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2002 : Chronique 6

Mise en ligne : 6 septembre 2002

Dernière modification : 15 mai 2005

Texte de l'article :

La génération perdue

Mercredi dernier, 17 juillet, le sieur Perben, Ministrone de la Justice en Chiraquie, a présenté devant le conseil des ministres le projet de loi sur le rétablissement des prisons pour enfants.
Comment peut-on s’étonner que la première loi de ce gouvernement soi une loi d’inspiration policière ? Depuis des lustres, les ministres de la Police qu’ils soient de gauche ou de droite la réclamèrent, de Gaston Deferre à Chevènement, de Pasqua à Sarkozy.
Les petits piranhas des cités de l’exil péri-urbains inquiètent le bon peuple accros aux drogues dures de la sécurité. Et la masse des électeurs n’a-t-elle pas choisi le parti de l’ordre ? Les journaux de TF1 ont si bien su dealer leur camelote de trouille à chaque rayon.
Nous entrons dans le troisième millénaire avec une loi digne du 19ème siècle !
L’inspiration policière ne restera-t-elle pas à tout jamais marquée par l’esprit de Javert ? Rassurez-vous tout de suite, croyez-en notre longue expérience de la répression, vous avez prix le bon chemin, et de quelques petits voleurs de miches de pain vous allez faire de redoutables forçats. Arrêtez... Nous savons bien que de nos jours, ils vendent des barrettes de shit et tirent des portables. Mais l’esprit demeure le même. Le système réprime la misère qu’il a sue si bien entretenir, et tout naturellement le néolibéralisme a opté pour la solution du bon vieux libéralisme bourgeois... la criminalisation des pauvres.
Que vaut une société qui envoie ses enfants en prison ?

Nous ne croyons pas plus aux tartuffes bedonnants qui sacralisent les ordonnances de 45. Reconnaissons tout de même qu’inspirées par l’esprit de la Résistance et surtout par des hommes qui avaient connu la paille des prisons, ces lois étaient un mieux. Une tardive mais juste éradication des bagnes des enfants. Pourtant elles ne furent jamais la panacée. Jamais. C’est facile de ne voir que le bon côté des choses en restant du côté du manche, toujours du côté du manche. Alors profitons aujourd’hui de cet échange pour vous dire ce qu’a été l’expérience du côté du bâton. Car pour ce qui est de l’après guerre, nous voudrions vous rappeler quelques histoires, souvent des histoires intimes.
Depuis les années 50, le gros du bataillon des réclusionnaires peuplant les centrales de ce pays est issu des quartiers populaires et forgé à la haine aux foyers de la P.J.J. et de la D.A.S.S. Si les orphelinats ont produit une activité délinquante plus classique, la génération des « blousons noirs » réprimée dans les IPES - les maisons de correction des années 60 - a été le fer de lance de la vague des équipes de braqueurs qui écumèrent les années 70. leur audace se vérifiait dans les prises d’otages et les fusillades sanglantes. Les équipes se montraient autour des Centres d’éducation Surveillée, à Savigny sur Orge pour la banlieue sud, à Aniane pour le midi et à chaque région, sa pouponnière de la nouvelle criminalité.
Les pères fouettards diront qu’avec de la mauvaise graine, on ne récoltera jamais rien de la bonne céréale. Eux qui ressemblent si bien aux éducateurs qu’ils nous envoyèrent pour nous mâter. Les cerbères essayèrent d’en finir avec notre révolte à coup de trique. Surtout, le soir des fugues, quand les gendarmes nous ramenaient enchaînés. Ici à Arles, des décennies plus tard, il faudrait qu’on montre aux nostalgiques des ordonnances de 45, quelques cicatrices moissonnées au nom de la déesse éducation.
Et il n’y a pas eu seulement des coups.
Il y eut les privations, le « pain sec » pour les punis et encore un repas sur deux...
Il y eut les arbitraires, les vexations, l’acharnement sur les souffres douleur.
Ils nous donnèrent un bagage minimum juste celui dont on a besoin en prison : savoir mentir et dissimuler, résister au pire, faire les coups en douce, ne pas montrer ses sentiments, la politesse serait une faiblesse et la sacro-sainte hypocrisie toujours...
Dans certains établissements, les plus horribles, si l’on voulait bouffer à sa faim et échapper aux corvées les plus dégeulasses, il fallait accepter des « éducs » les caresses salasses... Voilà comment fut protégée une partie de la jeunesse par les éducateurs judiciaires.
Et l’on voudrait que l’on fut de gentils garçons.
Nous n’étions pas bons, il est vrai, mais ils nous rendirent mauvais...

A la Centrale d’Arles, les jeunes des cités sont encore rares.
Ils écoutent du Rap à fond la caisse, parfois le soir tard. Ils parlent aux fenêtres comme aux Baumettes, ils roulent des épaules sur les coursives... Ce n’est pas bien grave. Pour sourire, on les surnomme d’un terme qui leur va si bien : les Grimlins.
Et pour le moment, les hordes de Grimlins sont abonnées aux petites peines. Ils peuplent les Maisons d’arrêt et les Centres de détention régionaux. Ils n’ont jamais su créer une délinquance nouvelle, ils sont restés dans leur quartier, en bas de leur immeuble et ils se débrouillent seulement à la petite semaine...
Mais les experts de la tolérance zéro ne peuvent plus accepter ces accès de fixation à faible intensité d’illégalisme. Ils veulent taper un bon coup de talon dans la fourmilière et démanteler la petite économie marginale faisant vivre des milliers de familles démunies. Vous n’avez plus l’intelligente gouvernance qui vous permettrait de saisir qu’il faut impérativement laisser un espace d’autonomie relative entre la précarité néo-libérale - incapable de donner du travail à tous les pauvres - et l’assassinat de masse - réduisant plusieurs millions de personnes à la mendicité étatisée - .
Les flics ont reçu carte blanche. Ils vont capturer au Flash Ball plusieurs centaines de gamins. Puis de plus en plus, toujours plus. Les juges pour enfant les jetteront dans les nouveaux cachots de la P.J.J. Malgré leurs bonnes intentions, les éducateurs, les matons, les éducateurs-matons seront mobilisés au tout sécurité. Ils s’enfermeront dans le conflit qui naîtra immanquablement et de toute évidence. Dans la prison, la répression l’emporte toujours. Le conflit entre celui qui souffre et veut s’enfuir et celui qui finit toujours par le surveiller et le punir est inéluctable. Dès cet instant, il n’y a plus de limite, l’engrenage est sans fond.
Nous n’avons rien de voyants extralucides mais nos prévisions reposent sur le vécu du peuple des prisons. Et croyez-nous sur parole, les bandes de Grimlins sortiront des foyers de la tolérance zéro avec pour seule éducation la capacité d’inventer une délinquance bien plus dure que celle de leurs prédécesseurs sortis de foyer de la DASS et des centres d’éducation surveillée.

« Vous qui philosophez tout’le temps
Et critiquez les gens
Vous pouvez sortir vos mouchoirs
Mais il est bien trop tard
 »
(d’après Dylan)

Arles juin 2002
Sans révolution, pas de hic
Nous crèverons Rue Copernic