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Non à la Pénalisation de la transmission du VIH

(1996) Faut-il -encore- pénaliser la transmission du VIH en Suisse ?

Mise en ligne : 25 août 2006

Texte de l'article :

Faut-il -encore- pénaliser la transmission du VIH en Suisse ?

Le mois de décembre débute traditionnellement avec la Journée mondiale du sida, occasion de rappeler quelques préceptes de prévention et de solidarité avec les personnes séropositives ou malades du sida. Le mois de décembre est également l’occasion de dresser un bilan des condamnations intervenues durant l’année écoulée pour cause de transmission du VIH.
Depuis l’apparition du sida en Suisse, plusieurs dizaines de condamnations pénales ont été observées. Ces condamnations sont elles justifiées ou au contraire, nuisent-elles aux efforts de prévention ?

Florian Hübner / Juriste MPA / Groupe sida Genève

Le sida et l’Etat : prévention et répression
La lutte contre le sida a obligé les Etats à intervenir, à réagir voire à réglementer. La protection de la santé collective a nécessité différentes mesures préventives, curatives ou parfois répressives. Si les mesures de prévention sont généralement reconnues comme étant les plus efficaces, certains Etats dont la Suisse n’ont toutefois pas exclu l’outil pénal comme moyen de prévenir les maladies, étant généralement admis qu’il s’agit clairement d’un ultima ratio, qui ne doit être utilisé que si les autres mesures échouent.
L’Etat porte la responsabilité de veiller à la santé et à la sécurité des individus formant la collectivité : éviter toute atteinte à la santé (prévention), diminuer les effets d’une éventuelle atteinte (recherche, prise en charge médico-sociale) et protéger l’individu (réprimer les atteintes volontaires à la santé). Mais cette approche est-elle pertinente dans le contexte du VIH ? En 1996, peut-on encore dire que la pénalisation de la transmission du VIH sert à autre chose qu’à rassurer quelques nostalgiques du propre en ordre sanitaire en Suisse ? Si cette dernière a généralement une très bonne image à l’étranger pour la qualité et l’efficacité des campagnes de prévention qui y sont menées, on oublie de préciser qu’à côté de ce “succès” des personnes continuent à être envoyées en prison pour avoir transmis ou tenté de transmettre le VIH à leur partenaire.
Il y a une année, le soussigné écrivait dans ce même journal (Droit et sida : quelques réflexions personnelles tirées d’une pratique quotidienne, Plaidoyer 6/96) que “a contrario, les questions telles que la responsabilité pénale de la transmission du VIH ont un intérêt avant tout académique voire médiatique”. Pourtant, parler des incidences pénales de transmission reste toutefois nécessaire. Si la question reste modeste dans la pratique du point de vue quantitatif (quelques condamnations par année en regard de plusieurs centaines de nouvelles infections), elle demeure entière sur le plan du principe.
La présente contribution se veut critique et quelque peu provocante. En effet, le cadre juridique actuel est a priori relativement limpide : le code pénal permet sans interprétation exagérée de condamner une telle transmission, et les auteurs cités en annexe l’ont abondamment décrit. Partant de ce constat, un article faisant simplement une exégèse des dispositions pénales existantes serait sans intérêt. Le point de vue exprimé ici est que la ‘solution pénale’ suisse n’est pas satisfaisante, qu’elle n’apporte aucune réponse crédible à la lutte contre le sida dans ce pays et qu’elle contribue à stigmatiser encore davantage les porteurs du VIH. Voici une contribution à la discussion.

VIH et droit pénal, quelques dispositions appliquées
La santé étant considérée comme un bien devant être juridiquement protégé, y compris sur le plan du droit public, il n’est pas étonnant de retrouver des dispositions protégeant la santé dans le code pénal suisse (CPS).
Une première disposition régulièrement citée dès que l’on aborde la transmission du VIH est l’art.
231 CPS (propagation d’une maladie de l’homme, dans le titre huitième sur les crimes et délits contre la santé publique). Il prévoit que :
1. Celui qui, intentionnellement, aura propagé une maladie de l’homme dangereuse et transmissible sera puni de l’emprisonnement d’un mois à cinq ans.
La peine sera la réclusion pour cinq ans au plus si le délinquant a agi par bassesse de caractère.
2. La peine sera l’emprisonnement ou l’amende si le délinquant a agi par négligence.
Selon les travaux préparatoires, le but de l’art. 231 est la lutte contre la propagation de maladies dangereuses, soit celles qui sont suivies de mort ou qui entraînent des séquelles graves ; le caractère de dangerosité dépend tant de la gravité propre de la maladie que de la gravité de l’épidémie.
L’atteinte à la santé individuelle n’est pas le bien protégé par cette disposition. Il est intéressant de noter qu’avant “l’ère sida” l’art. 231 a été appliqué une fois en ... 1947 pour la transmission d’une blennorragie.
Pour que la transmission du VIH puisse tomber sous le coup de cette disposition, le VIH doit être considéré comme étant une maladie de l’homme dangereuse ET transmissible. Une définition d’une telle maladie est donnée par la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme du 18 décembre 1970 (loi sur les épidémies, RS. 818.101 dont une des bases constitutionnelles est l’art. 64bis Cst. ) qui précise à son article 2 que les maladies transmissibles au sens de la loi sont les “maladies produites par des agents pathogènes et pouvant être transmises directement ou indirectement à l’homme”. L’art. 27 de cette loi fait obligation aux médecins de déclarer certaines maladies portées à leur connaissance. L’ordonnance concernant la déclaration des maladies transmissibles de l’homme (ordonnance sur la déclaration, RS.818.141.1) précise que le médecin doit déclarer au médecin cantonal dans un délai d’une semaine le SIDA (art. 2 lit. b).
Contrairement aux autres maladies citées dans cette ordonnance, une déclaration anonymisée suffit (art. 3 al.4). Dans ce contexte, il n’est pas fait mention du VIH.
Il n’est pas contesté que le VIH est transmissible à l’homme et qu’une personne nouvellement infectée est immédiatement ‘contagieuse’ à son tour (le terme est impropre car le VIH est transmissible et non contagieux). Mais cette transmission constitue-t-elle une maladie dangereuse ?
L’infection à VIH n’est pas dangereuse en tant que telle. Ce qui peut être dangereux pour la santé, c’est le développement de cette infection et l’atteinte négative que cela entraîne pour la santé de la personne infectée. La plupart des auteurs admettent le caractère dangereux de la contamination au VIH en raison du développement probable d’une infection future ; la présence de symptômes et les possibilité de traitement ne sont pas déterminantes.
Le TF, amené en 1990 à se pencher sur la question de la punissabilité de la transmission du VIH, avait admis que le VIH était une maladie dangereuse au sens de l’art. 231, tout en rappelant qu’une définition juridique unique de la maladie n’existait pas (ATF 116 IV 125).
Le délit est consommé s’il y a transmission effective d’une maladie. Dans la logique de l’art. 231, la personne qui a été infectée doit elle-même être ‘contaminante’ pour qu’il y ait propagation de maladie. A contrario, s’agissant d’un délit de résultat, une simple mise en danger n’est pas constitutive d’un délit (LOB et HUBER notamment souhaitent qu’un délit de mise en danger vienne compléter l’art. 231). Dans ce cas, il pourrait y avoir délit manqué (22 CPS). La transmission du VIH à une personne déjà séropositive ne constitue pas un délit. Cette surinfection (les virus du VIH sont différents) peut certes aggraver l’état de santé d’une personne séropositive mais reste un délit impossible vu que la “victime” est déjà ‘contaminante’ au moment de la (nouvelle) transmission .
L’intention sera rarement présente (à l’exception des “desperados” qui voudraient délibérément nuire en contaminant autrui par vengeance, volonté délibérée, etc.). En revanche, le cas plus fréquent sera celui du dol éventuel (je ne souhaite pas la transmission mais j’accepte le risque que cela puisse se produire) voire la négligence (231. al 2 en lien avec 18).
La volonté délictueuse présuppose la connaissance de son statut sérologique : une personne qui ne connaît pas son statut sérologique, ne pourra être accusée de transmission intentionnelle. Cet élément a son importance en terme de prévention et nous y reviendrons plus loin. La personne doit également être consciente des risques de transmission liés à son état sérologique. On a beaucoup écrit qu’avec les campagnes de prévention (campagne nationale STOP SIDA notamment), nul ne peut prétendre ignorer les règles du “safer sex”. Cette approche nous paraît pêcher par naïveté : la pratique nous montre qu’il ne suffit pas de dire “protégez-vous” pour que l’ensemble de la population comprenne et surtout intègre les règles du safer sex, sinon il n’y aurait pas près de mille
nouvelles infections par année après dix ans de campagne STOP SIDA. Si la logique information = changement de comportement correspondait à la réalité, alors il y a longtemps que le nombre des nouvelles infections aurait diminué en Suisse.
Un détail semble échapper à certains éminents juristes et juges : les relations sexuelles, amoureuses ou non, puisque c’est principalement de transmission par voie sexuelle dont il est question en Suisse lorsqu’on parle de pénalisation, ne se gèrent pas aussi facilement que l’achat d’un ticket de bus. Il y a de la passion, de l’aveuglement, de la peur, de l’émotion, du sentiment. Garder à l’esprit les préceptes du safer sex -pour autant qu’ils soient clairs !- dans ces moments et les appliquer est difficile. Il ne suffit pas d’énoncer des messages préventifs pour entraîner automatiquement des comportements adéquats.
STRATENWERTH se demande d’ailleurs s’il est admissible de considérer que la simple conscience du risque de transmission suffit déjà à admettre l’intention alors que le risque de contamination se chiffre en pour mille. Quant à la connaissance des risques de transmission, lorsque l’on sait qu’en France en 1995 une enquête à démontré qu’environ 10% des médecins (!) se méprenaient parfois lourdement sur les risques réels de transmission du VIH, il faut se montrer prudent avec cette prétendue connaissance généralisée des vertus du safer sex, même s’il est vrai que le lien “sexe-risque de sida” existe largement dans la population.
On l’a vu, l’art. 231 ne protège pas directement la santé individuelle. Dans ce cas, les art. 111ss et 122ss CPS peuvent trouver une application. Dans un récent jugement rendu à Yverdon, la partie civile avait demandé l’aggravation de la peine : l’auteur de la contamination devait être poursuivi non seulement pour transmission d’une maladie mais également pour meurtre manqué par dol éventuel voire homicide par négligence manqué au motif que la contamination entraînait à terme une issue fatale. Cette approche n’a heureusement pas été retenue par le Tribunal qui a nié l’existence d’un lien de causalité suffisant entre la contamination et un décès futur éventuel, tant du point de vue temporel que de l’intention. La propagation d’une maladie et les lésions corporelles graves par dol éventuel ont finalement été retenues.
L’art. 122 (lésions corporelles graves, dont l’atteinte grave à l’intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale) a trouvé plusieurs applications jurisprudentielles et est mentionné régulièrement par la doctrine, avec certaines réserves quant à l’absence de mise en danger imminente et concrète de la santé de la “victime”. La même question se pose pour le VIH qu’avec l’art. 231 : la ‘simple’ contamination constitue-t-elle une lésion corporelle grave ? Quel degré doit avoir l’atteinte à la santé pour être considéré comme une lésion corporelle grave ?
Le TF (ATF 116 IV 125) a admis un concours idéal entre 231 et 122 CPS, les deux dispositions protégeant des biens différentes (public/individuel). L’art. 123 serait en revanche absorbé par 231.
Quant aux dispositions de la LF sur les épidémies (art. 35) elles ne s’appliquent que subsidiairement au CPS et sont donc sans grand intérêt ici.
Une des difficultés est le problème de la preuve. Pour qu’une personne soit reconnue coupable, le lien de causalité doit être prouvé entre “son” VIH et la contamination de la “victime”. Si cette preuve est considérée généralement comme difficile à fournir, on peut s’interroger si le principe in dubio pro reo est toujours respecté à voir comment certains tribunaux se contentent d’un faisceau d’indices pour établir l’existence de ce lien de causalité.

Consentement ou coresponsabilité ?
Qu’en est-il d’une acceptation du risque de la transmission par la “victime” ? La plupart des auteurs rejettent une telle possibilité pour l’art. 231 en invoquant le fait qu’il protège un bien collectif et non pas individuel et que partant, un consentement individuel à une atteinte collective n’est pas possible. Pour les lésions corporelles, un tel consentement sera généralement refusé pour 122, mais éventuellement admis pour 123.
KUNZ apporte un éclairage différent. Pour lui, l’art. 231 ne trouverait pas son application si la “victime” accepte le risque d’une contamination (dans ce cas il s’agirait d’une mise en danger acceptée par la “victime” elle-même et sous sa propre responsabilité) et se protège ensuite : l’art. 231 est consommé lorsqu’il y a danger même abstrait de propagation de maladie, donc dès qu’une “victime” peut à son tour contaminer. Si cette “victime” prend les précautions d’usage, il n’y a plus risque de propagation au sens de 231. Et si la “victime” consentante finalement contamine une tierce personne, il en irait de sa responsabilité et non plus celle de l’auteur initial.
Si le consentement fait référence à la notion de culpabilité, il en va autrement de la coresponsabilité.
Celle-ci sort du cadre pénal pour signaler qu’en terme de sexualité il y a une responsabilité partagée entre les partenaires, et que l’antinomie contaminateur-victime n’y a plus sa place. Il s’agit de deux individus responsables, conscients de leurs actes et des conséquences éventuelles et il est erroné de faire reposer sur un seul partenaire du couple la responsabilité d’une relation sexuelle.
Comme le cite le Tribunal de police de Genève dans son jugement du 29 août 1994, il est “irresponsable de ne pas se protéger, du moins dans le cadre d’une relation sexuelle à caractère instable ou occasionnel. En d’autres termes, dans tout rapport sexuel non protégé entre adultes consentants, il y a co-responsabilité en cas de contamination.

Petite excursion étrangère
Brièvement, voici quelques situations étrangères. En Europe, il n’y a -sauf erreur- aucun pays qui possède de disposition spécifique punissant la seule transmission du VIH. En France, lors des travaux parlementaires sur le nouveau code pénal, le Sénat avait proposé un délit d’empoisonnement par la dissémination d’une maladie transmissible qui visait clairement les séropositifs. L’Assemblée nationale a refusé d’inscrire ce délit, qui faisait virtuellement de chaque séropositif un criminel , dans le nouveau code pénal.
Aux Etats-Unis, plusieurs Etats connaissent -et utilisent- des dispositions condamnant spécifiquement la transmission du VIH. Au Canada, une telle loi a été proposée au Parlement.
L’Autriche et (feu) la Tchécoslovaquie connaissent un délit de transmission de maladie.
L’Allemagne a vu plusieurs condamnations sur la base de dispositions protégeant l’intégrité corporelle ou la santé.
La position britannique est intéressante : le principe de la responsabilité partagée y est pleinement reconnu. Si une personne accepte une relation sexuelle avec un partenaire, elle en “accepte” également toutes les conséquences éventuelles. Une procédure judiciaire est ainsi exclue. L’Irlande et l’Italie ont adopté une position similaire.

Quels condamnés ? Quelle procédure ? Quel avenir ?
A la lecture de certains jugements, on peut légitimement s’interroger sur l’impartialité de la justice.
Les personnes condamnées l’ont été pour l’essentiel pour contamination ou délit manqué de contamination par voie sexuelle. Leur comportement n’a pas nécessairement été dans la norme helvétique : partenaires multiples, infidélité conjugale, nationalité étrangère (le musicien de jazz noir ou le requérant d’asile zaïrois). Au procès dit de Muri (1993) le condamné a été présenté comme “höchst nachlässig, leichtfertig und egoistisch”.
Il y a eu en Suisse environ 30’000 infections au VIH depuis le début des années quatre-vingts. Sur ces infections, une partie tomberait probablement sous le coup des dispositions susmentionnées à un titre ou un autre. Si l’on retient l’art. 231 CPS où le consentement éventuel de la “victime” est sans incidence sur la réalisation de l’infraction, pourquoi n’y a-t-il pas eu d’autres procès ? Les personnes condamnées font-elles partie des ‘pas de chance’ ? La couleur de la peau joue-t-elle un rôle ? Ou serait-ce un désir de vengeance suite à une rupture sentimentale ? Un souci sanitaire d’un procureur ou d’un médecin cantonal ?
Ensuite, si l’on voulait aller au bout de la logique pénale, on poursuivrait toutes les mères séropositives qui sont enceintes et acceptent ainsi -dol éventuel ?- de contaminer leur enfant à naître !
Une telle approche serait juridiquement logique, mais totalement inacceptable. Pourquoi ? Parce que socialement une transmission mère-enfant est plus ‘correcte’ qu’une transmission par voie sexuelle ?
Le droit pénal respectivement son application sont-ils uniquement le reflet des craintes “populaires” ?
Les différentes auteurs indiqués en annexe abordent la question de la transmission en soulignant systématiquement la difficulté d’apporter la preuve d’une transmission ; seul RUPPEN souligne les inconvénients pratiques graves liés à cette recherche de la preuve. En effet, une condamnation pénale ne se limite pas au seul jugement. Avant ce dernier, l’auteur d’une infraction aura connu l’enquête de police, l’instruction avec d’innombrables questions sur sa vie intime, ses choix sexuels, ses partenaires. Bref : une intrusion inadmissible dans la vie sphère privée de l’individu.
Ensuite, à lire la jurisprudence récente, l’auteur se retrouvera selon toute vraisemblance en prison.
Or, les prisons suisses, à l’instar des prisons européennes, notamment en raison des normes répressives en matière de stupéfiants, sont des lieux où le taux de séroprévalence est plusieurs fois plus élevé de celui que l’on trouve dans la population en général. Des relations sexuelles ont lieu en prison et des seringues y sont échangées. Devant un accès difficile voire impossible à du matériel de prévention (préservatifs ou seringues stériles), des risques sont pris qui ne font que contribuer à augmenter le nombre de transmissions du VIH, qu’un emprisonnement était sensé combattre.

L’outil pénal est-il adapté ?
Dans le contexte de la lutte contre le sida, l’outil pénal a-t-il sa place ? Il est avancé que le droit pénal n’a pas qu’une fonction répressive mais également préventive. Il n’est certes pas possible ni probablement souhaitable de renoncer d’emblée à l’utilisation du droit pénal qui fait partie intégrante du système juridique suisse. Demander une sorte d’impunité pénale totale pour les séropositifs ne semble pas judicieux alors que justement une des revendications est que les séropositifs et les malades du sida aient les mêmes droits et devoirs que n’importe quel individu.
Si en terme de répression, une application exceptionnelle du droit pénal peut être admise (intention de nuire par une transmission volontaire et délibérée), l’aspect préventif semble discutable. La menace d’une sanction pénale, contestée de surcroît, servirait-elle à éviter de nouvelles infections ?
Une modification des comportements se fera-t-elle par ce biais ? Quelle est l’utilité d’une sanction pénale pour un individu déjà “sanctionné” -poena naturalis- par son état de santé ?
Considérant l’opportunité de l’outil pénal, le TF soulignait en 1990 (ATF 116 IV 125) qu’en vertu de l’art. 113 al. 3 Cst il ne lui appartient toutefois pas d’apprécier si “en matière d’infection au VIH, la répression pénale doit être abandonnée au profit exclusif de l’éducation et de la prévention”.

Non à la criminalisation du VIH
Le pénal tue certainement la prévention. En terme d’efficacité, il est de notoriété publique que le sida se traite le mieux par la limitation de nouvelles infections, soit par des mesures préventives.
Une des mesures de prévention est de responsabiliser les individus par rapport à leur comportement sexuel. Etre responsable, c’est être conscient de sa responsabilité et de celle de son partenaire. En cas de doute, la connaissance de son état sérologique est utile : elle permet de se soigner en cas de séropositivité et d’éviter d’infecter ses partenaires éventuels.
Avec l’outil pénal, que risque-t-il de se passer ? Une personne qui ne connaît pas son statut sérologique n’aura aucun intérêt à le connaître. En effet, en ignorant son statut sérologique elle ne pourra pas se savoir éventuellement ‘contaminante’ et évitera ainsi toute sanction pénale (absence de la condition subjective).
Pénaliser la contamination ne peut qu’être contre-productive : elle donne un faux sentiment de sécurité au public, elle perpétue l’image de ‘mauvais’ sida, de faute et contribue au rejet social des séropositifs et malades du sida : est-ce utile ? De surcroît, elle n’entraîne aucune diminution mesurable des nouvelles infections. Il faut dès lors cesser de considérer la pénalisation comme un outil de santé publique.
Et puis, pourquoi seulement le VIH ? L’encadré sur le VIH en Suisse montre qu’il y autant de décès en Suisse pour cause de grippe qu’en raison du sida : a-t-on condamné un seul porteur du virus de la grippe, qui de surcroît est contagieuse ? Un ‘transmetteur’ d’hépatite B est-il en prison ? Non.
Dans ce débat parfois très technique sur la pénalisation de la transmission du VIH, il faut toujours garder à l’esprit qu’une personne séropositive est une personne bien avant d’être séropositive. La responsabilisation n’est possible que si chacun et chacune est considéré comme une personne et non comme un porteur de virus. A cet égard, il faut rappeler l’importance d’une bonne prise en charge des séropositifs (counselling). Par exemple, la manière d’annoncer le résultat d’un test de dépistage (positif mais aussi négatif) sera déterminante sur sa manière “d’assumer” sa responsabilité par la suite. De même, un bon suivi médico-social débarrassé de toute notion de faute et de culpabilité permettra à une personne de vivre sa séropositivité de manière responsable.
La question de la pénalisation de la transmission est complexe. Il faut toutefois se garder de solutions techniquement correctes qui ne se soucient pas des questions éthiques et de politique juridique soulevées par cette question. La solution suisse qui consiste à penser que le droit pénal contribue à lutter contre le sida n’est pas satisfaisante. Il faut arrêter de criminaliser la transmission du VIH et se concentrer sur la prévention et la prise en charge médico-sociale. Comme le relevait l’Aide suisse contre le sida dans sa prise de position de janvier 1993 “c’est à chacun des partenaires sexuels à assumer la responsabilité d’une relation non protégée. C’est à chacun, aujourd’hui, de veiller à se prémunir contre le sida”.
Décembre 1996

Source : Groupe Sida