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Date : 18-04-2005

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(2003) Saisine no 2003-26 pour connaitre les conditions du décès de B.S. détenu

Mise en ligne : 19 avril 2005

Dernière modification : 12 avril 2006

Texte de l'article :

Saisine no 2003-26

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de la saisine, du 24 avril 2003, par M. Robert Badinter, sénateur des Hauts-de-Seine.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie le 24 avril 2003, par M. Robert Badinter, sénateur des Hauts-de-Seine, des conditions du décès de M. B. S., âgé de 19 ans, qui a été retrouvé pendu, le 25 avril 2002, alors qu’il était détenu au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Tarbes.
La Commission a demandé les pièces des dossiers au parquet du tribunal de grande instance de Tarbes. Elle s’est rendue à la maison d’arrêt de Tarbes où elle a procédé à l’audition de trois surveillants dont un premier surveillant, du médecin responsable de l’unité de consultation et de soins ambulatoires et d’une infirmière. Elle effectué une visite du quartier disciplinaire. Elle a eu un entretien avec l’actuel directeur de la maison d’arrêt. Elle a procédé à l’audition de l’ancien directeur de l’établissement, en poste l’année 2002.
Elle a recueilli les déclarations de la mère et d’une sœur de B. S.

- B. S.

Le 25 avril 2002 à 19 h 50 B. S. est découvert, deux jours après son arrivée à la prison de Tarbes, dans une cellule disciplinaire, pendu à la grille de séparation cellule-sas, un drap autour du cou et du crâne. Les premières constatations, l’enquête judiciaire, l’enquête interne concluent au suicide par pendaison. Les témoignages des surveillants et du directeur concernant ce détenu, repéré par l’administration pénitentiaire comme « violent et vindicatif », « non suicidaire, non dépressif » par le service de santé de la prison, les conduisent à émettre l’hypothèse d’une simulation de suicide ayant mal tourné. B. S aurait pu projeter soit de faire pression pour obtenir son transfert dans un autre établissement, soit de faire venir un surveillant dans la cellule pour l’agresser, et il aurait alors été victime de sa mise en scène.
La famille a déposé plainte contre X pour homicide involontaire avec préméditation, violences volontaires et non-assistance à personne en péril. Un non-lieu est prononcé le 29 octobre 2003 par le juge d’instruction de Tarbes, frappé d’appel par l’avocat de la famille, le 13 novembre 2003, appel interjeté au-delà du délai prescrit par la loi, et susceptible donc d’un constat d’irrecevabilité.
De l’examen des pièces de la procédure et des investigations de la Commission, il ressort les faits suivants :

- LES FAITS

Incarcéré le 14/01/02 à la maison d’arrêt d’Albi, B. S., âgé de 19 ans, originaire de Castres, doit purger deux peines d’emprisonnement de trois et quatre mois. Sa date de libération est fixée au 14 août 2002. Transféré pour raison administrative au centre de détention régional de Saint-Sulpice, le1/2/02, B. S. réagit très mal à ce transfert. Il multiplie les demandes de retour à la maison d’arrêt d’Albi. À ce propos, un incident l’oppose au directeur de Saint-Sulpice. Une procédure disciplinaire et une procédure judiciaire pour outrage sont engagées à son encontre pour avoir craché sur le directeur.
La Commission de discipline le sanctionne de dix jours de quartier disciplinaire.
Le tribunal de Castres prononce, le 13/3/02, une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis. Puis B. S. est transféré, le 5/3/02, à la maison d’arrêt de Toulouse.
Le 23 avril 2002, B. S. fait à nouveau l’objet d’un transfert « pour désengorgement » de la maison d’arrêt de Toulouse. Il arrive à la maison d’arrêt de Tarbes vers 19 h 30 avec son dossier, sans son paquetage ni son dossier médical. Il est affecté en cellule avec M.K.
Le 24 avril dans la matinée, il est examiné dans le cadre de la consultation « arrivant » par le docteur A., responsable de l’UCSA. L’examen médical ne fait ressortir aucun élément particulier. Sont notés cependant, signalés par le détenu, des antécédents de fractures de la mâchoire, de la cheville droite, de deux doigts de la main. Le médecin ne dépiste pas d’état dépressif, « de passé ou antécédents psychologiques ». B. S. se plaint de ne pas avoir reçu son paquetage et exprime un fort sentiment d’injustice par rapport à son transfert. Cependant, le contact est bon, l’échange est qualifié par le médecin « d’agréable ».

La journée du 24 avril
16 h /16 h 15 : le codétenu M. K. demande dans le couloir au surveillant en poste de changer B. S. de cellule. Le motif invoqué par ce détenu au surveillant G. est « qu’il ne s’entend pas avec B. S. et qu’il en a peur, [...] qu’il craint pour sa sécurité ».
16 h 15 : le 1er surveillant C., informé par le surveillant G., décide de changer de cellule B. S. Les deux surveillants se rendent à la cellule et expliquent à B. S. les raisons qui motivent le changement de cellule, « c’est-à-dire le fait que K. nous avait dit qu’il ne s’entendait pas avec lui »  [1] et lui donnent l’ordre de changer de cellule [2]. Selon les déclarations du 1er surveillant, ce dernier se serait alors exclamé : « Qui commande ici, les bleus ou nous ? »  [3] et selon celles du surveillant G., « B. S. a commencé à nous demander qui commandait, si c’était les détenus ou l’administration pénitentiaire » [4].
B. S. refuse de changer de cellule. Le surveillant G. a déclaré à la Commission : « Devant ce refus, le premier surveillant a décidé de le placer en prévention. Il n’a eu aucun geste ni propos agressif, il était mécontent, il est descendu sans problème au rez-de-chaussée. »  [5]
Le Dr A., contacté par la prison, répond qu’il a ausculté ce détenu le matin même et qu’il ne voit aucune contre-indication à sa mise au quartier disciplinaire.
16 h 30 environ : le premier surveillant C. et le surveillant G. parviennent avec B. S., au rez-de-chaussée où est situé le quartier disciplinaire, accompagnés du surveillant Ra. Se joint à eux le surveillant M. qui est en poste au rez-de-chaussée et a donc la charge du quartier disciplinaire.
Devant la cellule du quartier disciplinaire, le premier surveillant C. demande à B. S. de se déshabiller pour subir une fouille à corps. « Là, B. S. a complètement disjoncté. »  [6] À la Commission, le premier surveillant C. a répondu, concernant le déshabillage, : « Il a eu alors un mouvement pour partir [...] je pense que c’est ce qui l’a braqué [...] Peut-être a-t-il eu peur qu’on l’agresse. »
S’ensuit, selon les déclarations à l’époque, « une bousculade ». Les surveillants tentent de ceinturer B. S., qui tombe au sol et se cale entre deux murs. Les surveillants ne parviennent pas à le déloger de cette place. Surviennent en renfort le directeur M. F. et le surveillant M. Ro. Le directeur a déclaré à la Commission : « Je trouve les surveillants très calmes. B. S. ne crie pas, la situation est figée. [...] J’ai dit à M. B. S. d’entrer dans la cellule. Il était très contracté et n’a pas répondu. Je l’ai prévenu que nous allions employer la force strictement nécessaire. [...] Les agents se saisissent de lui, il se lève et entre dans la cellule sans manifester la moindre résistance. Il s’est déshabillé pour la fouille de sécurité réglementaire.
L’incident était clos. » Selon le surveillant Ra. : « Dans cette cellule, il s’est déshabillé, mais il a fallu insister car il s’y refusait un peu. » De son côté, le surveillant C. a déclaré : « La fouille a eu lieu dans la cellule au lieu du couloir. Le directeur est parti. Et malgré le fait que B. S. se rebelle, nous avons pu procéder à la fouille. Il a sorti de lui-même le tee-shirt marron mais, par contre, il a fallu que nous lui enlevions nous-même le pantalon. » Le surveillant M. a déclaré : « Nous avons procédé à la fouille, c’est-à-dire qu’il s’est déshabillé entièrement. Après la fouille, il s’est calmé. »
Les surveillants qui sont intervenus déclarent ne pas avoir porté de coups directs au détenu. « Par contre, nous nous sommes tous cognés contre le sol et les murs. D’ailleurs deux surveillants étaient blessés à la main. » [7]
La direction et les surveillants préparent le dossier destiné à la commission de discipline prévue pour le 26 avril à 16 h. Ce dossier est constitué de huit feuillets : rapport d’incident, rapport d’enquête (article D. 250-1 du CPP), demande d’assistance ou de représentation, convocation à la commission de discipline.
Selon le compte rendu d’incident rédigé le 24 avril par le surveillant G., le rapport d’enquête établi par le 1er surveillant M., le 25 avril, et les déclarations du directeur M. F [8], le refus de B. S. de changer de cellule constitue une faute disciplinaire du deuxième degré relevant de l’article D. 249-2 alinéa 6 du CPP, le détenu ayant refusé « de se soumettre à une mesure de sécurité définie pas les règlements et instructions de service », faute à laquelle s’est ajoutée celle de l’alinéa 9 de l’article D. 249-2 du CPP visant la détention « d’objets ou substances non autorisés par les règlements », suite à la découverte dans son paquetage « d’une lame de rasoir soudée en bout d’un manche plastique ».
Vers 18 h 30, le docteur Athanase va voir B. S. au quartier disciplinaire. Il trouve le détenu calme et occupé à rédiger une lettre au juge d’application des peines. B. S. lui dit qu’il demande son transfert. « En fait, il demandait son retour sur Toulouse. Il n’était pas vindicatif et la seule animosité qu’il exprimait concernait son transfert. J’ignore si on lui avait expliqué son transfert et ce qu’on avait pu lui dire sur la prison de Tarbes. Selon moi, il est arrivé avec une idée fausse sur l’établissement. » Le docteur A. examine B. S. et constate « une contusion thoracique sur le bord droit avec une lésion de râpage cutané ». Il note aussi « une douleur ponctuelle à la pression au niveau de l’arc moyen des côtes basses », « tout cela était minime et superficiel ». Le médecin a déclaré : « Je n’ai senti aucun état dépressif majeur lors de la conversation de vingt minutes que nous avons eue. [...] L’entretien s’est bien déroulé, j’ai noté “entretien positif”. »
Dans sa lettre, datée du 24 avril 2002, B. S. demande au juge d’application des peines « une confusion de peines pour deux condamnations de quatre et trois mois d’emprisonnement, et le remercie “de ne pas m’avoir condamné aux quatre mois du 13 mars, de me les avoir mis en sursis” » Il ajoute : « Je suis bel et bien décidé à réfléchir sur un projet à ma sortie et foncer tout droit vers, peut-être, une conditionnelle, je prendrai contact immédiatement avec le comité de probation. »
Il informe le magistrat qu’il fait une demande à la direction générale de l’administration pénitentiaire pour demander son transfert « en cas de refus de la conditionnelle ou de la confusion des peines », et sollicite l’appui du JAP sur ce point.

La journée du 25 avril
A - Le directeur de l’établissement M. F. adresse un courrier, posté le jour même, au procureur de la République de Tarbes, relatif à « l’incident de la mise en prévention » du détenu B. S. Le directeur M. F. déclare que B. S. « a refusé avec véhémence et agressivité » d’exécuter l’ordre de changement de cellule donné par « mesure de sécurité vis-à-vis de son codétenu, en demandant qui c’était qui commandait ici, les détenus ou les surveillants ». Le directeur demande que soit engagée une procédure judiciaire à l’encontre de B. S. pour rébellion et blessures occasionnées à deux agents lors de l’intervention de placement au quartier disciplinaire. Sont joints deux certificats médicaux du surveillant G. pour « déficit de l’extension dans la phalange du 5e doigt de la main gauche (rupture tendon
extenseur ?) » et « hématome avec suspicion de fracture articulaire P2 P3 5e doigt main gauche » pour le surveillant M. Un arrêt de travail de quatre jours est prescrit au surveillant G.
Selon les déclarations du directeur M. F. sur le déroulement de la journée du 25 avril, « aucun incident ne m’est signalé ».
Dans un témoignage fait en juin 2002 sur la journée du 25 avril, le premier surveillant C. avait déclaré être allé voir B. S. le matin, dès l’ouverture pour le petit déjeuner, et lui avoir demandé de replier ses draps. « Il s’est exécuté sans rien dire ; il était calme et pas agressif. » Le premier surveillant relevait qu’il avait refusé la promenade, pris normalement son repas à 11 h 45.
Des investigations de la Commission, il ressort que la convocation à la commission de discipline a été notifiée et signée par B. S. à 13 h 45 et que la copie de son dossier pour la commission de discipline lui a été remise à 17 h 45.

B - B. S. est découvert pendu à 19 h 50 par le surveillant M., lors d’une
ronde du service de nuit.
Ne détenant pas les clés des cellules du quartier disciplinaire ni du quartier d’isolement, le surveillant M. appelle le surveillant A. en poste au PC I, puis le rejoint, celui-ci téléphonant au gradé d’astreinte. En effet, « pour des raisons de sécurité », en service de nuit (de 19 h à 7 h 00), les clés des cellules sont placées dans un placard qui se trouve au PC I. Ce placard est lui-même fermé à clé et la clé qui ferme ce placard se trouve elle-même dans un coffre situé au greffe. Le gradé d’astreinte, en l’occurrence ce soir-là le directeur M. F., doit se rendre le plus vite possible à la prison avec les clés du coffre.
Selon les déclarations du surveillant M., il s’est écoulé entre 10 et 20 minutes avant l’ouverture de la cellule. Il indique : « À l’arrivée du directeur, accompagné du surveillant A., nous avons ouvert la cellule. J’ai utilisé mon canif pour couper le drap. Nous l’avons posé sur le lit et les secours sont arrivés aussitôt. »
Répondant à la question de la Commission : « Les détenus savent-ils que les surveillants n’ont pas la clé, la nuit ? », le surveillant M. a répondu : « Je pense que les détenus déjà incarcérés antérieurement le savent ou l’apprennent très vite. » Un chef de service pénitentiaire a expliqué à la Commission : « Cette information circule entre les détenus. Elle n’est pas donnée systématiquement. En ce qui concerne M. B. S., je pense qu’au vu de son parcours carcéral il devait être au courant. Nous avons constaté que beaucoup des tentatives se font à des moments repérés par les détenus, où il y a du personnel, au moment des rondes, plutôt dans la journée. Selon moi, une tentative de suicide qui est faite pendant le service de nuit est beaucoup plus le fait d’un détenu décidé à en finir. » Le directeur M.F. a indiqué : « Il nous est arrivé de prévenir des détenus malades ou des toxicomanes que les médicaments ne pouvaient être distribuées la nuit et que nous devions donc prendre des dispositions pour eux concernant leur traitement. »
Le compte rendu rédigé par le directeur M. F. à l’administration pénitentiaire, le 26 avril 2002, concernant le suicide de B. S. indique :
- le surveillant M. trouve le détenu à 19 h 50 ;
- le directeur est intervenu à la cellule à 20 h 00, soit 10 minutes après, « avec le surveillant principal A. et le surveillant M. » ;
- les pompiers appelés arrivent à 20 h 05 ;
- le médecin de permanence pour les urgences, le docteur C. arrive à 20 h 10 et constate le décès ;
- le commissariat arrive à 20 h 20, le substitut du procureur à 20 h 25 ;
- une autopsie est décidée.
Sont indiqués par ailleurs que « rien ne laissait supposer cet incident ». B. S. avait pris son repas à 17 h 50. « Lors de la ronde de fermeture, il était allongé sur le lit et ne semblait pas dépressif, à 18 h 50. »
De l’examen des relevés d’interventions des services de secours d’urgence (appels téléphoniques, fiches d’interventions), il ressort que le central des urgences a été appelé à 20 h 05.
Le docteur C. a été appelé à 20 h 07 (le SMUR n’était pas disponible). La maison d’arrêt recontactée par le central à 20 h 10 a répondu que le détenu était décédé. Le médecin aussitôt informé s’y est rendu « quand même, pour les formalités ». Les pompiers sont arrivés sur les lieux à 20 h 15.
Les pompiers ont fait un bilan secouriste, constaté un arrêt cardioventilatoire, entrepris un massage cardiaque et une ventilation artificielle. Ils indiquent : « Le docteur C. est arrivé et à un moment nous a dit d’arrêter car le patient était mort. » Rendu sur les lieux vers 20 h 30 environ, le médecin notait « suicide par pendaison survenue entre 19 h 15 et 19 h 55 (heure de la découverte du corps) ; patient déclarémort àmon arrivée après 15 minutes de réanimation cardiorespiratoire ; il était froid et en mydriase bilatérale ».
Deux certificats de décès ont été faits le 25 avril par le docteur C. L’un sur réquisition de l’officier de police judicaire à 20 h 45 qui certifie avoir examiné à 20 h 30 B. S. et atteste « que la mort est réelle et constante à 20 h 30 à mon arrivée ». Le deuxième certificat indique 19 h 50 comme heure du décès. Cette heure est celle de la découverte de B. S. par le surveillant, 45 minutes avant l’arrivée du médecin.

- AVIS

Sur le transfert de B. S.
Des investigations de la Commission, il ressort que son transfèrement s’est fait dans un contexte difficile marqué par un nombre élevé de transferts au cours de l’année 2002 vers la maison d’arrêt de Tarbes pour cause « d’engorgement » des établissements de grandes villes voisines, principalement Toulouse. Les détenus arrivaient excités, mécontents d’être éloignés de leur famille, et sans leur paquetage. Cet état de fait générait « une tension entre les détenus et avec les surveillants, qui pouvait durer jusqu’à ce que le paquetage arrive ».
B. S. est arrivé en soirée, et sans son paquetage. Il s’agissait pour ce jeune détenu, condamné à une peine de moins d’un an, du quatrième établissement pénitentiaire en quatre mois, ce nouveau transfert l’éloignant de plus en plus de son lieu d’origine et de sa famille.
La Commission estime que cette instabilité permanente est préjudiciable aux détenus, notamment aux plus jeunes, et compromet leur adaptation à la vie carcérale. Elle génère aussi des tensions supplémentaires avec les personnels de surveillance, par ailleurs en nombre insuffisant. Elle témoigne, tout du moins, d’un état de crise préoccupant de la gestion des incarcérations.
La Commission observe que l’administration pénitentiaire était informée, dès son premier transfert, des demandes incessantes de B. S. de se rapprocher de sa ville d’origine. Cette demande avait suscité un incident en février 2002 avec le directeur de Saint-Sulpice. Il avait été sanctionné par la commission de discipline par des jours de mitard et condamné le 13 mars par le tribunal de Castres à quatre mois d’emprisonnement avec sursis.
Ce détenu estimé difficile est arrivé avec son dossier. La Commission retient que la direction et les personnels prennent connaissance des informations concernant B. S., sa fiche pénale, ses antécédents disciplinaires.

Sur l’incident du 24 avril et la mise en prévention de B. S.
La direction de l’époque et les surveillants font valoir que c’est par souci de la sécurité de son codétenu que la décision a été prise de changer de cellule B. S. Et qu’il a d’ailleurs été trouvé dans la cellule, après sa mise au quartier disciplinaire, « une lame de rasoir soudée à l’extrémité d’un manche plastique » [9]
La Commission a constaté que les déclarations des surveillants divergent sur les circonstances, et les éléments apportés ce jour-là par le codétenu M. K. et sur la demande que B. S. soit changé de cellule, allant d’une situation de mauvaise entente entre les deux détenus à des menaces d’atteinte à l’intégrité physique de M. K. Elle note que M. K., le jour de l’affectation en cellule de B. S. (le 23 avril), avait reçu son dossier de comparution à la commission de discipline, qu’il avait déjà fait l’objet d’une procédure disciplinaire en mars 2002. Par ailleurs, le premier surveillant C. note que « M. K. était habitué à formuler ce genre de demande » [10].
La Commission s’est interrogée sur les déclarations contradictoires portant sur les propos et l’attitude qu’aurait eu B. S. avec les surveillants C. et G.
La Commission entend que B. S, transféré depuis moins de 24 h, apprenant des surveillants qu’on le change de cellule quelques heures après son arrivée à la MA de Tarbes « parce que son codétenu ne s’entend pas avec lui », ait montré du mécontentement et se soit emporté jusqu’à « demander qui commande les détenus ou l’administration pénitentiaire » ou, selon le surveillant C., « qui commande ici, les bleus ou nous ? » Elle considère que les dits propos, restitués tels quels en juin 2002 et en août 2002 par le surveillants G., confirmés par le surveillant C. à la Commission, ne laissent aucun doute sur leur signification : B. S. s’est étonné, d’un ton furieux, de ce que les surveillants accèdent aussitôt à la demande de son codétenu.
La Commission entend aussi les difficultés inhérentes aux affectations en cellule des détenus, sans doute aggravées par le contexte de surpopulation carcérale, le nombre élevé de transferts en fin d’après-midi de détenus, souvent sans leur paquetage, dans un climat de tensions évidentes. Dans le doute, les surveillants de la maison d’arrêt ont pu préférer séparer les deux détenus.
Cependant, la Commission estime que B. S. aurait pu être entendu par le gradé, hors de la cellule et de la présence de M. K., dans son bureau, où un minimum de dialogue peut se concevoir.
Selon le 1er surveillant, le refus de changement de cellule non accompagné de violences physiques ne constituait qu’une faute de 3e degré, non susceptible d’entraîner un placement du détenu dans une cellule disciplinaire, une telle mesure étant réservée aux fautes du 1er et 2e degré (article D250-3 du Code de procédure pénale). D’ailleurs, le transfert du détenu au quartier disciplinaire n’est pas porté sur le cahier ad hoc. Cependant B. S. fut conduit dans une cellule disciplinaire, ce qui est irrégulier au regard de la réglementation. Si, par la suite, il lui fut notifié une faute de 2e degré (refus de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements et instructions de service - art D249-2,6) ce ne peut être, selon la Commission, que pour justifier une décision non fondée.
Il est clair que B. S. au moment où il descend au quartier disciplinaire ignore qu’il est mis en prévention pour avoir refusé « une mesure de sécurité ». Cette mise en prévention précède la découverte de « l’objet non autorisé » intervenue plus tard dans la cellule. La Commission s’étonne que cet objet n’ait pas été conservé, d’autant plus que sa description, l’acteur, les circonstances et l’emplacement de sa découverte varient selon les interlocuteurs.
Enfin dans la lettre qu’il écrit le 24 avril au juge de l’application des peines, B. S. dit qu’il se trouve au mitard pour avoir refusé de changer de cellule, « car mon codétenu s’est plaint d’un mauvais rangement » et aussi « (avoir) refusé d’y rentrer (au mitard) ».

Sur la fouille à corps et les blessures des surveillants, M. M. et M. G.
Il est établi que B. S. a accepté la mise au quartier disciplinaire et n’a résisté qu’au moment de la fouille à corps.
Les surveillants n’ont pu l’effectuer dans le couloir, ont dû le déshabiller, en employant à un moment la force, et dans la cellule. B. S. n’a pas porté de coups aux surveillants et ceux-ci déclarent ne pas en avoir donné.
Les contusions thoraciques « superficielles » constatées le jour même par le docteur A. sur B. S. sont compatibles avec une saisie musclée pour le faire pénétrer dans la cellule.
Les blessures des auriculaires des surveillants ne sont pas occasionnées par des violences directes de B. S.

Sur la procédure disciplinaire
Le dossier destiné à la commission de discipline, et précisément le rapport d’enquête, indiquent à la rubrique « Observations recueillies auprès du détenu » : « Reconnaît les faits, se sentait menacé dans son ancienne affectation par ses codétenus. Reconnaît s’être emporté car il ne voulait pas changer de cellule mais voulait aller en cellule d’isolement. »
La Commission constate aussi, d’une part, que les propos tenus par B. S. aux surveillants ont été notablement modifiés (ainsi lui est attribuée la phrase : « Les ordres, c’est moi qui les donne ; c’est les détenus qui commandent. ») et, d’autre part, qu’il est noté dans le rapport d’incident « Détenu agressif, violent, à surveiller étroitement », et qu’enfin il est demandé « une sanction exemplaire ».
La Commission observe que le directeur M. F. dans son courrier au procureur de la République, daté et expédié le 25 avril, dénonce l’opposition de ce détenu à une mesure de sécurité, sa rébellion lors de la fouille, les propos (« Qui commande ici, les détenus ou le personnel ? ») d’où découlent que ce détenu a contesté en la circonstance l’autorité de l’administration pénitentiaire. Curieusement n’est pas rapporté la saisie de « la lame de rasoir soudée à l’extrémité d’un manche en plastique », mais il est demandé, « vu la rébellion et les blessures occasionnées aux deux agents lors de l’intervention », d’engager une procédure judiciaire à l’encontre de B. S.

Sur la présence et la surveillance de B. S. au quartier disciplinaire, les 24 et 25 avril
Il n’y a pas de surveillant en poste fixe au quartier disciplinaire. Le jour, il est sous la responsabilité du surveillant affecté au rez-de-chaussée qui doit gérer tous les mouvements, parloirs, infirmerie, salles d’attente.
La nuit, en dehors des quatre rondes réglementaires, les seules possibilités de communiquer pour les détenus sont un interphone relié au PC I, où la présence du surveillant de service de nuit n’est pas constante, et un interrupteur qui allume un voyant dans un couloir désert...
De l’examen des pièces relatives à l’organisation de la détention au quartier disciplinaire, les 24 et 25 avril (présences, mouvements, contrôles) et des auditions des surveillants, M. G., du premier surveillant, M. C. et du directeur, M. F., il ressort certains disfonctionnements inacceptables.
Le registre du quartier disciplinaire pour le 24 avril ne mentionne pas la mise en prévention de B.S. Est indiqué le placement d’un autre détenu.
Alors qu’« une surveillance étroite a été demandée », ni son nom ni cette recommandation n’apparaissent. La visite du docteur A. n’est pas mentionnée.
Le médecin déclare n’avoir perçu, le 24 avril, aucun signe dépressif chez B. S. lors de sa visite. La même appréciation est faite par les surveillants concernant les journées du 24 et du 25 avril.
La tonalité de la lettre rédigée le 24 avril par le détenu au juge d’application des peines est pleine d’espoir et de perspectives d’amélioration. Elle dit aussi le soulagement de B. S. de n’avoir pas à effectuer les quatre mois d’emprisonnement prononcés avec sursis le 13 mars dans les poursuites engagées par la prison de Saint-Sulpice pour outrage. La sortie du détenu est prévue trois mois plus tard. B. S. projette de demander une conditionnelle.

Sur le suicide de B.S.
Le 25 avril 2002, B. S. signe le registre attestant qu’il a reçu copie de son dossier disciplinaire à 17 h 45. Il prend connaissance des rapports des surveillants, des fautes qui lui sont reprochées, et de la demande faite d’une sanction exemplaire, ce qui a pu lui faire redouter des conséquences sérieuses sur sa situation pénale (révocation de sursis, refus de libération conditionnelle) et ce, alors qu’il est désorienté, fragilisé par des transferts successifs.
Deux heures plus tard, il est découvert pendu à la grille du sas de sa cellule.
L’hypothèse émise par le personnel d’une simulation de suicide ayant mal tourné est évidemment invérifiable.
Qu’il ait projeté de faire venir le surveillant pour l’agresser ou bien qu’il ait tenté de faire croire au suicide pour faire pression sur l’administration pénitentiaire et obtenir son transfert suppose que B. S. croit que les surveillants ont les clés des cellules, la nuit. En l’espèce, les déclarations des personnels sur ce point n’ont pas convaincu la Commission. Quoiqu’il en soit de ces deux tentatives d’explications d’un comportement irrationnel de B. S., ce n’est pas l’heure de ronde qui constitue un repère pour les détenus du quartier disciplinaire mais plus certainement les bruits des serrures électroniques qui signalent l’arrivée du surveillant.
L’heure de la pendaison de B. S. à la grille de sa cellule, est, à deux-trois minutes près, celle de l’arrivée du surveillant.

Sur les secours apportés à B.S.
La Commission estime que les surveillants présents dans l’établissement pendant le service de nuit n’ont pu intervenir, et apporter les premiers secours à B. S., du fait de l’impossibilité d’accéder à sa cellule.
Les secours ont été appelés à 20 h 05 et se sont mobilisés rapidement. La réanimation pratiquée activement par les pompiers pendant quinze minutes intervient après la perte d’un temps précieux.

Sur l’information à la famille
Elle a été faite le lendemain du suicide, à 15 h 30.
La Commission estime que les modalités de cette information ont été particulièrement brutales, peu respectueuses, éprouvantes pour la famille.
Des policiers se sont présentés au domicile de la mère du détenu et, sans explication, lui ont remis un morceau de papier déchiré sur lequel figurait un nom et un numéro de téléphone à appeler. Il s’agissait de la sous-directrice de la maison d’arrêt et du numéro de téléphone de la prison de Tarbes.
La sœur de B. S. a été contactée un peu plus tard sur son portable par un policier qui lui annonçait le décès de son frère et, comme elle demandait des explications : « Il s’est tout simplement suicidé. » La famille ignorait le transfert de B. S. à Tarbes.
La Commission a retenu de l’audition de la famille de B. S. que la douleur de cette famille, compréhensible, n’a pu trouver d’apaisement dans les réponses apportées par la justice et l’administration pénitentiaire sur les raisons de la mort en prison d’un jeune homme de dix-neuf ans.

- RECOMMANDATIONS

1. La Commission recommande à l’administration pénitentiaire la stricte application de la réglementation en matière de mise en prévention, notamment de l’article D. 250-3 du Code de procédure pénale : elle doit toujours être justifiée dans les faits et par rapport aux conditions du Code de procédure pénale. User à bon escient de la mise en prévention et des commissions de discipline participe de la prévention des suicides qui, pour
beaucoup et notamment à la maison d’arrêt de Tarbes, sont survenus, l’année 2002, au quartier disciplinaire. Le manque de personnel, la surpopulation carcérale, l’augmentation des transferts, ne permettent pas aux surveillants de connaître les détenus, les exposent à recourir trop systématiquement aux sanctions disciplinaires.

2. La Commission, comme elle l’avait déjà fait dans le dossier 2002/30, recommande que les quartiers disciplinaires des petits établissements pénitentiaires dépourvus de gradé en service la nuit soient dotés du même dispositif d’accès en urgence à une clé des cellules dans une armoire vitrée comme cela est prévu en détention.

3. Au vu de l’augmentation importante du nombre des détenus dans les cellules disciplinaires, la Commission attire l’attention de l’administration pénitentiaire sur l’urgence à doter les quartiers disciplinaires d’un poste de surveillant fixe.

Adopté le 6 avril 2004

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont la réponse a été la suivante :


Consulter le témoignage complet tranmis par la famille Soltani concernant la mort suspecte de Belgacem Soltani (B.S.)
Témoignage complet

Notes:

[1Déclaration du surveillant G. en août 2002 au juge d’instruction

[2Déclaration de G. à la Commission : « Nous n’avons pas à donner le motif d’un changement de cellule. Dans ce type de situation, il faut agir vite pour éviter un litige immédiat entre les deux détenus. »

[3Déclaration à la Commission du 1er surveillant C.

[4Déclaration du surveillant G. en août 2002

[5Déclaration du surveillant G. à la Commission

[6Déclaration du 1er surveillant C. en juin 2002

[7Déclaration du 1er surveillant C. en juin 2002

[8Déclaration de M. F. en juin 2002

[9Cet objet a été détruit par le directeur M. F.

[10Déclaration du surveillant C. en juin 2002