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(2000) Réseau Voltaire : Développer les libérations conditionnelles

Mise en ligne : 15 avril 2003

Dernière modification : 29 avril 2007

Texte de l'article :

Développer la libération conditionnelle

28 juin 2000

A) L’EXEMPLE CANADIEN

Au Canada, la libération conditionnelle est une modalité normale d’exécution de la peine fondée sur l’idée que la plupart des délinquants finissent par retourner dans la collectivité et que le meilleur moyen d’assurer la protection des citoyens est d’inciter le délinquant, tout au long de sa peine, à se réinsérer.

L’une des valeurs fondamentale du Service Correctionnel du Canada (S.C.C.) est énoncée ainsi :

" Nous reconnaissons que le délinquant a le potentiel de vivre en tant que citoyen respectueux des lois. "

La période de détention est utilisée pour préparer le détenu à réintégrer la société.

LES PROGRAMMES CORRECTIONNELS

Au terme du processus d’évaluation initiale réalisée dans les centres de réception, qui sert également à déterminer le niveau de sécurité dont relève le délinquant, est établi un plan correctionnel personnalisé axé sur la réinsertion du condamné.

On exige ainsi des détenus qu’ils participent à des programmes adaptés aux difficultés de chacun et destinés à favoriser leur réinsertion.

Programmes correctionnels (1998-1999)

Inscriptions, achèvements et dépenses réelles Programme pour toxicomanes 15 389 9 103 6 579 653 $ Programme pour délinquants sexuels 4 062 2 008 10 430 240 $ Programme pour autochtones 7 737 6 276 5 820 125 $ Programme de violence familiale 1 628 1 309 1 383 517 $ Compétences psychosociales 6 278 4 932 8 126 806 $ Programme d’éducation 17 010 3 610 14 228 654 $ Programme d’éducation professionnelle 2 187 1 085 2 943 303 $ Programme prévention de violence 339 227 2 313 117 $ Programme de développement personnel 8 688 7 479 2 650 248 $ Frais administratifs 9 284 237 $ Total 63 318 36 029 63 759 900 $

LIBERATION CONDITIONNELLE

Le système correctionnel canadien n’est pas fondé sur le tout carcéral opposé à la liberté complète, mais dispose d’une gradation des régimes de surveillance des délinquants allant de l’incarcération à la remise en liberté et comportant de nombreuses étapes intermédiaires, comme le montre le schéma suivant.

Permission de sortir : La permission de sortir, avec ou sans escorte, est habituellement le premier type de mise en liberté que peut obtenir

Semi-liberté (SL) : La semi-liberté permet au délinquant de participer à des activités dans la collectivité afin de se préparer à la libération conditionnelle totale ou à la libération d’office. Le délinquant en semi-liberté doit retourner chaque soir à un établissement carcéral ou à un établissement de transition.

Libération conditionnelle totale (LCT) : Elle permet au délinquant de purger le reste de sa peine sous surveillance dans la collectivité.

Libération d’office (LO) : Elle s’applique au détenu sous responsabilité fédérale qui a accompli les deux tiers de sa peine, à l’exception de ceux condamnés à perpétuité ou à une durée indéterminée.

La progression théorique, si l’on prend l’exemple d’une condamnation à une peine de six ans est la suivante :

Au total, la proportion de délinquants sous surveillance dans la communauté représentait 41 % du nombre total de délinquants, les 59 % restants étant incarcérés.

UN ORGANE DE DECISION INDEPENDANT : la commission nationale des libérations conditionnelles (C.N.L.C.)

Les décisions relatives aux différents régimes de libération conditionnelle relèvent de la commission nationale des libérations conditionnelles, tribunal administratif placé sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur. La commission est indépendante de l’administration pénitentiaire. Ses membres sont désignés par le conseil des ministres pour un mandat maximal de dix ans et sont inamovibles. Ils doivent être choisis " parmi des groupes suffisamment diversifiés pour pouvoir représenter collectivement les valeurs et les points de vue de la collectivité. "

La commission nationale des libérations conditionnelles a donc le pouvoir exclusif d’accorder ou de refuser, d’annuler ou de révoquer la libération conditionnelle et de maintenir en incarcération des délinquants concernés par la libération d’office lorsqu’il apparaît qu’ils sont susceptibles de commettre des infractions graves. 233 délinquants ont ainsi été maintenus en prison en 1998-1999. En cas de décision défavorable, le délinquant peut faire appel auprès de la section d’appel de la C.N.L.C.

Le détenu bénéficiant d’une libération conditionnelle fait l’objet d’une surveillance consistant à le contrôler et à l’encadrer pour l’aider à se réinsérer.

Le surveillant de liberté conditionnelle examine le dossier du délinquant, établit un calendrier de rencontres avec lui et lui donne des directives. Le surveillant peut entrer en contact avec la police et des services d’aide de la collectivité, et rendre visite à la famille du délinquant, à ses amis, à son employeur ou à d’autres personnes.

Si le délinquant ne respecte pas les conditions qui lui ont été imposées, il peut être réincarcéré. De fait, dans plus de la moitié des cas, la réincarcération des délinquants en liberté sous condition résulte non pas de la perpétration d’un nouveau crime, mais de la violation d’une condition.

Le Canada s’est doté de moyens pour suivre et aider les délinquants non incarcérés. 71 bureaux de districts assurent leur surveillance. Il existe par ailleurs 175 centres résidentiels communautaires, administrés par des organismes privés qui fournissent un logement aux détenus en semi-liberté, en libération conditionnelle totale ou en libération d’office. Enfin, des centres correctionnels communautaires offrent des services de réhabilitation dans la communauté.

D’une façon générale, la surveillance des délinquants en liberté sous condition relève du service correctionnel du Canada qui passe des contrats avec les gouvernements provinciaux, mais aussi des organismes non gouvernementaux comme l’Armée du Salut.

LES RESULTATS OBTENUS

Les tableaux ci-dessous donnent raison à Mme Renée Colette, première vice-présidente de la C.N.L.C., qui affirmait devant la délégation de la commission en visite au Canada " encadrer une personne de façon progressive avec la société, ça marche ! "

Madame Colette ajoutait : " Il est intéressant de se pencher sur la réussite à long terme. Des études ont porté sur les vingt ans qui ont suivi la libération conditionnelle. Il en ressort qu’une personne qui a pu profiter de la mise en liberté sous condition a un taux de réussite à long terme beaucoup plus élevé, de moitié supérieur, à celui qui n’a pas bénéficié d’une mise en liberté sous condition. "

Elément supplémentaire à porter au crédit des libérations conditionnelles : le coût de la garde d’un délinquant dans la collectivité est très inférieur à celui qui existe en établissement.

Coût annuel moyen pour la garde d’un délinquant (en dollars canadiens)

1997-1998 1998-1999 Etablissement 54 763 60 640 Collectivité 12 779 13 993

B) LA PRATIQUE FRANÇAISE

La libération conditionnelle a été introduite par une loi du 14 août 1885 ; elle est longtemps perçue comme un instrument d’apaisement de la détention et de gestion des capacités pénitentiaires. Les perspectives vont progressivement être modifiées par les lois de 1952 puis de 1972 qui axent la libération conditionnelle sur la capacité d’amendement du condamné, puis sur ses gages sérieux de réadaptation sociale.

Les conditions d’octroi de la libération conditionnelle sont énoncées par les articles 729 et 729-1 du code de procédure pénale.

Aux termes de l’article 729, les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils présentent des gages sérieux de réadaptation sociale et lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. Les condamnés en état de récidive légale ne peuvent bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle que si la durée de la peine accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine restant à subir.

Quant aux condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, ils peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle lorsqu’ils ont exécuté quinze années de détention. L’article 729-1 prévoit que, s’ils font preuve de bonne conduite, une réduction du temps d’épreuve de vingt jours ou d’un mois par année d’incarcération peut leur être accordée selon qu’ils se trouvent ou non en état de récidive.

Les délais d’octroi peuvent se trouver prolongés par le jeu des périodes de sûreté fixées par l’article 132-23 du code pénal, qui interdisent, pendant leur durée, toute mesure d’aménagement de peine.

La libération conditionnelle va cependant connaître un long dépérissement ; en 26 ans, le taux d’admission à la libération conditionnelle des condamnés relevant de la compétence des juges de l’application des peines est passé de 29,3 % en 1973 à 14 % en 1978 ; de même, en trente ans, le taux d’admission par rapport au nombre de dossiers relevant de la compétence du garde des sceaux a pratiquement diminué de moitié : de 1970 à 1999, ce taux est passé de 64,16 % à 30,5 %. Encore faut-il ajouter que seuls 9 à 10 % des détenus concernés, remplissant les conditions légales, ont été proposés par les juges de l’application des peines au garde des sceaux.

Les causes de ce dépérissement ont été longuement exposées dans le rapport de la commission sur la libération conditionnelle présidée par M. Daniel Farge : " la situation conjoncturelle n’a pas favorisé une procédure qui s’appuie sur le critère de gage sérieux de réadaptation sociale. L’évolution de la population pénale, caractérisée par l’accroissement des infractions sexuelles et l’incarcération croissante de cas relevant de la psychiatrie n’ont pas facilité la réactivation d’une procédure dans une société qui exige désormais un risque nul. "

Les études menées par Annie Kensey et Pierre Tournier ont pourtant démontré les effets déterminants de la libération conditionnelle sur les taux de récidive.

Ainsi, lorsque l’infraction initiale est un vol, catégorie qui présente le plus fort taux de nouveaux passages à l’acte, le taux de nouvelle infraction est de 75 % pour les condamnés qui ont été libérés en fin de peine et de 64,3 % pour les libérés conditionnels.

Lorsque l’infraction initiale est un vol qualifié crime, le taux de nouvelle infraction est de 64,4 % pour les libérés en fin de peine contre 39,1 % pour les libérés conditionnels.

Lorsque l’infraction initiale est qualifiée coups et blessures volontaires, le taux de nouvelle infraction est de 60,9 % pour les libérés en fin de peine et de 35,1 % pour les libérés conditionnels.

L’adoption de la loi sur la présomption d’innocence a témoigné de la volonté unanime des parlementaires de réactiver la procédure de libération conditionnelle.

Suivant les recommandations du rapport remis par M. Daniel Farge, les parlementaires ont décidé de retirer au garde des sceaux toute compétence en matière de libération conditionnelle : désormais, lorsque la peine privative de liberté prononcée est inférieure ou égale à dix ans ou que la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines avec appel possible devant la chambre des appels correctionnels ; dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par une juridiction régionale de la libération conditionnelle, établie auprès de chaque cour d’appel et composée d’un président de chambre ou d’un conseiller à la cour d’appel et de deux juges de l’application des peines ; les décisions de la juridiction régionale peuvent dans les dix jours faire l’objet d’un appel devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle, composée du premier président de la cour de cassation ou d’un conseiller de la cour, de deux magistrats du siège de la cour, d’un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d’un responsable des associations nationales d’aide aux victimes.

L’association des victimes, dans la décision d’octroi de la libération conditionnelle, apparaît tout à fait essentielle : la libération conditionnelle suppose en effet, non pas le pardon, mais l’apaisement de la douleur. La prise en compte du point de vue des victimes permettra également d’assortir la décision de libération conditionnelle d’un certain nombre de conditions probatoires susceptibles de mieux faire accepter la sortie de prison du délinquant par les victimes.

Le dessaisissement du garde des sceaux constitue incontestablement une amélioration très notable de la procédure :

 les délais d’examen des demandes, actuellement établis à cinq mois en moyenne et pouvant dépasser un an, vont être considérablement réduits. La longueur de la procédure constatée actuellement est très certainement un facteur de découragement pour les détenus qui hésitent à se lancer dans une démarche incertaine.

 la décision d’une autorité politique dans l’exécution d’une peine prononcée par une autorité judiciaire n’était pas sans soulever des difficultés en termes d’équité du traitement. Le rapport de M. Daniel Farge fait le constat suivant : " La tentation est grande pour le garde des sceaux de méconnaître l’évolution favorable d’un condamné plutôt que de prendre le risque d’une libération anticipée qui ne serait pas comprise par l’opinion publique en cas de nouveau crime ou délit. "

Une autre modification essentielle de la loi sur la présomption d’innocence a été de modifier les critères d’octroi de la libération conditionnelle ; les gages sérieux de réadaptation sociale, qui étaient l’unique critère d’appréciation retenu par la loi de 1972, ont été précisés de façon extensive par l’article 126 de la loi. Sont désormais éligibles à la libération conditionnelle, les détenus manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes. L’élargissement des critères d’octroi était en effet un impératif, tant les critères précédents de gages sérieux de réadaptation sociale semblaient restrictifs dans un contexte de crise économique et inadaptés à la réalité de la vie pénitentiaire.

Il est encore trop tôt pour savoir si ces modifications législatives vont pouvoir susciter une véritable réactivation de la procédure de libération conditionnelle. Il faut pourtant être conscient qu’il s’agit d’une procédure absolument essentielle à la réinsertion. Elle peut être assortie de conditions draconiennes qui permettent de s’assurer de la conduite du détenu libéré ; elle instaure un sas de transition entre l’incarcération et la libération ; elle implique une démarche de responsabilisation du détenu qui crée ainsi les conditions favorables à sa réinsertion. La libération conditionnelle apparaît dès lors comme une réponse adéquate au traitement de la délinquance, à la condition que les moyens affectés au milieu ouvert soient suffisants.

Il faut déplorer, à cet égard, que la loi sur la présomption d’innocence n’ait pas été l’occasion de réglementer les pratiques en matière de réduction de peine et de grâces collectives. Ces mesures accordées de façon quasi-automatique, sont à l’opposé du processus de responsabilisation impliqué par la libération conditionnelle. Les condamnés qui bénéficient de réductions de peine et de décrets de grâces collectives, renouvelés chaque année depuis 1991 et même maintenant bi-annuellement, ne perçoivent dès lors pas l’intérêt de se lancer dans une procédure lourde et qui se révélera contraignante. Ce point a été soulevé lors d’un échange entre le Président Laurent Fabius et M. Daniel Farge :

M. Daniel Farge : " Il convient également de savoir - ce qui est très significatif, je crois, de l’état d’esprit qui règne actuellement dans les établissements pénitentiaires quant à la libération conditionnelle - que 20 % des détenus proposables ont refusé d’être proposés à la libération conditionnelle, ce qui est singulier. "

M. le Président : " Pourquoi ? "

M. Daniel Farge : " Parce que la libération conditionnelle est aujourd’hui considérée comme une sorte de faveur céleste. Elle s’apparente à une forme de grâce, au point que les gens n’y croient plus. En outre, le système des réductions de peine non individualisées est tel que les détenus, après avoir procédé à un calcul, préfèrent sortir totalement libres sans mesures de contrôle ni de surveillance.

Il faut savoir que cette année certains détenus ont pu obtenir treize mois sur douze de réduction de peine. 95 % ou 98 % des détenus bénéficient, tous les ans, de trois mois de réduction pour bonne conduite. Les mesures exceptionnelles - deux mois de réduction - concernent en réalité 80 % des détenus. Il faut y ajouter deux mesures, dont sont exclus un certain nombre de condamnés, notamment les délinquants sexuels et les trafiquants de drogue : les grâces du 14 juillet qui vont de deux à quatre mois et celles de quatre mois qui ont été décidées à l’occasion de l’an 2000.

Ces réductions de peine expliquent que le moment de la libération conditionnelle intervient beaucoup trop tard, beaucoup trop près de la date de sortie. "

On comprend bien l’intérêt de ces mesures en termes de gestion de la population pénale dans le contexte de surencombrement des maisons d’arrêt. Il faut cependant être bien conscient que ces réductions de peine de caractère automatique viennent bien souvent bouleverser des projets de sortie qui étaient planifiés pour une date ultérieure. De plus, les dates de ces décrets de grâce collective, 14 juillet ou fin d’année, paraissent particulièrement inappropriées pour une préparation à la sortie réussie, d’autant plus que ce système conduit à des sorties massives au même moment.

Il faut également être conscient, et les visites des établissements pour peine l’ont clairement montré, que, au-delà de la question de la récidive, la libération conditionnelle est essentielle à l’apaisement du climat en détention. Le refus d’octroi de libération conditionnelle depuis quasiment quatre ans a privé les détenus condamnés à de longues peines de tout motif d’espérance ; or les surveillants, les directeurs d’établissement ne peuvent pas gérer cette désespérance sur le long terme.

Le découragement qui s’est installé crée les conditions d’une situation pour le moins explosive dans les établissements accueillant des condamnés à de longues peines. Il faut que les pouvoirs publics et les magistrats en soient conscients. L’opinion publique doit également être éclairée sur les conséquences qui seraient liées à une trop grande sévérité dans l’octroi des libérations conditionnelles.

Source documentaire Assemblée nationale.
Source : Résau Voltaire