine à l’hôpital pour sauter par une fenêtre. Il n’a pas été retrouvé.

"Le port des menottes sur le devant du corps -a- favorisé sa fuite, affirme le texte. Tous les détenus, quelle que soit leur dangerosité, leur catégorie ou leur situation pénale, devront être obligatoirement menottés dans le dos en permanence (pendant leur trajet et à l’hôpital) sauf impossibilité liée à des motifs d’ordre physique ou médical."

Le Conseil d’Etat a été saisi, le 12 novembre, par l’Observatoire international des prisons (OIP), d’un référé-suspension. Selon l’OIP, ces instructions risquent d’entraîner l’annulation d’examens médicaux programmés en hôpital de ville et de donner lieu à des traitements dégradants. Surtout, la note est contraire au code de procédure pénale. Celui-ci indique que "nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de prendre la fuite".

"INAPPLICABLE"

Ces questions ont déjà soulevé la polémique. Fin 2003, une détenue de Fleury-Mérogis (Essonne) avait accouché menottée. En mars, une femme incarcérée à Bonneville (Haute-Savoie) avait été violée par un ambulancier, dans le véhicule qui la conduisait, entravée aux pieds et sous escorte, à l’hôpital (Le Monde du 23 mars).

Le Conseil d’Etat, qui examinera le 1er décembre la requête de l’OIP, pourrait ne pas donner suite : l’administration a d’ores et déjà corrigé le tir. Selon Patrice Molle, directeur de l’administration pénitentiaire, le contenu de la note, qui a suscité des réactions immédiates, relevait d’une "maladresse de formulation". "Nous nous en sommes rendu compte et en avons profité pour préciser les règles qui encadrent les escortes lors des consultations des détenus dans les hôpitaux", poursuit M. Molle, qui "assume que les détenus dangereux soient menottés".

Une nouvelle circulaire a été publiée le 18 novembre. Elle appelle à différencier les situations, en accord avec le code de procédure pénale, mais maintient qu’il peut être recommandé, lors du trajet et dans l’hôpital, "de menotter le détenu dans le dos lorsque sa personnalité fait apparaître des risques sérieux d’évasion ou de troubles à l’ordre public". Le texte prévoit aussi un "niveau de surveillance III" pendant la consultation médicale elle-même, "sous surveillance constante du personnel pénitentiaire et moyen de contrainte".

Selon le docteur Pierre-Yves Robert, médecin au centre pénitentiaire de Nantes, la note du 14 octobre était "inapplicable". Des détenus ont refusé d’être extraits ainsi menottés, signale-t-il. Parmi les médecins, certains refusent d’examiner des malades enchaînés, d’autres trouvent la parade en signant des certificats médicaux proscrivant les entraves. "Le tout-sécuritaire nous gêne dans notre pratique, regrette le docteur Robert. On ne peut pas, sans discrimination, appliquer des mesures à tous parce qu’un seul s’est évadé." Environ 60 000 extractions médicales ont eu lieu en 2003. Quinze évasions se sont produites en ces occasions, sur vingt au total.

Nathalie Guibert

Source Le Monde