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2 Statistiques (96-97)

Mise en ligne : 19 novembre 2004

Texte de l'article :

Atteinte aux personnes : 5 560 soit 18,5% 
Atteinte aux mœurs : 5 050 soit 16,8% 
Atteinte aux biens : 10 127 soit 33,7%
Atteinte à l’ordre public : 1 512 soit 5,0%
Autres (ILS) : 7 784 soit 25,9%
 
Ensemble : 30 033 soit 100,0%

Ce qui n’apparaît pas dans un tableau statistique et qui intéresse la vie à l’intérieur des murs, est ce que je nommerais la tension psychologique. Par exemple, on peut supposer que 18,5% des détenus étant condamnés pour atteinte aux personnes, ils ont une particularité qui suppose qu’ils devraient être le moins possible en contact avec les autres détenus. Les détenus pour ILS, eux, doivent faire l’objet d’une surveillance particulière. 

Isolement

Une étude plus précise des catégories de condamnés permet de mieux comprendre le phénomène de dangerosité. Précisons que l’on ne peut réduire à quelques chiffres la population carcérale, d’autant plus que les études de population ne s’attachent qu’aux détenus condamnés. C’est donc par une extrapolation de ces statistiques, sur les détenus provisoires, permettant d’estimer les différents types d’isolement entre groupes, voire entre individus, que l’on peut supposer indispensable une certaine séparation des individus. Nous verrons que le manque d’isolement, entre autres, crée tensions internes, suicides et violence.

En analysant chaque catégorie de détenus, on constatera de très grandes disparités entre catégories et au sein même de certaines catégories. Les détenus pour atteinte à l’ordre public, qui ne sont évidemment pas comparables aux détenus pour atteinte aux personnes, ont tendance, au vu de leurs spécificités, à se regrouper à l’intérieur de la prison. Cet état de fait est souvent conforté par le regroupement des détenus par l’administration pénitentiaire de l’établissement qui espère ainsi réduire les confrontations entre communautés.

Un classement difficile

Atteinte à l’ordre public : 5,0% 
dont :
Infraction d’ordre militaire : 2% 
Infraction à la législation des étrangers : 98%

Atteinte aux personnes : 18,5% 
dont :
Meurtres et violences : 90,2% 
Atteintes involontaires : 9,8%

Les "mœurs" (cf. Glossaire) constituent une catégorie à part, car depuis toujours isolée, pour des raisons qui s’avèrent peu convaincantes puisque des tentatives réussies de mélange de cette catégorie de détenus avec le reste de la population pénale montrent bien l’iniquité d’une telle mesure, qui, rappelons-le, n’est due qu’à une habitude et non à une réglementation.

Atteinte aux mœurs : 16,8% 
dont : 
 Viol et agressions sexuelles : 92,8% 
Exhibition et proxénétisme : 7,2%

Les détenus pour escroquerie, faux et usage de faux sont souvent des détenus très calmes. Cette catégorie représente une grande part des détentions dans les maisons d’arrêt pour femmes. Ce type d’atteinte aux biens est difficilement comparable au vol qualifié, souvent aggravé de violences. 

Atteinte aux biens : 33,7% 
dont :
Vol qualifié : 31,8% 
Vol, escroquerie, faux et usage de faux : 68,2%

La catégorie définie comme "autres" est constituée pour une grande part par les ILS (infractions sur la législation des stupéfiants). C’est une catégorie en augmentation constante et qui comporte des spécificités médicales fortes. Il faut considérer la surveillance importante dont il doivent faire l’objet ainsi que leur suivi social et ceci pour leur sécurité et celle des autres prévenus.

Autres : 25,9% 
dont :
Infraction sur la législation des stupéfiants : 79,15% 
Divers : 20,85%

Il est bien entendu que ce classement des détenus par catégories pénales est une approche de la détention purement théorique, elle est en contradiction avec les valeurs indissociables de la République comme l’égalité de traitement et fort peu crédible au vu des possibilités d’hébergement, mais elle permet de bien comprendre la complexité et la mixité de la population pénale que l’on a trop vite tendance à amalgamer.

Il apparaît donc que la séparation des détenus se fait indépendamment des catégories pénales, la réalité de la prison est autrement plus subtile qu’elle n’y paraît au premier abord. L’uniformité architecturale que l’on pourrait attendre, et qui fut malheureusement trop souvent appliquée, devient vite un carcan trop rigide et opposé au bon équilibre de la population carcérale. Toute forme de classement de cette population restera toujours à l’appréciation du directeur d’établissement, qui, lui seul, est à même d’orienter au mieux les détenus qu’il accueille selon leur personnalité.

La population carcérale

La diversité des populations à l’intérieur des prisons pose aussi le problème de l’isolement des populations entre elles ou de leur mixité. En effet, sur 51 640 détenus, 14 769 sont étrangers, le niveau d’instruction est généralement bas avec un taux d’illettrisme bien supérieur à la moyenne nationale. Il y a donc un besoin très fort d’instruction et les moyens, eux, sont souvent très faibles.

Niveau d’instruction des détenus 
Illettrés : 15,40% 
Instruction primaire : 53,70% 
Instruction secondaire : 30,90%

Pourtant l’enseignement, souvent perçu (tout comme le travail) comme un moyen d’échapper au quotidien, attire beaucoup de détenus, qui s’y inscrivent (bien qu’il n’y ait pas d’obligation) en forte proportion. En 1997, 29 000 détenus ont été inscrits dans le cadre d’une action d’enseignement, pour 340 000 heures de cours, réparties sur tous les établissements pénitentiaires. On remarquera le développement de l’enseignement par correspondance, suivi par 2 600 personnes.

L’âge de la prison

On ne peut percevoir l’importance de l’impact du milieu carcéral sur la société que si l’on fait attention à deux chiffres tout à fait parlants : l’âge moyen du détenu en maison d’arrêt est inférieur à 32 ans, et la peine effectuée est en moyenne de moins de cinq ans.

Des détenus jeunes...

Le tableau suivant montre que les détenus sont, pour près de la moitié, une population jeune, ce qui implique un besoin d’activité important et une relation plus conflictuelle avec l’administration pénitentiaire. 77% des détenus ont moins de 40 ans. Il faut donc leur offrir la possibilité, à leur sortie, d’avoir une vie stable, et éviter de créer une instabilité chronique, propre à les ramener vers la délinquance. 

Détenus provisoires par classe d’age 
Moins de 18 ans : 448 soit 2% 
De 18 à 21 ans : 2 343 soit 11% 
De 21 à 25 ans : 3 512 soit 16% 
De 25 à 30 ans : 4 215 soit 20% 
De 30 à 40 ans : 5 964 soit 28% 
De 40 à 50 ans : 3 302 soit 15% 
Plus de 50 ans : 1 582 soit 7% 
- Ensemble : 21 366 soit 100%

...pour une brève période

Détenus condamnés : peines prononcées 
Moins d’un an : 29,8% 
1 à 3 ans : 21,7% 
3 à 5 ans : 12,0% 
5 ans et plus : 36,5%

Pour les peines supérieures à 5 ans : 
Peine correctionnelle : 45,20% 
Réclusion criminelle à temps : 50,68% 
Réclusion criminelle à perpétuité : 4,38%

Durées d’incarcération lors de la sortie 
Toutes durées : 100,0% 
Moins de 1 mois : 19,2% 
1 mois à moins de 3 mois : 25,8% 
3 mois à moins de 6 mois : 23,4% 
6 mois à moins de 12 mois : 15,6% 
1 an à moins de 3 ans : 12,4% 
3 ans à moins de 5 ans : 1,9% 
5 ans à moins de 10 ans : 1,4% 
10 ans et plus : 0,2%

96% des détenus effectuent moins de 5 ans de détention effective avec le jeu des remises de peines. Au sujet des remises de peines automatiques Bernard Jouve relève que :
"... Les Présidents d’Assises le savent bien, à qui les jurés demandent quelle durée de peine ils doivent prononcer pour que le condamné subisse effectivement un certain temps minimum de détention qu’ils estiment nécessaire. D’ailleurs ces jurés reçoivent désormais, avant les sessions d’assises, une information générale lors de réunions portant en particulier sur les modalités d’application des peines (circulaire de la Chancellerie du 27 Novembre 1981). Ils savent donc à quoi s’en tenir du devenir ultérieur de leurs décisions."

C’est avec cette idée de "pause pénale" dans la vie du détenu, hors récidive, qu’il faut aborder la prison. Certains se sont attachés à montrer l’influence que peut avoir une incarcération sur la personne, par nombre de livres ou d’émissions, mais on peut difficilement mesurer l’impact réel que cela peut avoir sur toute une population.

Quelques chiffres peuvent montrer l’ampleur d’un phénomène que l’on tend à oublier. En 1997, 117 061 personnes étaient condamnées à une peine en milieu ouvert, prises en charge par un C.P.A.L., dans le même temps les incarcérations concernaient 80 500 personnes. Compte tenu du personnel de surveillance, soit 25 000 personnes, on peut dénombrer 222 000 personnes en contact direct avec la prison pour 1997 (avec un taux de récidive de 60%, on peut faire une estimation de plus ou moins 1 million de personnes sur 10 ans) ce qui laisse supposer du nombre de personnes en lien indirect avec la prison.

Les blessures de la prison 

La prison induit des traumatismes psychologiques, plus ou moins importants chez le détenu. Nous nous attacherons ici à montrer que l’incarcération, à travers la violence qu’elle développe, peut provoquer des actes extrêmes (suicide, grève de la faim, mutilation). On a dénombré, en 1996, 1 763 actes d’automutilation, dont 742 chez les détenus provisoires, 886 grèves de la faim dont 560 chez des prévenus et 138 suicides dont 76 de prévenus (soit près de 55% des suicides). Les suicides chez les prévenus sont importants, puisque pour la plupart, ils se déroulent au cours des premières semaines. 77% des prévenus qui se suicident le font dans les trois premiers mois de leur incarcération. 

Durée de détention écoulée lors du suicide (1996) 
0 à 15 jours : 23 dont 1 condamné et 23 prévenus 
15 à 3 mois : 31 dont 8 condamnés et 23 prévenus 
3 à 6 mois : 28 dont 13 condamnés et 15 prévenus 
6 mois à 1 an : 19 dont 11 condamnés et 8 prévenus 
1 à 3 ans : 21 dont 13 condamnés et 8 prévenus 
3 à 5 ans : 7 condamnés
Plus de 5 ans : 9 condamnés
- Total 138 dont 62 condamnés et 76 prévenus

L’évolution du taux de suicide montre effectivement un malaise dans les prisons françaises puisqu’il est en évolution constante, ce qui est à opposer à celui de la population française qui, lui, a tendance à stagner. On opposera les suicides à l’extérieur, 2 pour 10 000, à ceux de la prison, 20 pour 10 000. Comme on le verra plus loin, il y a plus de tentatives de suicide (826) que d’évasions (116), est-ce un autre moyen de s’évader, c’est en tout cas une faille dans le régime de protection du détenu contre lui-même.

Evolution du taux de suicide 
Année : Nombre de suicides / Nombre de détenus = Pourcentage 
1986  : 64 / 42 617 = 0,15% 
1987 : 60 / 47 694 = 0,13%
1988 : 77 / 49 328 = 0,16% 
1989 : 62 / 44 981 = 0,14%
1990 : 59 / 43 913 = 0,13%
1991 : 67 / 47 160 = 0,14% 
1992 : 95 / 48 113 = 0,20% 
1993 : 101 / 48 164 = 0,21% 
1994 : 101 / 50 240 = 0,20%
1995 : 107 / 51 623 = 0,21% 
1996 : 138 / 52 658 = 0,26%
1997  : ? / 51 640 = ?

L’autre blessure dont on parle peu est celle d’une incarcération à tort. Bien qu’il reste faible, le nombre des prévenus libérés pour non-lieu atteint 977 cas en 1996. On peut y ajouter les condamnations à une peine avec sursis qui représentent 1 390 cas, c’est-à-dire au total un peu plus de 5% des détentions. Le passage dans une maison d’arrêt de cette population, que la justice a jugé non coupable ou ne devant pas subir une peine de prison ferme, impose au concepteur des maisons d’arrêt de penser par tous les moyens à une incarcération moins lourde de conséquences pour la détention provisoire.

Le mythe de l’évadé

Depuis toujours, entretenu par le roman policier ou le cinéma, le mythe de l’évasion reste dans l’inconscient collectif l’élément qui donne à la prison son aspect inquiétant. Il faut ici ramener l’idée couramment répandue d’un trop grand nombre d’évadés à sa stricte réalité. L’évolution des moyens et les techniques de surveillance modernes ont, depuis de nombreuses années, réduit de façon considérable le nombre d’évasions réussies.

Seulement 35 détenus se sont soustraits à la surveillance de leurs gardiens lors de l’année 1996, et ceci lors de 19 évasions différentes. On dénombre 44 tentatives d’évasion en plus de ces évasions réussies. Le total concerne 116 détenus, soit une proportion très faible compte tenu des 80 500 incarcérations de l’année 1996. En 1986 on dénombrait 156 tentatives dont 33 réussies concernant en tout 296 détenus. Quant aux régimes de semi-liberté, ou de probation, bien que la possibilité d’évasion y soit maximale, les passages à l’acte restent faible, puisqu’on constate 200 non-réintégrations (dont 95 en maison d’arrêt) et 29 délits (aucun crime) sur près de 38 221 permissions de sortir.