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(2003) Lettre ouverte au Garde des Sceaux

Mise en ligne : 22 mars 2005

Texte de l'article :

1. - Le Collectif « Octobre 2001 » a pris connaissance avec intérêt des deux recommandations qui viennent d’être adoptées par le comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la libération conditionnelle (24 septembre 2003) et sur la gestion, par les administrations pénitentiaires, des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée (9 octobre 2003). Ces textes concernent très directement les préoccu-pations du Collectif constitué par les principales associations intervenant dans le champ pénal et de défense des droits de l’homme, à l’occasion du XXe anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France. Notre volonté est en effet de réfléchir et d’agir, sur un plan européen, autour de la question « Comment sanctionner le crime dans le respect des droits de l’homme ? »

2. - Le comité des ministres du Conseil de l’Europe recommande d’assurer la diffusion la plus large possible de ces recommandations, de l’exposé des motifs et des rapports qui les accompagnent. Que compte faire le Ministère de la Justice à cet effet ?

Rappelons qu’à notre connaissance, la recommandation sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, no R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 n’a fait l’objet d’aucune diffusion, en France, de la part des pouvoirs publics au point qu’elle n‘est pas citée dans le rapport de la mission parlementaire auprès du Garde des Sceaux confiée à M. Jean-Luc Warsmann, sur « les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison ».
Il en est d’ailleurs de même de la recommandation R (2000) 22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.

- Recommandation concernant la libération conditionnelle

3. - Le comité des ministres affirme « que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ». Par ailleurs, il recommande que « des modalités spécifiques d’exécution des peines privatives de liberté - telles que les régimes de semi-liberté ou ouverts ou encore les placements extérieurs - devraient être utilisées le plus largement possible en vue de préparer la réinsertion sociale des détenus ».

Secrétariat du Collectif : AFC c/o
M. Pierre Pélissier 19, rue Ginoux 75015 PARIS
Tél. 01 42 63 45 04 tournier@ext.jussieu.fr

Or, une enquête nationale récente, du Ministère de la Justice, a montré que 82 % des condamnés libérés n’ont bénéficié, ni d’un placement à l’extérieur, ni d’une semi-liberté ni d’une libération conditionnelle . Que comptez-vous faire pour combler le gouffre non seulement quantitatif mais aussi qualitatif qui existe entre ce qui est recommandé par le Conseil de l’Europe, en la matière et la réalité française ?

4. - La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, grâce à la juridiction-nalisation de la libération conditionnelle, a permis des avancées considérables dans le sens de la recommandation concernant les garanties procédurales : article 32 sur la possibilité pour le détenu d’être entendu et de se faire assister, accès au dossier, motivation des décisions ; article 33 sur les procédures de recours. Ainsi grâce à ce texte, parfois décrié, la France a pu se mettre en conformité avec les positions défendues par l’ensemble des 45 États membres du Conseil de l’Europe.

5. - Les membres du Collectif « Octobre 2001 » ont souvent souligné que les avancées juridiques essentielles contenues dans la loi du 15 juin 2000 représentaient des conditions nécessaires à la relance de la libération conditionnelle mais non suffisantes. Ce diagnostic était d’ailleurs partagé par la « commission Farge » sur la libération conditionnelle qui, elle aussi, appelait à une remise à plat complète des procédures d’aménagement des peines. A notre connaissance aucune évaluation, reposant sur des méthodes scientifiques, n’a été entreprise concernant le volet aménagement des peines de la loi du 15 juin 2000. N’est-il pas temps, pour les pouvoirs publics de réaliser une telle évaluation ?

6. - Comment comptez-vous mettre en application les recommandations concernant d’une part la formation des décideurs en matière de libération conditionnelle, ainsi que de « tous les intervenants dans le domaine de la réinsertion des détenus libérés » (articles 37-38-39), d’autre part l’information de tous les acteurs de la justice pénale et de l’ensemble des citoyens (articles 40-41-42) ? La question ne mériterait-elle pas, pour commencer, l’organisation d’un grand colloque sous l’égide du Ministère de la Justice, naturellement ouvert aux médias, à l’image de celui que le Ministère du Solliciteur général du Canada a organisé, à Montréal, en mars dernier ?

7.- Les recherches produites en France dans le domaine de l’application des peines et de leur aménagement sont loin de répondre aux attentes exprimées dans les articles 43-44-45 de la recommandation. Ainsi serait-t-il particulièrement important, comme le souligne le comité des ministres, de développer des recherches comparées afin de pouvoir évaluer les différents modèles de libération conditionnelle existant en Europe (système discrétionnaire, système de libération d’office comme en Suède, système mixte comme en Angleterre et Pays de Galles). La mission de recherche « Droit et Justice » ne devrait-elle pas promouvoir un programme de recherche d’ampleur sur ces questions ?

- Recommandation concernant la gestion, par les administrations pénitentiaires, des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, adoptée, le 9 octobre par le comité des ministres du Conseil de l’Europe

8. - Cette recommandation entérine l’idée qu’une durée totale d’emprisonnement de cinq ans ou plus, résultant d’une ou plusieurs peines, doit être considérée comme une longue peine. Le collectif se félicite de cette décision et s’interroge sur les mesures que vous envisagez de prendre pour enrayer l’augmentation des peines encourues et prononcées que l’on observe actuellement en France.

9. - Le Collectif est aussi en accord avec les principes généraux présentés dans les articles 3 à 8 : principe d’individualisation, principe de normalisation, principe de responsabilité, principe de sécurité et de sûreté, principe de non-séparation, principe de progression. L’expérience quotidienne des membres du collectif montre que la réalité des établissements pénitentiaires français est fort éloignée de ces principes généraux. Comment la mise en œuvre de ces principes sera-t-elle intégrée dans votre politique pénitentiaire ?

10. - Le comité des ministres préconise une évaluation, initiale puis périodique, des risques et des besoins de chaque condamné (articles 12 à 17). De quels instruments et méthodes scientifiques dispose actuellement, dans ce domaine, le Ministère de la justice pour répondre aux exigences de la recommandation et quels sont vos projets en la matière ?

11. - La recommandation préconise l’application systématique du principe de la « sécurité dynamique » plutôt que d’une sécurité basée uniquement sur des moyens techniques de contrainte. Elle met également l’accent (articles 37, 39), pour que ce principe soit réellement appliqué, sur la nécessaire formation des personnels de toutes catégories et le travail pluridisciplinaire. Comment ces dispositions vont-elles être intégrées dans les programmes de formations de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire, tant en formation initiale que continue ?

 
Paris, le 13 décembre 2003

Le bureau national du Collectif « Octobre 2001 » Signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France), Association française de Criminologie (AFC), Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), Association Réflexion Action Prison et Justice d’Ile-de-France (ARAPEJ), Fédération des Associations Réflexion Action Prison et Justice (FARAPEJ), Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), Ligue des droits de l’homme (LDH), Secours catholique (Caritas France), Syndicat national de l’ensemble des personnels pénitentiaires (SNEPAP-FSU). Union générale des syndicats pénitentiaires de la Confédération générale du travail (UGSP-CGT). Membres du collectif non signataires : Amnesty International - section française (membre observateur) et Société GEPSA.