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17 Fiche juridique : Suspension de peine pour raisons médicales

Mise en ligne : 12 avril 2008

Texte de l'article :

Fiche juridique
Suspension de peine pour raisons médicales

La suspension de peine pour raisons médicales est une mesure d’aménagement de peine stipulée par l’article 10 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Cette dernière permet la sortie de prison anticipée de personnes condamnées atteintes « d’une pathologie engageant leur pronostic vital  » ou de celles présentant « un état de santé durablement incompatible avec leur maintien en détention  ». Originellement accordable sous seules conditions médicales « quelle que soit la nature [criminelle ou correctionnelle] de la peine ou la durée de la peine restant à subir », cette suspension est depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive réservée aux seules personnes ne présentant pas de « risque grave de renouvellement de l’infraction ». Les personnes en détention provisoire ne peuvent par ailleurs pas bénéficier de cette mesure. L’octroi d’une suspension de peine pour raisons médicales entraîne la mise en liberté du condamné pour une durée indéterminée. Cette suspension de peine crée des obligations particulières à la personne qui en bénéficie. Si son état de santé notamment s’améliore, la mesure peut être retirée et la personne à nouveau incarcérée. La peine reprend alors son cours.

La décision d’octroi d’une mesure de suspension de peine pour raisons médicales relève de la compétence du juge d’application des peines (JAP) si les personnes sont condamnées à une peine privative de liberté d’une durée inférieure ou égale à dix ans ou quand la détention restant à subir (quelle que soit la durée de la peine initialement prononcée) est inférieure ou égale à trois ans. Dans les autres cas, le condamné saisira le tribunal d’application des peines (TAP) de sa demande [1]. Quelle que soit la juridiction compétente pour recevoir la requête, celle-ci sera adressée au greffe du JAP au tribunal de grande instance (TGI) dont dépend l’établissement d’incarcération. Le détenu condamné doit adresser une demande écrite signée de lui ou de son avocat. Cette déclaration peut être adressée au chef d’établissement (auprès du greffe de son établissement) qui devra la constater, la dater, la cosigner (avec le condamné) puis l’adresser sans délai, en original ou copie, au greffe du JAP. Le condamné peut également envoyer directement sa demande au JAP par lettre recommandée avec accusé de réception. Si la demande relève du TAP, le JAP la lui transmet. Ces conditions sont essentielles parce que le juge n’est pas tenu de répondre si elles ne sont pas respectées.

Le condamné peut utilement accompagner sa demande d’un certificat médical attestant que son pronostic vital est engagé ou que son état de santé est durablement incompatible avec son maintien en détention. Il pourra spécifier au juge la pathologie dont il est atteint pour que celui-ci désigne des experts réellement qualifiés dans la spécialité médicale considérée. Il est conseillé de préciser quelles sont les conditions de prise en charge médicale envisagées à l’extérieur. Si le prisonnier n’est pas en état de saisir le JAP, sa famille ou ses proches peuvent aussi écrire au JAP pour lui signaler une situation et lui demander de s’autosaisir. Les travailleurs sociaux (SPIP) doivent informer le détenu de la possibilité de demander une suspension de peine pour raisons médicales et le cas échéant l’aider dans ses démarches. Un médecin doit lui délivrer un certificat médical si son cas l’exige et peut éventuellement le remettre aussi à un proche du condamné (sans mention des éléments diagnostiques). Il peut aussi, après en avoir informé le patient, aviser le chef d’établissement, voire le JAP, de la situation. Le chef d’établissement doit attirer l’attention du JAP et du parquet sur les cas des personnes posant de graves problèmes d’ordre sanitaire en détention. Le procureur de la République, avisé d’un cas, peut également saisir le JAP.

Pour que la suspension de peine pour raisons médicales soit accordée, deux expertises médicales doivent établir que le pronostic vital de la personne est engagé à court terme ou que son état de santé est durablement incompatible avec son maintien en détention. Cette dernière condition est généralement admise pour des pathologies lourdement invalidantes ou pour lesquelles les soins ne sont pas adaptés en milieu carcéral. Cependant, les juridictions rejettent souvent les demandes quand le pronostic n’est engagé qu’à moyen ou long terme. Fréquemment enfin, les juges les rejettent parce que les expertises, rédigées dans des termes très techniques ne permettant pas de conclusions claires, sont déclarées non concordantes. La loi de 2005 relative au traitement de la récidive interdisant de prononcer une suspension médicale de peine en cas de « risque grave de réitération de l’infraction  », la juridiction (JAP ou TAP) peut solliciter une expertise psychiatrique ou psychologique ou demander au SPIP de produire une synthèse « socio-éducative de dangerosité  ». Le procureur de la République peut également lors de l’audience contradictoire d’octroi demander une expertise psychiatrique préalable pour les personnes condamnées pour homicide volontaire accompagné de viol. Les juridictions tiennent enfin généralement compte du « risque de trouble à l’ordre public » que peut provoquer la libération (circulaire du ministère de la Justice du 7 mai 2003).

Dans certains cas, ces restrictions peuvent se révéler contraires au droit européen. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère en effet que « dans des conditions particulièrement graves  », le maintien en détention d’un condamné atteint d’une pathologie lourde constitue un traitement dégradant appelant des «  mesures de nature humanitaire  » (arrêt Farbtuhs c/Lettonie du 2 décembre 2004). Or la Cour proscrit les traitements dégradants quelles que soient les causes de l’incarcération ou la conduite du détenu pendant l’accomplissement de sa peine. Outre ce recours possible auprès de la CEDH, plusieurs autres possibilités sont ouvertes. Le condamné ou le procureur de la République peuvent déposer un recours devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel dans un délai de 10 jours suivant la notification de la décision par la juridiction saisie (JAP ou TAP). Le parquet dispose de 5 jours supplémentaires si le condamné fait appel. Si le recours du procureur est introduit dans les 24 heures suivant la notification, il est suspensif. Une fois les appels déposés, la chambre de l’application des peines statue par arrêt motivé (après débat contradictoire). Si la chambre confirme le premier jugement, elle peut fixer un délai pendant lequel toute nouvelle demande sera irrecevable. Ce délai est nécessairement inférieur à 3 ans ou au tiers du temps de détention restant à subir. La décision de la chambre de l’application des peines peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans les 5 jours suivant sa notification.

Le condamné bénéficiant d’une telle suspension fait l’objet de mesures de contrôle de la part du JAP et du Spip (dans les conditions habituelles relatives à l’octroi d’un aménagement de peine). Il doit répondre aux convocations des autorités publiques désignées par le JAP (SPIP mais également services de police ou de gendarmerie). Le juge peut à tout moment ordonner une expertise médicale. Pour les personnes condamnées en matière criminelle doit intervenir tous les six mois. Objectif : vérifier que les conditions qui ont conduit à l’obtention de la mesure de suspension sont toujours remplies. Le procureur de la République peut également saisir le JAP pour lui demander d’ordonner une expertise médicale. Outre ces expertises, le condamné peut avoir pour obligation d’établir sa résidence ou son lieu d’hospitalisation dans un lieu ou un établissement déterminé ; de tenir le JAP informé de son lieu de résidence ou d’hospitalisation ; de fixer son lieu de résidence ou d’hospitalisation dans des limites territoriales déterminées ; de ne pas sortir de limites territoriales déterminées ; de recevoir les visites du travailleur social du SPIP ; si l’état de santé du condamné lui permet de se déplacer, de répondre aux convocations du JAP ou du SPIP ; de s’abstenir d’entrer en relation avec les victimes de l’infraction pour laquelle il est condamné ou avec certaines personnes ou catégories de personnes, quand la condamnation concerne l’une des infractions mentionnées dans l’article 706-47 du code de procédure pénale.

Ces obligations peuvent être modifiées en cours d’exécution de la mesure par le JAP (que le condamné peut aussi saisir d’une demande de modification). Les décisions modifiant ou signifiant un refus de modifier ces obligations ouvrent au condamné un délai de vingt-quatre heures pour faire appel.

Au cours de la suspension de peine pour raisons médicales, toute insoumission aux mesures de contrôle, tout manquement aux obligations particulières et toute « mauvaise conduite » de la part du condamné peut donner lieu à révocation de la mesure. Cette décision peut également intervenir si les conditions d’octroi ne sont plus remplies ou si le condamné refuse une modification des conditions d’exécution de la mesure que la juridiction d’application des peines estime nécessaire. Enfin, la révocation peut être prononcée à la demande du condamné. La décision de révocation de la mesure de suspension de peine pour raisons médicales relève de la seule compétence de la juridiction qui en a accordé l’octroi. Les agents du SPIP sont tenus d’adresser un rapport d’incident au JAP lors de chaque manquement constaté. La commission d’une nouvelle infraction pénale peut également entraîner une révocation. Si le condamné ne respecte pas les obligations auxquelles il est soumis, son retour en détention peut être décidé par le JAP (après avis du procureur de la République). La décision d’incarcération provisoire peut également être ordonnée par le JAP du lieu où se trouve le condamné.

Le JAP peut décerner un mandat d’amener pour que le condamné soit présenté devant lui ou un mandat d’arrêt s’il est en fuite ou à l’étranger. Dans les quinze jours suivant l’incarcération, un débat contradictoire doit être organisé pour statuer sur l’éventuel retrait de la mesure. Ce délai est d’un mois quand le débat contradictoire doit avoir lieu devant le TAP. Sinon, la personne est remise en liberté. La procédure d’appel de la décision de retrait est identique à celle concernant une décision de refus d’octroi. Cette décision de retrait n’est jamais automatique, même en cas de nouvelle condamnation. Il s’agit d’une faculté laissée à l’appréciation du juge. Si cette révocation est prononcée, le condamné revient en détention et recommence à purger sa peine où elle avait été interrompue du fait de la suspension.

Notes:

[1Quand le condamné est mineur, ces fonctions sont respectivement exercées par le juge des enfants et le tribunal des enfants