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1A - Constat

Mise en ligne : 24 juin 2006

Dernière modification : 20 novembre 2010

Texte de l'article :

I. Constat

A. La réinsertion des personnes détenues

1. Les profils des personnes détenues

La population carcérale globale est difficile à appréhender car elle se compose de sous-groupes qui ne sont pas répartis de façon homogène. J’ai choisi d’analyser cette population à travers une classification par types d’établissement pénitentiaires. En effet, le système actuel attribue un établissement à une personne détenue en fonction de son statut (prévenu, condamné...) mais également en fonction de sa personnalité et de son potentiel de réinsertion.
Analysons dans un premier temps les types de peines qui conduisent à l’emprisonnement.

a. Les types de peines
Dans le cas de violation de la loi, on distingue le crime, du délit et de la contravention par le degré de gravité de l’infraction qui implique une peine encourue et une procédure différente.

Le « Lexique des termes juridiques »  [1] définit ces 3 termes de la façon suivante :
Le crime est une « infraction de droit commun ou infraction politique »
On distingue donc 2 peines encourues pour cette infraction :
• Détention criminelle : Peine politique privative de liberté consistant dans l’incarcération de la personne condamnée
• Réclusion criminelle : Peine criminelle de droit commun, perpétuelle ou temporaire de 30, 20, 15 ans au plus, dont l’objet est la privation de liberté de la personne condamnée.

Le délit, « au sens strict, est une infraction dont l’auteur est punissable de peines correctionnelles. Les peines correctionnelles encourues pour les personnes physiques sont l’emprisonnement (entre 6 mois et 10 ans au plus), l’amende (montant minimal de 3750€), le jour-amende, le travail d’intérêt général, des peines privatives ou restrictives de droits, et des peines complémentaires. »

La contravention est « l’infraction la moins grave après les crimes et les délits, sanctionnée de peines contraventionnelles. Ces peines sont l’amende, certaines peines privatives ou restrictives de droits, et des peines complémentaires. »

Les peines qui nous intéressent dans le cadre de cette recherche sont la détention criminelle, la réclusion criminelle et la peine correctionnelle.

 b. Les types d’établissements pénitentiaires
La prison est un lieu d’exécution des décisions de justice, lesquelles peuvent être une mise en détention provisoire dans l’attente du procès (pendant l’instruction) ou une détention prononcée à titre de peine. A ces deux dispositions correspondent quatre types de prisons.

-Les Maisons d’arrêt
Elles accueillent principalement les prévenus (personnes non encore jugées). On y trouve aussi des personnes condamnées dont le reliquat de peine est inférieur à un an ou qui sont en attente d’affectation définitive.

-Les Maisons centrales
Elles accueillent des personnes détenues de longue peine, des multirécidivistes, ainsi que des personnes dites dangereuses avec un pronostic de réinsertion sociale peu favorable.

 -Les Centres de détention
Ils reçoivent des personnes condamnées dont le reliquat de peine est supérieur à trois ans, mais considérées comme présentant de bonnes perspectives de réinsertion, d’où un régime de détention principalement orienté vers la resocialisation de ces personnes.

 -Les Centres de semi-Liberté
Selon le glossaire juridique [2], ils représentent « la modalité d’exécution d’une peine permettant à une personne condamnée d’exercer, en dehors d’un établissement pénitentiaire, une activité professionnelle, de suivre un enseignement ou de bénéficier d’un traitement médical. A l’issue de ces activités, la personne condamnée doit rejoindre le centre de semi-liberté. »

 -Les Centres Pénitentiaires
Ils comportent deux catégories :

  • Les Centres pénitentiaires régionaux qui regroupent une Maison d’arrêt et un Centre de détention régional.
  • Les Centres pénitentiaires nationaux qui regroupent une Maison d’arrêt et un Etablissement pour peine.

    c. Caractéristiques de la population carcérale

    Selon une enquête réalisée par le ministère de la justice et publiée en février 2006 [3], la France compte à cette même date, 59 248 personnes détenues pour 51 142 places. Le taux d’occupation moyen dans les établissements pénitentiaires est de 115,8 %. On compte 38.208 condamnés pour 21.033 prévenus (en attente d’être jugés) au 1er décembre 2005 [4].

    Population carcérale par type d’établissement au 1er janvier 2004  [5] :
    Ensemble de la population carcérale : 58 465
    Maison d’arrêt : 34 265
    Centre de détention : 8 583
    Centre de détention régional : N.C.
    Maison centrale : 1 096
    Centre de semi-liberté : 423
    Centre pénitentiaire : 14 098


    Sexe, âge et nationalité :
    La population carcérale très majoritairement masculine (96 %) et jeune (près de la moitié des personnes détenues ont moins de 30 ans).
    Au 1er juillet 2003, 12 231 étrangers étaient incarcérés. Ils représentaient ainsi 21,4% de la population carcérale, bien au-delà de leur représentation dans l’ensemble de la société française [6].

    Qualification et activité professionnelle  :
    Cette même population est par ailleurs peu qualifiée :

  • 59,5 % est sans qualification
  • 29,5 % est en difficulté de lecture.
    Parmi les personnes détenues âgées de plus de 25 ans, 10% étaient sans domicile fixe avant leur incarcération. La moitié n’avait pas d’activité professionnelle à leur entrée en détention, et 57% n’avaient pas été actifs continûment plus de deux ans au cours des cinq années avant leur incarcération. 11% percevaient le RMI, 4% les allocations ASSEDIC [7].

    Psychologie :
    Lors d’une étude réalisée par les services médico-psychologiques régionaux sur la santé mentale des personnes détenues (Ibid.), au moins un trouble psychiatrique, de gravité plus ou moins importante, a été repéré chez 55% des entrants. On distingue différents types de symptômes : des troubles anxieux (55% des cas), des troubles addictifs (54%), des troubles psycho-somatiques (troubles du sommeil et de l’alimentation : 42%) et des troubles de conduite (impulsivité, conduite anti-sociale, etc. : 42%)

    L’origine familiale des personnes détenues
    En 1999, l’Insee a réalisé une enquête spécifique  [8] sur l’histoire familiale de 1 700 hommes adultes incarcérés en maisons d’arrêt ou centres de détention.
    Les résultats montrent que les hommes des classes populaires sont fortement surreprésentés parmi les personnes détenues. La profession des parents confirme ces résultats : 47 % des pères et 31 % des mères sont ouvriers. Plus de la moitié (54 %) des mères sont inactives.

    2. Les problèmes de réinsertion
    La réinsertion professionnelle nécessite un travail sur l’ensemble de la situation du détenu.

    Une population désocialisée avant même son incarcération
    Comme nous avons pu le constater dans la partie précédente, une bonne partie des personnes qui vont en prison ne sont pas réellement bien insérées dans la société avant leur incarcération.
    Par ailleurs, une grande partie des personnes détenues ne sont pas soutenues par leur famille pendant et après leur période d’incarcération, ce qui renforce leur solitude.
    Un séjour en prison va, dans la plupart des cas, contribuer à la détérioration de leur socialisation.

    La coupure de la prison
    La personne détenue, pendant toute sa période de détention a été coupée du monde extérieur, il y a par conséquent un décalage entre ce qu’elle connaissait avant son incarcération et la vie telle qu’elle est à sa sortie.
    L’ancienne personne détenue a également été coupée de son environnement familial et amical. Elle rencontre par conséquent des difficultés à retrouver la place qu’elle avait avant son incarcération au sein de ce groupe social. C’est ce que William Renard explique dans son livre  [9] : « Avant c’était papa par-ci, papa par-là, alors que maintenant je compte pour des prunes. »
    Imanouel Pajand, coordonateur du suivi des personnes détenues au sein de l’association FAIRE (Formation et Aide à la Réinsertion) parle ainsi du « choc de la liberté ».
    Il faut savoir que le décalage est d’autant plus important que sa détention a été longue. Or on a pu constater que de par l’alourdissement des peines prononcées, la durée moyenne de détention s’allonge : au 1er janvier 2000, en France métropolitaine, 41.3% effectuaient une peine de plus de 5 ans contre 34% au 1er janvier 1996 [10].

    Le fonctionnement du système pénitentiaire
    Les personnels d’insertion et de probation, dont la mission principale est de favoriser la réinsertion des personnes condamnées, représentent à peine 9 % des effectifs totaux de l’administration pénitentiaire et la part consacrée à cette mission environ 11 % de son budget [11]. En moyenne, un salarié d’insertion et de probation a à sa charge plus de 25 détenus. Par ailleurs, la coordination entre l’institution pénitentiaire et les acteurs sociaux, institutionnels et associatifs reste hésitante. Cette situation ne permet pas à ceux-ci de préparer correctement leur sortie de prison.
     Par ailleurs des dispositifs comme les aménagements de peine (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle, etc.), sont insuffisamment utilisés.
     Enfin pendant sa période d’incarcération, la personne détenue est passive : elle a généralement peu d’activité, est surveillée et prise en charge en permanence. Elle n’a donc aucune marge de manœuvre. Je citerais une fois de plus William Renard (Op. cit.) : « Je reconnais qu’à force d’obéir, de suivre un règlement [...] je ne sais plus me prendre en main...Je me la joue à l’instinct, car prendre une décision tient de l’improbable à présent. ».
    Les personnes détenues ne sont donc pas responsabilisées, mais plutôt infantilisées, ce qui rend plus difficile également leur réinsertion, une fois sorties de prison.

    Le travail carcéral
    Élément fortement structurant de la réinsertion des personnes détenues, il n’est pas abordé de manière satisfaisante : pas de reconnaissance du droit du travail [12] ; une rémunération faible  [13] et une offre d’emploi généralement peu qualifiante.
    Il faut savoir par ailleurs que, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1987, le travail des personnes détenues n’est plus obligatoire en France. Mais l’article 720 du Code de procédure pénale impose une obligation de moyens en vue de procurer une activité professionnelle aux détenus qui en font la demande.
    Cependant, de nombreux freins persistent : un tissu économique plus ou moins dynamique en fonction de l’implantation des lieux pénitentiaires, des difficultés à attirer les entreprises "recruteuses", une surpopulation carcérale, mais aussi des chefs de détention peu réceptifs ou des populations pénales difficiles...On remarque donc une insuffisance des offres d’emploi proposées. Ainsi parmi les 58 465 personnes détenues en 2004, environ 21 000 travaillaient. Le taux moyen de détenus au travail était proche de 40 % (en y intégrant également la formation professionnelle). [14]

    Aspect économique
    L’argent que la personne détenue gagne pendant sa détention ou qu’elle a pu mettre de côté avant, lui est nécessaire pour indemniser les parties civiles, constituer un pécule pour la sortie, notamment quand elle a une famille à l’extérieur et surtout, satisfaire ses besoins en détention. En effet, en prison tout se paie : la télévision, la nourriture supplémentaire, la lessive, etc.
    On comprend donc facilement, que les personnes sortant de prison se retrouvent souvent dans des situations économiques difficiles. Ainsi, à la sortie, 25% des personnes possèdent moins de 15€, 20% moins de 8€ et en moyenne. Les libérés sortent en moyenne avec 130€ en poche [15]. Cette situation complique davantage la réinsertion de ce public.

    Regard de la société
    Malgré une évolution des mentalités, le regard de la société et notamment des proches de la personne anciennement détenue, est souvent très méfiant.
    Ce regard dépend de l’état psychologique de la personne et surtout de l’ampleur de sa faute.

    Difficultés des démarches administratives
    A sa sortie l’ancienne personne détenue doit faire face à un parcours du combattant : elle doit ouvrir un compte bancaire pour ensuite obtenir une Couverture Maladie Universelle, demander une Aide Médicale Etat qui lui donnera accès aux soins dispensés à l’hôpital, faire faire une carte d’identité ou le permis de conduire, passer à la mairie pour demander à rencontrer une assistante sociale et prendre toutes les mesures nécessaires pour la recherche d’un emploi et d’un logement.

    La privation des droits et casier judiciaire [16]
    La privation des droits des anciennes personnes détenues interdit d’exercer de nombreuses professions, de voter, d’exercer certains droits familiaux comme être tuteur d’enfants d’autrui et de témoigner en justice. Mais depuis la réforme du 1er mars 1994 elle n’est plus automatique : seule la juridiction qui rend le jugement peut l’imposer et elle ne doit pas excéder dix ans.
    Cependant les interdictions professionnelles demeurant, des textes spéciaux continuent d’interdire aux administrations d’embaucher d’anciens délinquants, plus particulièrement dans les professions commerçantes.
    Le casier judiciaire rassemble les données relatives à l’ensemble de la population. La Cour de cassation a clairement décidé dans un arrêt du 25 avril 1990  [17] que le salarié "n’avait pas l’obligation de faire mention de ses antécédents judiciaires". Cependant, il est relativement fréquent que l’employeur demande aux candidats à l’embauche un extrait du casier judiciaire. Il faut par ailleurs savoir que deux outils -le relèvement et la réhabilitation- permettent de retrouver ces droits, malgré une procédure extrêmement longue.

    3. Les dispositifs de réinsertion professionnelle
    En collaboration avec des partenaires publics ou associatifs, l’administration pénitentiaire met en place des dispositifs d’insertion qu’elle propose aux détenus ou aux personnes faisant l’objet d’une mesure restrictive de liberté.

     a/ Dispositifs publics
    Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP)
    Rétablir le dialogue entre le délinquant et la société, préparer la réinsertion des personnes placées sous main de justice, telles sont les missions essentielles du SPIP. Pour tenir cet engagement, l’administration pénitentiaire met en place des dispositifs d’insertion (hébergement, emploi, suivi médical...) avec des partenaires publics ou associatifs en faveur des personnes placées sous main de justice, en détention ou en milieu libre.

    ANPE : espace liberté emploi
    L’Espace liberté emploi, une agence ANPE spécialisée, intervient dans la vingtaine d’établissements pénitentiaires en Ile-de-France. Son action, en partenariat avec le SPIP, commence pendant l’incarcération et se poursuit à la sortie de prison. L’agence participe à la préparation à la sortie des personnes détenues (évaluation des compétences, ateliers pratiques de recherche d’emploi, formations qualifiantes...). Elle propose un accompagnement personnalisé vers l’emploi ou vers un projet aux personnes manquant d’autonomie dans leurs recherches.

    La formation professionnelle
    152 établissements proposent un dispositif de formation professionnelle. Les actions, en ce domaine, sont définies conjointement par le ministère de la Justice et le ministère du Travail. En 2004, 18 000 détenus ont bénéficié d’une action de formation professionnelle [18].

    Les aménagements de peine et le travail carcéral
    Malgré une utilisation insatisfaisante de ces dispositifs (Cf. paragraphe précédent), ils sont l’occasion pour les personnes détenues de se réapproprier une vie plus « normale » et ainsi de se réinsérer plus facilement.

    b/ Dispositifs privés
    Club Informatique Pénitentiaire (CLIP)

    L’association a pour but d’initier à l’informatique dans une perspective de réinsertion.

    Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI)
    Ce groupement a pour but de développer des actions d’enseignement en prison en s’appuyant sur l’engagement d’étudiants bénévoles qui appartiennent à tous les secteurs d’études supérieures.

    AUXILIA
    L’association a pour vocation d’aider des personnes en marge de la société par suite de maladie, de handicap, de chômage ou en détention et de préparer leur insertion ou réinsertion socio-professionnelle par un service d’enseignement par correspondance.

    CNED, AFPA et GRETA
    Ces 3 organismes proposent également un enseignement à un public de détenus

    Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE)
    Cette association propose encadrement et financement pour les projets des anciens détenus.

Notes:

[1Raymon Guillien et Jean Vincent. 2001. Lexique des termes juridiques. Italie : La tipografica Varese. 592p.

[3Ministère de la justice. Février 2006. Les prisons en France. Dossier de presse

[6Didier Liger, "Les étrangers en détention", intervention au colloque "Où vont les prisons ? Entre "réalités" et "droits" ", Conseil National des Barreaux, Colloque du 20 novembre 2003, Assemblée Nationale

[7DRESS. 2002. La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les services medico-psychologiques régionaux. 12 p.

[9William Renard et Francis Fehr. 2000. Le miroir aux alouettes. Edition e-dite. 167p

[10Fédération Nationale des Association d’accueil et de Réinsertion Sociale (FNARS)

[11Conseil Economique et Social. 17 février 2006. Notes d’Iéna. Les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des personnes détenues en France.4p

[12L’article 720 du Code de Procédure Pénale spécifie : « Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail. »

[13Le « SMIC détenu » s’élève à 45% du SMIC appliqué à l’extérieur

[17Dalloz 1991, Jurisprudence, p.507

[18Ministère de la Justice. 2 novembre 2005. Dossier de presse : les prisons en France