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.2 Méthodologie

Mise en ligne : 23 avril 2005

Dernière modification : 24 février 2006

Par Philippe Bensimon, Criminologue, Ph.D

Texte de l'article :

Méthodologie

Prise sous la forme d’une modélisation mathématique, l’adaptation des recrues au travail d’agent correctionnel exigeait au préalable une bonne connaissance du terrain, une méthodologie très rigoureuse alliée à des principes théoriques validés par 19 échelles et instruments de mesure codifiés dont les caractéristiques psychométriques
présentées pour chacune d’entre elles, se réfèrent à des études antérieures elles-mêmes déjà validées. Parmi ces 19 échelles et instruments de mesure, six furent mis sur pied par le Service correctionnel du Canada (S.C.C.) en fonction de nos propres besoins et parce qu’inexistants ailleurs (Tellier et Serin., ibid).

Par codification, nous entendons à signifier l’inventaire exhaustif des données, leur pertinence, leurs analyses systémiques, leurs interprétations et leurs classifications. L’utilisation des échelles de mesure s’est imposée pour éviter le biais résultant de l’autorévélation et afin de nuancer les différentes variables sous-jacentes à chacun des thèmes présentés ici.

Quatre questions qualitatives sous-tendent à des réponses synthèses propres à la personne. Elles ont trait aux qualités que croit posséder la personne à titre d’agent de correction, les avantages et inconvénients qui y sont reliés et, finalement, les raisons qui l’ont poussé à opter pour ce choix de carrière. Chacune de ces réponses (y compris les nuances langagières), a été textuellement classée par mot clef selon le vocabulaire utilisé par la personne participante.

Pour limiter toute redondance ou recoupement avec certaines questions, notre choix s’est porté sur des questionnaires adaptés à la réalité canadienne. La complétude du changement d’attitude des nouveaux agents de correction avant et après leur formation puis durant leur adaptation en institution, c’est-à-dire avec changement de verbe entre l’anticipation et le recul dans le temps, nous imposait une analyse approfondie des variables sous-jacentes à leur adaptation tant attitudinale que comportementale. Il importait également de ne pas nous égarer hors contexte en construisant un ensemble de réponses basées uniquement sur des résultats quantitatifs ni de se laisser aller à une surproduction de données. La validité d’un modèle tenant beaucoup plus à la cohérence des enchaînements, à la justesse d’une hypothèse et à sa précision qu’à un amoncellement de questionnaires surchargeant l’analyse dans sa finalité.

De plus, le bassin d’échantillonnage comportait ici des zones aléatoires liées à la volonté ou non du répondant à y demeurer sur une période échelonnée de 15 mois. Réalité qui allait s’accentuer au fur et à mesure du calendrier mais de façon plus spécifique à partir du troisième mois en établissement puisque la scission s’opère entre le moment où la personne faisait part de ses aspirations (phase d’espérance) ; ce qu’elle apprenait en amorçant le processus de formation (phase d’apprentissage) ; et la dernière, celle de la reconfiguration entre ce qu’elle avait appris en classe et sa mise en application sur le terrain (phase de constatation). Nous porterons également une attention toute particulière envers tous ceux et celles qui ont abandonné la formation pour des motifs tant personnels que ceux résultant d’un échec.

L’importance d’avoir pour bassin d’échantillonnage l’ensemble des nouveaux agents de correction à travers les cinq régions, reposait sur plusieurs données impératives : le nombre en terme quantitatif : 249 participants ; le type de relations qu’entretient ce groupe dès ses débuts au collège du personnel puis, par la suite, avec la population carcérale et sur trois quarts de travail ; l’impact et les nombreuses répercussions de dualité qu’il y a à composer entre sécurité de l’établissement et relation d’aide ; la spécificité du travail d’agent de correction et les différentes particularités à œuvrer en milieu fermé ; les interactions limitatives entre une description de tâches formelles et les nombreux impondérables ; la visibilité environnementale et quotidienne ; la confrontation entre ce que la personne a pu apprendre et la réalité puis, pour terminer, la reconnaissance publique du travail d’agent de correction si on le compare à d’autres secteurs du domaine de la justice pénale. Le tout, en respectant là aussi les particularités culturelles et ethniques de chaque région.
L’auteur est toutefois conscient que le questionnaire pouvant être rempli selon le temps voulu par la personne participante, dans des lieux et au moment choisis par elle, ne prend pas en compte certains paramètres sensoriels tels que le regard, les silences ou le gestuel. Verbatim complémentaire à toute forme de compréhension se voulant la plus exhaustive comme c’est le cas avec les entrevues.

Autre point de départ dans notre méthodologie et dans un souci d’objectivation optimale, une de mes préoccupations premières fut à la fois de ne pas ignorer la pensée spéculative face à certaines hypothèses et à la fois de me distancer de ma propre expérience du milieu carcéral.

Après avoir invité officiellement puis réuni un comité de direction composé de représentants régionaux, de la gestion de carrière, de responsables syndicaux et des relations de travail par une présentation du projet de recherche en novembre 2001, c’est à partir du 1er septembre 2002 que chaque autorité fut informée par lettre du lancement opérationnel de la recherche. Le 23 du même mois, nous amorcions la distribution des premiers questionnaires en commençant par la région Atlantique.

Pour éviter toute forme d’interférence, en terme de processus, la présentation du questionnaire fut remise à chacune des toutes premières classes du P.F.C., selon leur région respective. Toutes les classes suivantes furent assurées par les instructeurs en place selon le protocole d’entente et une procédure orale limitée au texte fourni par la recherche ; le tout appuyé d’une série de diapositives sur Powerpoint expliquant en détail les six phases de l’étude. Chaque questionnaire codé selon un numéro répondant à la région et au nom de la personne fut distribué dans une enveloppe marquée du nom et du prénom de la recrue. Seul le Questionnaire Pré A exigeait préalablement une signature afin d’officialiser l’acceptation de la personne participante. Puis, une fois rempli, chaque recrue le remettait sous pli scellé dans une enveloppe adressée à mon intention puis expédiée par courrier interne à l’administration centrale.

Avant de clore ces quelques lignes quant à la méthodologie employée, je ne saurais trop insister sur le fait qu’en dépit du nombre de recherches dans le domaine correctionnel depuis les vingt dernières années, plusieurs écrits ont été éliminés de nos références bibliographiques à la fois parce que certains d’entre eux remontaient à une époque où les programmes étaient encore au stade expérimental ; à la fois contextuels, juridiques ou liés aux particularités historiques propres à chaque pays et par conséquent ne cadrant pas avec la réalité canadienne ; et, finalement, que les banques de données demeuraient souvent les mêmes, liant ainsi la répétition de certains biais et ce, sans omettre les effets pervers d’une mesure de performance propre aux chercheurs qui se matérialise trop souvent par le nombre de fois que la personne est citée dans un texte.