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(2002) ’’Jeunesse Fleury...’’

Mise en ligne : 6 mai 2006

Texte de l'article :

’’Jeunesse Fleury...’’

Mais que font-ils de leur jeunesse ?
Voilà la question que je me suis posée lorsque je suis descendu en promenade du bâtiment D1 (à Fleury-Mérogis). Ici comme à Bois-d’Arcy, il y a un maximum de jeunes de moins de vingt-cinq ans, certains même tout juste sorti de l’adolescence. On se croirait au CJD (Centre de jeunes détenus).
La société réprime cette jeunesse issue des banlieues car elle n’a pas voulu trouver une solution pour qu’elle s’en sorte. Toute une partie de la population est laissée à l’abandon dans des ghettos et leur seul moyen de survie, c’est le trafic, les « business » pour faire vivre des familles entières ; ce sont ces enfants que l’on retrouve dans cette nouvelle population pénale. Maintenant il ne reste plus que quelques anciens bandits, mais même à trente ans passés, je suis déjà un
« vieux » pour tous ces jeunes.
Les délits, les crimes sont parfois d’une extrême violence et souvent pour pas grand-chose.
La société forme sa jeunesse dans toutes ces prisons qui sont devenues des laboratoires où l’on métamorphose l’avenir en désespoir et l’espérance en cause perdue...
Que feront-ils dans dix ou vingt ans ?
Je crois que nos politiques, enfermés dans leur tour d’ivoire, dans leur course au pouvoir, n’ont aucune notion des priorités et des urgences. Un jour, ils le paieront chèrement...
Les cités commencent à brûler et ce n’est rien comparé à ce qui se prépare. « Construisez des écoles au lieu de prisons », disait Victor Hugo, c’était un grand visionnaire...
L’inspecteur Javert n’a pas fini de poursuivre Jean Valjean, mais la société finira par se suicider, s’autodétruire, à cause de son aveuglement. Il n’y a plus d’antidote aux troubles qui se préparent, cela ne sera pas une révolution car il n’y a plus d’idéologie, ce sera une explosion de violences qui s’étendra, se répandra, comme de l’essence qui s’enflamme, personne ne sera épargné. Ce qui est à l’échelle du pays sera à l’échelle du monde...
Nos gouvernants devraient se méfier de la haine émanant de sa jeunesse, car tous les jeunes de ce pays en sont aussi l’avenir...
La répression ne dure qu’un temps, il faut aussi laisser place à l’intelligence, savoir écouter les rumeurs, les humeurs de la rue, des ghettos et arrêter de nous servir du flic à toutes les sauces et de l’insécurité à tous les plats électoralistes...
La solution est économique et culturelle : plus de travail, plus d’éducation, plus de perspectives d’avenir. Voilà les vraies solutions, mais vu l’état de décrépitude du système, on n’est pas prêt de s’en sortir. L’état a institutionnalisé les œuvres de charité, les Restos du cœur sont devenus une entreprise nationale, Coluche a été canonisé. Emmaüs et son abbé Pierre, le Secours catholique, le Secours populaire, la Banque alimentaire, le SAMU social et j’en passe, sont devenus des solutions pour gérer le problème de la pauvreté et du chômage en France.
L’état, lui, que fait-il ?
Qu’est devenu son rôle à part encaisser, amasser, engranger, accumuler, entasser l’argent du contribuable ?
Gare à celui qui ne s’acquitte pas de sa dette, « la prison le guette... », comme dit la chanson.
Dans cette société de consommation, pour survivre, les plus pauvres doivent voler afin de ne pas finir entre les mains de l’assistanat, zone dangereuse où l’on devient vite esclave, où l’on est intubé de force par la matrice, mère sociale qui diffuse le liquide vital du RMI ou du minimum vieillesse... Marche ou crève ! Personne ne s’arrête...
La prison rend la vue et l’analyse perçantes à force d’observer et d’écouter. Vous devriez apprendre à faire de même au lieu de déambuler dans le brouhaha des garden parties ou des dîners mondains.
Fleury-Mérogis et toutes les autres prisons reflètent le malaise du présent et les difficultés de l’avenir. Personnellement, je pense qu’il est trop tard, la mèche est allumée et plus rien ne l’éteindra...

Laurent Jacqua 

Texte écrit entre 2001 et 2002.