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Colloque sur l’enseignement en milieu pénitentiaire organisé les 3 et 4 décembre 2001

12 Atelier 7 Travail d’écriture

Mise en ligne : 10 juillet 2004

Texte de l'article :

Animation : Jean-Marie Comets, (directeur de l’UPR de Bordeaux)
Intervenants : Bérangère Quetel et Karine Valentin (enseignantes)

Bérangère Quetel
Je suis enseignante à la maison d’arrêt de Dijon. C’est un établissement qui peut accueillir un maximum de 280 détenus répartis dans un Quartier hommes, un Quartier femmes, un Quartier mineurs et un service médico-psychologique régional (SMPR) (décret n° 86-602 du 14 mars 1986). Il convient de rappeler les missions du SMPR, définies par les articles 2 et 3 du 14 décembre 1986 :
- mettre en oeuvre toute action de prévention, de diagnostic et de soins médico-psychologiques au bénéfice de la population incarcérée,
- prodiguer des traitements psychiatriques intensifs et appropriés à tout détenu qui le nécessite,
- assurer une mission de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie.
Je vais vous présenter l’atelier d’écriture que j’ai mis en place au SMPR de Dijon depuis septembre 2001. Peut-être devrais-je employer une autre dénomination, car je ne suis pas animatrice d’atelier d’écriture (?). Pour ne pas choquer les puristes, nous emploierons le terme de « jeux d’écriture ».
Chaque nouvel arrivant au SMPR qui désire suivre des cours s’inscrit et, lors du premier entretien avec moi, je lui propose en plus du suivi pédagogique individualisé, la possibilité de venir participer à des « jeux d’écriture » une heure et demie par semaine.
Le déroulement des « jeux d’écriture »
- 8 personnes autour d’une table.
- Temps maximum : 1 h 30.
- Tous les participants doivent écrire.
- L’écriture se met en place à partir de consignes claires (avec souvent un aspect ludique)
- Chaque texte écrit doit être lu (par celui qui l’a produit ou un autre, selon le type d’exercice).
- Les critiques ne concernant le respect ou non des consignes émises au début du jeu.
- Un texte peut (ou non) être retravaillé.
- Les mots-clés pour un bon déroulement sont humilité, partage, concentration
Objectif 1
C’est la revalorisation pour ces détenus qui sont dans une phase dépressive. Comme pour beaucoup d’« élèves », je constate chez ces détenus des capacités réelles quand il s’agit de faire des exercices systématiques. Par contre, quand il faut produire à l’écrit sur un sujet libre, je sens un véritable blocage. C’est ainsi que je me suis demandée comment les amener à produire autre chose que des exercices méthodiques (de grammaire, orthographe, conjugaison...). Il a donc fallu leur apprendre à oser écrire. L’écriture est un défi et un courage, même si la grande majorité des détenus sait écrire depuis l’âge de 6 ans, comment écrire pour dire qui nous sommes ? C’est pourquoi la notion de jeu est essentielle.
Le jeu permet le rire : « écrire contient d’ailleurs le mot “rire” » (cf. Atelier d’écriture pour la formation d’adultes, Alain Heril, Dominique Megrier, Retz)
Objectif 2
C’est la scolarisation. En effet, l’écriture en groupe cimente la socialisation. L’important est souvent le fait même de se retrouver en groupe. Cet objectif est atteint quand un détenu vient avec ses textes écrits lorsqu’il est en cellule pour les lire au groupe.
Objectif 3
C’est le plaisir de pouvoir s’approcher de la littérature. On écrit « à la manière de... » : Pérec, Queneau, Cortazar... Évidemment, dans ce type de productions, tout un travail de lecture préalable est nécessaire. Ainsi, chaque détenu « entre en littérature » et dans « le mieux lire » et « le lire autrement ».
Objectif 4
C’est l’acquisition d’une aisance à l’écrit, qui se retrouve dans leurs démarches « carcérales » : courriers administratifs, courriers personnels... et une envie d’écrire en cellule, pour certains leur journal personnel de détention. L’acte d’écrire entraîne donc une confiance en soi-même et en ses capacités. La communication est alors améliorée. De plus, les détenus prennent ainsi conscience de leurs lacunes et savent ce qu’ils doivent travailler pendant les cours « purement » scolaires.
Objectif 5
C’est l’ouverture vers l’extérieur qui peut être favorisée. La participation à des manifestations comme le « Festival de l’Écrit », où les productions des détenus seront mises en valeur de plusieurs façons :
- lecture de leurs textes par des comédiens devant un public (différent du milieu carcéral),
- travail sur la présentation de leurs textes (en ergothérapie, au SMPR, sur soie, sur bois...) qui nécessite une mise en commun entre les différents partenaires du SMPR,
- création d’un journal intéractif à l’intérieur de la Maison d’arrêt (cf. docs.)
Mes ouvrages de références sont :
Et je nageai jusqu’à la page, E-Bing, éd. des Femmes, 1976, Poche.
Les Ateliers d’écriture, C. Boniface et O. Pimet, éd. Retz, 238 p., 1995.
60 jeux d’écriture, P. Frenkiel, éd. interculturelles, Paris, 1995.
L’atelier d’écriture, éléments pour la rédaction de textes littéraires, Bordas, 1989.
La petite fabrique d’écriture, Duchesnes et Leguay, Magnard, 1994.
Exercices de style, Queneau, Folio, 1847.
Ateliers d’écriture pour la formation d’adultes, A. Heril, D. Megrier, Retz, 1999.
Parmi les ouvrages de Georges Perec :
La vie, mode d’emploi.
La disparition.
Les revenantes.
L’invention des ateliers d’écriture en France, L’Harmattan.
Question : C’est donc un travail sur la durée ?
Bérangère Quetel : Bien sûr, tout en sachant que le turn-over des détenus peut parfois être difficilement gérable. Les « arrivants » rejoignent des groupes déjà établis, donc pour les mettre en confiance, tout le groupe accepte de « refaire » des exercices de base (plus sur la forme que sur le fond), pour intégrer la personne qui se joint au groupe. En effet, la production ne viendra qu’après une véritable mise en confiance. Depuis la rentrée 2001, aucun détenu inscrit en atelier d’écriture n’a arrêté volontairement.
Un détenu ne veut pas continuer quand il change de service ou est transféré.
Mon intervention nécessite un échange productif avec les différents
partenaires du SMPR pour travailler dans le même sens, aussi bien au niveau de l’éducatif que du médical. Pour que le suivi soit continu, tous les 15 jours je participe à des synthèses où j’expose les difficultés remarquées chez les détenus, et où nous cherchons comment aider ces derniers à les dépasser.
Question : Il vous est possible de faire venir des écrivains en maison d’arrêt ?
BQ : Oui, c’est tout à fait possible. Cela a déjà été mis en place, mais pas au SMPR. Jean-Pierre Renaud, écrivain, auteur de Paysages de la petite France. Didier Bourdon, de Septembre à décembre 1999, a animé un atelier d’écriture (QH, QF). Une pièce de théâtre a été réalisée à partir des ateliers, avec une représentation au théâtre Mansard à Dijon fin 1999. Élisabeth Barbazin, comédienne, est venue au cours du mois d’août 2000 chez les femmes.

Karine Valentin
Je vais vous parler d’un projet qui a été mené à la Maison d’arrêt de Reims l’année dernière, dans le quartier mineur, sur la bande dessinée (BD).
Nous avons participé à une manifestation qui a été créée en 1990 par la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) de Rennes et qui s’appelle Bulles en Fureur. La PJJ de Rennes cherchait à développer des actions spécifiques pour faciliter l’accès à la lecture.
Le but est de regrouper des adolescents en jurys critiques pour faire un classement argumenté de cinq ou sept ouvrages de bandes dessinées. Il s’agit de les intéresser à la lecture, de développer chez eux l’esprit critique - débattre, argumenter, aller au delà du « J’aime, j’aime pas » - et de mener une action sur la durée. Les publics concernés sont les jeunes qui bénéficient d’une prise en charge dans les services habilités PJJ, les jeunes incarcérés et certains jeunes de l’éducation nationale qui montent des projets dans le cadre d’activités de CDI en collège ou lycée.
Mais cela reste essentiellement une manifestation « jeunes et justice », et là est son défaut.
Trois types de prix ont été décernés par les jurys :
- un prix 16-18 ans c’est celui auquel nous avons participé,
- un prix 12-15 ans,
- un prix Jeunes créateurs qui récompense la qualité du travail d’un jury. En effet, chaque jury, pour exprimer son choix doit rendre un produit fini tel une bande son, une vidéo, un écrit illustré ou encore une production proche des arts plastiques.
Tout est possible.
Il faut poser sa candidature auprès de sa Direction départementale de la PJJ. Cela commence par un travail dans chaque jury candidat. Un jury local, avec un représentant de chaque structure candidate et un ou deux jeunes représentants, se réunit. Pour le groupe de la Maison d’arrêt, j’ai dû m’y rendre seule. Ce jury local étudie le travail de chaque structure et se détermine sur un ordre de préférence au sujet de bandes dessinées. Dans un troisième temps tous les jurys locaux se réunissent au plan national et attribuent les prix.
Je vais maintenant vous présenter notre démarche à la Maison d’arrêt. Arrivée en septembre 2000 à Reims, j’ai recherché tout de suite un projet fédérateur qui rende les mineurs moins passifs et consommateurs. Le SPIP
(Service d’insertion et de probation) m’a informée de cette manifestation
et je me suis lancée.
À cette époque, j’avais un groupe de mineurs de niveau V, c’est-à-dire un groupe d’un assez bon niveau, ce qui a permis le bon déroulement de cette action, ce qui n’est pas toujours le cas. Ainsi neuf mineurs ont participé ; sept sur l’action BD proprement dite et deux qui s’occupaient de la mise en page sous Publisher et qui ont mis le travail sous forme de BD. Ces derniers, peu volontaires pour l’école, ont accepté de se raccrocher ainsi au projet.
J’ai proposé la lecture des BD en classe et je notais toutes les réflexions des élèves. Puis j’ai commencé à poser des questions, « où commence l’histoire ? à quel moment se déclenche-t-elle ? qui est ce personnage ? » et petit à petit, j’obtenais des jugements plus intéressants, plus argumentés. Ces remarques étaient alors purement orales.
Nous avons ensuite travaillé sur le personnage clé et son évolution tout au long de l’histoire, et le vrai travail « scolaire » sur le schéma narratif a pu commencer.
Question  : Sur quel style de BD avez-vous travaillé ?
Karine Valentin : Il y a une liste imposée. Elle est très variée : BD réaliste, BD de science fiction, BD de cape et d’épée, BD du genre aventure-manga, etc. Nous avons analysé la typologie des histoires, la variété des personnages, le déroulement dans le temps, les moments forts du scénario et pour finir le résumé des histoires. Nous avons aussi été jusqu’à travailler sur d’autres fins.
Un autre type de travail a été d’analyser les graphismes : dessins et couleurs dominantes.
J’ai regretté que ce projet soit quasi exclusivement lié à la justice.
Je suis restée sur ma faim car le gros du travail s’est fait à l’oral avec un point néanmoins très positif qui était le travail sur l’argumentation.
Je sentais qu’un travail plus poussé était possible. Le dernier point négatif
concernait la valorisation. En effet, les mineurs ont été primés pour le travail rendu mais n’ont pu bénéficier du voyage à Boulogne-sur-Mer, le prix de compensation, une BD, n’était pas un aboutissement.
Cette année, nous repartons sur un projet Bulles en Fureur en nous assurant, en complément, le concours d’un dessinateur et d’un scénariste de BD de l’Atelier 510 de Reims. Le projet se déroulera sur un temps plus court, trois à quatre semaines en janvier février, et prendra la forme d’une opération « coup de poing », plus intense. Nous développerons un travail d’équipe et de partenariat, dessinateur, scénariste, professeur d’art plastique, professeur de français et mineurs, pour aboutir à la réalisation d’une planche de bande dessinée. Nous participerons au concours « jeune » du festival d’Angoulême.
Ce travail sera proposé aussi à l’exposition sur les écrits qui devrait tourner sur Reims (si le projet de l’année précédente perdure). Ce projet est subventionné par l’Éducation nationale et l’Administration pénitentiaire mais aussi en très grande partie par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles)
Question : Comment s’articule le projet et le reste de l’enseignement ?
KV : On a des heures d’enseignement classique. Nous transformons certaines de ces heures d’enseignement en « heures modulaires ». Ainsi, dans le quartier mineur où j’interviens le vendredi matin et le mardi après-midi, l’intervention du vendredi garde une forme classique, le mardi, par contre, est consacré aux modules. Ils se déroulent à chaque fois sur 4 à 5 semaines et sont définis en fonction des jeunes et aussi de leurs demandes. Nous prévoyons déjà pour le projet de cette année un certain nombre d’heures supplémentaires.
Question : Combien de temps prend un travail sur les BD ?
KV : Cela correspond à deux fois deux heures sur quatre semaines.
Je compte cette année sur le fait qu’ils accepteront, motivés par la réalisation de la planche, de lire les BD en cellule ; ce qui n’avait pu se faire l’an passé.
Pour le complément au projet avec les intervenants extérieurs, il faudra ajouter cinq fois trois heures pour la réalisation de la planche.
Ce qui motive ce temps réduit c’est le besoin de permettre aux mineurs d’aller au bout du projet qu’ils ont commencé.
Un participant : Combien de jeunes travaillent ensemble ?
KV : Pour le projet de l’an passé, ils étaient neuf, dont deux quasiment autonomes, soit un groupe de sept sur le travail de jury.
Le même participant : J’ai posé la question car c’est souvent difficile de faire travailler les mineurs ensemble. À partir d’un certain nombre, c’est délicat.
KV : C’est vrai sept c’est déjà beaucoup mais c’est tout à fait réalisable.
Le même participant  : Toujours pour le projet de cette année, savez-vous à quoi correspond le budget horaire général du projet ?
KV : Entre 50 et 55 heures.
Le même participant : Pour nous, bâtir un tel projet nous pose des problèmes car nous avons des intervenants extérieurs qui ne veulent que des petits groupes de trois à quatre mineurs.
KV : Pour nous le problème ne se pose pas en ces termes.
Le même participant  : Au problème de savoir faire avec des groupes s’ajoute aussi le problème du lieu, notamment en Arts plastiques.
Chez nous les salles sont de deux fois 9m2. Cela correspond à quatre ou cinq personnes avec l’adulte. Et nous ne pouvons pas utiliser d’autres salles.
KV : À la Maison d’arrêt de Reims, la salle de classe peut accueillir six à sept mineurs et nous pouvons disposer de la salle d’activité du quartier.
Question : Vous avez une bibliothèque bien dotée en BD ?
KV : Oui elle est déjà bien dotée. Avec le nouveau projet, elle va être étendue dans ce domaine.
Question : Quand vous dites « nous » de qui s’agit-il ? Qui est aussi porteur de ce projet ?
KV Nous sommes deux instituteurs sur Reims, plus un enseignant en Arts plastiques et une enseignante en anglais. Les deux instituteurs fonctionnent ensemble sur tous les projets et, pour ce projet BD, l’enseignant d’Arts plastiques est bien sûr impliqué.
De plus, il ne faut pas oublier l’éducatrice du Service d’insertion et de probation qui sert de lien avec la PJJ et surtout les trois surveillants du quartier mineur.
C’est important car les surveillants sont aussi porteurs du projet et participent à la motivation des jeunes. Nous avons remarqué que la réussite de ce type de projet a une influence sur la fréquentation générale du lieu scolaire et peut améliorer la vie du quartier.
Patrick Molineri : À la Maison d’arrêt de Grasse, nous avons réussi à faire vivre un projet entre nos mineurs et des jeunes lycéens.
Ces derniers ont mis en scène les textes créés en atelier d’écriture. L’objectif était de faire de l’écrit un vrai vecteur de communication. Cela a donné une dimension extraordinaire aux écrits. La troupe est venue jouer dans la maison d’arrêt. Je me souviens particulièrement d’un mineur qui avait écrit une phrase, pour lui simple, mais jugée forte par les lycéens. Cette phrase a été dans la mise en scène reprise par un nombre de plus en plus grand d’acteurs. Cela a provoqué une grande émotion. On obtient ainsi une réhabilitation du mineur.
Ce travail est difficile car le problème de l’entrée de lycéens à l’intérieur est délicat, (autorisation de la Direction de l’établissement, des parents d’élèves etc.), mais le bénéfice final est très important. Pour les mineurs c’est souvent la première fois qu’ils se sentent réhabilités. Nous avons besoin de la compréhension et du soutien de la direction et des personnels qui doivent assurer la sécurité.
Nous avons aussi à Grasse un projet qui est en train de voir le jour. Il s’agit d’animer une bande dessinée grâce à la vidéo. Nous prendrons sur un statif de reproduction les planches qui seront bruitées et lues par les jeunes. Pour nous aussi le souci c’est que les mineurs puissent aller au bout du projet entamé. Et comme notre collègue de Reims nous pensons que pour les mineurs quatre semaines de travail, c’est l’idéal.
Question : Je voudrais demander à notre collègue de Reims si le comportement des mineurs a changé durant le projet ?
Karine Valentin : Oui j’ai pu observer qu’entre la première BD lue et les BD suivantes, le comportement de lecteur a changé. La lecture était plus longue, plus attentive à partir de la 3e ou de la 4e.
Cette année, nous avons construit avec les intervenants spécialistes de la BD une liste avec des ouvrages plus exigeants, pour les lecteurs. Nous nous référons là à leur expérience de spécialistes.
Ce qui est frappant c’est que le classement des BD au plan national n’était pas du tout celui du quartier mineur. La BD arrivée première a été classée dernière par les mineurs de Reims qui trouvaient le scénario prévisible et l’intrigue trop violente. Ils avaient par contre préféré une BD qui mettait en scène un personnage qui les touchait par sa difficulté de vivre. Cette BD n’est arrivée que 4e au plan national.
Question : Comment ont-ils réagi ?
KV : Ils ont trouvé simplement dommage que la première au plan national ait été celle-là. Ils auraient mieux compris une place de 3e ou 4e.
Une discussion sur la possibilité de créer ou de doter en livre une bibliothèque grâce à des fonds Drac a lieu.
Question : Comment gérer un partenariat avec un collège ou un lycée ?
Solange Taranne : Dans l’établissement d’Aix Luynes, j’ai fait un échange entre une 4e de collège et une classe du lycée pénitentiaire avec mineurs et jeunes adultes. Dans le cadre d’un cours d’éducation civique, nous avons travaillé sur le thème de la justice en France. Je suis partie de leurs représentations en leur demandant d’associer deux mots avec des mots que j’avais choisis comme : avocat, juge, police, prison, etc. À l’issu de cette étape j’ai communiqué aux groupes de l’intérieur et de l’extérieur de
la prison ce que chacun pensait. Il y avait des conceptions complètement
différentes. Chaque groupe, ayant, auparavant, bien réfléchi à ses valeurs, a pu mieux accueillir les conceptions de l’autre.
Toujours à Aix Luynes, il y a eu aussi un échange de correspondance entre un groupe de d’élèves de 4e d’un collège d’une commune voisine et un groupe de mineur du même âge.
Il faut ajouter aussi la participation d’un groupe à un réseau de Cybergazette avec des établissements d’enseignement de l’extérieur.
Les échanges entre établissements se faisaient par Internet.
Les mineurs, eux, passaient par le support d’une disquette car ils ne pouvaient avoir accès à Internet. Nous avons aussi fait des ateliers d’écriture particulièrement axés sur la poésie. Les poèmes mis en valeur dans les ateliers d’arts plastiques étaient exposés dans la maison d’arrêt, avec venue d’un public de l’extérieur.
Un participant  : Il faut noter que, selon la position de l’équipe de direction et de l’équipe de surveillance, les actions vers l’extérieur sont facilitées ou, au contraire, freinées. Un changement dans une équipe de direction peut mener à l’arrêt de projets ou à leur modification en fonction des points de vue sécuritaires.
Parfois le blocage vient du côté enseignant. Il faut noter que les nouvelles directives vont plutôt dans le sens de fonctionnements mieux régulés. D’une façon générale, nous savons tous que « rien n’est jamais acquis et tout se gagne » ; la constitution d’une équipe pluridisciplinaire soudée semble primordiale.
Question  : Comment gérer les correspondances ?
Un participant : La correspondance est toujours contrôlée. Peut-on dire qu’elle est censurée ? Là encore, il est clair que le problème devient encore celui de l’adhésion de l’ensemble de l’équipe de l’établissement. Si cet accord est obtenu les choses se passent toujours bien.
Un participant : Nous n’avons pas évoqué la variété du public.
Un mineur en rupture forte avec ses parents, la société, etc., ne va pas pouvoir tirer parti d’ateliers d’écriture ; il faudra mettre quelque chose en place auparavant.
Un participant : Un atelier d’écriture ne peut être une action isolée. D’un point de vue pédagogique, il s’insère dans un projet qui a du sens pour les jeunes. D’un point de vue individuel, il s’inscrit dans une démarche de prise en charge globale du mineur ; encore une fois, cela n’est possible que s’il y a l’implication de toute une équipe.
Un participant : Je voudrais dire qu’à Fleury-Mérogis nous sommes loin de tous ça car nous avons aujourd’hui 100 mineurs avec un turn-over très important, des tout petits mandats de dépôt (il n’y a que sept ou huit condamnés, c’est très peu), et nous ne pouvons pas envisager avec ces mineurs qui sont là pour très peu de temps des dispositifs comme ceux qui ont été évoqués. Nous allons simplement faire un journal interne avec une forme principalement basée sur les jeux « Jeux de mots, jeux de lettres »
Une dernière question a été posée sans que le débat n’apporte de réponse :
La variété des fonctionnements avec leur lot de blocages, petits ou grands, ne viennent-elles pas des politiques judiciaires régionales très différentes ?

Annexes proposées par Bérangère Quetel
Quelques productions de détenus

C’est comme...
Ce jeu se déroule en deux temps. Dans un premier temps, chaque participant choisit un verbe, ou une phrase pouvant induire la locution « c’est comme », et l’inscrit sur un papier. Dans un deuxième temps, et sur un papier différent, ils terminent une phrase commençant cette fois-ci par « c’est comme », et n’ayant aucun rapport de sens avec le premier écrit. Une fois mélangés, on tire un papier de chaque groupe. Les phrases obtenues se révèlent souvent pleines de signification :
Juger, c’est comme faire un bon geste en passant.
L’avenir, c’est comme un enfant qui pleure.
Oublier, c’est comme espérer l’amour en pleurant tous les jours.
La sincérité, c’est comme un orage sans pluie.
Dormir, c’est comme se parler à voix basse.
Chuchoter, c’est comme courir en marchant très vite.
Être optimiste, c’est comme chanter sans parler.
Écouter de la musique, c’est comme parler à voix haute.
L’amour, c’est comme un beau soleil qui brille.
Baratiner, c’est comme pleurer en chantant.
Flairer, c’est comme tomber en avant.
Éclater de rire, c’est comme partir en volant.
Vouloir connaître l’avenir, c’est comme bégayer calmement.
Croire en dieu, c’est comme manger en dormant.
S’abstenir, c’est comme rester assis en regardant passer les trains.
Faire la grimace, c’est comme tailler un crayon.
Donner un sourire, c’est comme chanter sous la pluie.
Porter des lunettes, c’est comme aller et venir.

L’alphabet fou
Voici de courts textes dans lesquels les participants ont privilégié une lettre ; celle-ci devant commencer chaque mot.
Avec la lettre M
Maintenant, mes mains moites, moitié molles, moitié meurtries, me mettent mal ; mais malheureusement, ma maman me met maladroitement mon manteau. Mais monsieur Mathieu, médecin, m’examine mes mains malades.
Ma meilleure minette miaulant, méchamment, mais mon meilleur minou mena maman Maryse.
Mon matin, ma maman, montant malheureusement mon matelas, mon moral marchant, ma mémoire m’a malmené malgré mon malheur.
Martine, mauvaise morue mordue méchamment à la main, maintient méchant molosse Médor à la maison. Mécontente, Madame Martine Maurette met Monsieur Maurette au manoir maudit.
Avec la lettre P
Pour paraître prolixe, parler pour permettre personnellement, par parole proclamer périodiquement, pour persuader Pierrot, praticien public.
Profil psychologique par psychologue pédante Pauline Pépée, peut paraître peine perdue pour pirate Pattes Poilues persuadé psychologiquement d’être perturbé par pirogue prenant pluies.
Petit procureur Pierre Peteux, prévient Paul Presboist par procédure pénale, prévenu pour pillage pastilles pull-moll, poudre perlinpinpin, pharmacie propriétaire Patrick Poulain, puis par pendaison Philippe Photographe pour proxénétisme. Président Parquet parisien punit pénalement plusieurs Pygmées pour petites peines !

La Chômeuse et ses Amants
Chômez et allez pointer,
C’est le fric qui manque le plus.
Une pauvre chômeuse attendant le RMI
Fit venir ses amants, et leur parla de ses sous.
Prenez dans la cagnotte un petit pécule
Qu’il reste après mes achats mensuels,
Pour vous remercier de vos ébats.
Revenez dans mes bras avec plus d’imagination,
Vous me rendrez heureuse et rayonnante.
Déchirez les draps, sans aucune honte,
Aimez-moi tendrement, sans brutalité,
Comme si j’étais une petite poupée.
L’amante, morte de plaisir.
Les amants retournèrent la chambre,
Ouvrirent les armoires, les tiroirs
Si bien qu’au bout d’une année,
Épuisés après tant d’efforts acharnés,
Ils trouvèrent dans le grenier
De belles photos d’un amour terminé.

Des mots au texte
En partant d’un mot choisi librement, les participants de l’atelier, par association d’idées, vont en chercher d’autres, qu’ils devront ensuite utilisés dans un texte de leur invention.
nuage ciel liberté bleu météo espoir justice mer fleur prévoir intempéries vert grand corruption avocat farniente planter neige ski mayonnaise diable
thaïlande roses
Est-ce que la liberté est synonyme de ciel bleu sans nuage ? Où est l’espoir quand on ne peut plus prévoir ? Qui osera se faire l’avocat du diable ? Non, justice doit être faite ! Le monde n’est qu’une grande corruption, même si parfois on pédale dans la mayonnaise. La météo agit sur notre psychisme et les intempéries permettent aux stations de ski de faire le plein de neige et de fric... pas la peine d’aller en Thaïlande pour planter roses ou fleurs ; le farniente au calme de n’importe quelle mer verte permet de se ressourcer.
Dans le ciel bleu sans nuage, mon esprit s’arrête sur un espoir de liberté proche, pensant que justice serait rendue convenablement.
Mon avocat non corrompu, et n’ayant pas signé de pacte avec le diable saura prévoir toutes les intempéries, éclaircissant la météo, remplaçant la neige par un grand champ vert où seront plantés des milliers de fleurs roses. Je remplacerais mes vacances au ski pour la mer de Thaïlande pour farnienter et manger des plats accompagnés de mayonnaise.
On pense que la justice est corrompue, que c’est le diable ; je ne le pense pas, car il y a de l’espoir, et nos avocats... Un jour retrouver la liberté, voir le ciel, les nuages, revoir les couleurs de la vie, le bleu, le vert... farniente au bord de la mer, sentir l’odeur des fleurs. Regarder la météo, un jour, prévoir un grand week-end à la neige, faire du ski. Bref, voir la vie en rose, planter, faire monter la mayonnaise de la vie. Rêver de voyages en Thaïlande. Laissons les intempéries se dissiper dans notre tête. Pensons au futur !
Dans le ciel, quelques nuages bleus ensoleillent notre météo, et donnent l’espoir qu’il n’y aura pas de neige, et on peut prévoir l’éclosion des fleurs dont les roses, et planter un espace vert. À Bastia près de la mer, dans un Palais de Justice, un grand avocat épris de liberté, un diable de défenseur anti-corruption, plaide pour une fille de Thaïlande. Les intempéries ne permettent pas le farniente, mais la neige permet de skier dans une mayonnaise de boue.