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Approche indisciplinaire de la question pénale (Pierre V. Tournier - Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle)

11 B IX. Caractériser les infractions sexuelles

Mise en ligne : 6 avril 2007

Texte de l'article :

Conseil de l’Europe, Comite d’experts sur le traitement des délinquants sexuels dans les établissements pénitentiaires et dans la communauté, PC-DS (2004) 23,
31 août 2004, 10 pages. 

IX. - Caractériser les infractions sexuelles.
Méthodologie

Représentant le Conseil scientifique criminologique du Conseil de l’Europe au sein de ce comité d‘experts PC-DS, je ne suis pas un spécialiste des questions traitées. Mais ayant été amené pour mes travaux de recherches en démographie pénale à fréquenter assidûment les statistiques pénales, j’ai souvent été frappé par le manque de précisions des données quantitatives en matière de délinquance sexuelle. Et je ne crois pas que la situation française à laquelle je me réfère ici soit plus mauvaise que d’autres. Il faut dire que sur le plan juridique, la question n’est pas simple (voir références bibliographiques infra). 

 1. - Statistiques pénitentiaires

Ainsi dans la statistique pénitentiaire française sur l’état de la population carcérale au 1er jour de chaque trimestre, la distribution des détenus condamnés selon la nature des infractions sanctionnées permet de distinguer « le proxénétisme », « les viols et autres agressions sexuelles sur mineurs », « les viols et autres agressions sexuelles sur majeurs » et « l’exhibition sexuelle ». Ces données existent séparément pour les hommes et pour les femmes. Elles sont croisées avec l’âge des condamnés à la date de la statistique et non à la date des faits (Tableau 1.)

Tableau 1. - Détenus condamnés pour infraction sexuelle - situation au 1/4/2004

On le voit, il n’y a aucune distinction de faite parmi les diverses formes d’agressions sexuelles selon la gravité des faits. Sur les 7 956 détenus condamnés pour agressions sexuelles (viols et autres), on compte seulement 2 % de femmes. Par ailleurs, 73,5 % ont commis leur agression à l’encontre d’un mineur. Cette proportion est de 81 % pour les femmes.
 

2. - Statistiques policières

Remontant maintenant en amont du processus pénal. Dans la statistique produite par le Ministère de l’Intérieur sur les délits et les crimes constatés par les services de police et de gendarmerie, les infractions sexuelles regroupées sous la catégorie « atteintes aux mœurs » sont réparties en six rubriques : « proxénétisme », « viols sur majeur(e)s », « viols sur mineur(e)s », « harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles sur majeur(e)s », « harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles sur mineur(e)s », « autres atteintes aux mœurs ». On va retrouver cette même nomenclature aux trois niveaux de cette statistiques : pour les faits constatés, les faits élucidés et les personnes mises en cause. A ce dernier niveau, les données sont aussi distribuées selon le sexe de l’auteur présumé et son âge (distinction mineurs - majeurs seulement) et selon l’extranéité (distinction français - étrangers seulement), sans que cette variable ne soit croisée avec les deux autres. (Tableau 2.)

Tableau 2. Mis en cause par la police ou la gendarmerie en 2002 selon le sexe et l’âge

Ainsi les 15 050 personnes mises en cause, en 2002, par la police ou la gendarmerie (en France métropolitaine), pour viol, harcèlement sexuel ou autre agression sexuelle se répartissent de la façon suivante (Tableau 3a).

Tableau 3a. Mis en cause par la police ou la gendarmerie en 2002 pour viol, harcèlement sexuel ou autre agression sexuelle : effectifs

En distinguant les auteurs présumés selon leur sexe et leur âge (mineurs - majeurs), selon l’âge des victimes (mineurs - majeurs) et la gravité des faits (viols - autres agressions sexuelles), nous arrivons à une typologie en seize groupes de poids très inégaux (Tableau 3b.)
 

Tableau 3b. Mis en cause par la police ou la gendarmerie en 2002 pour viol, harcèlement sexuel ou autre agression sexuelle : pourcentages

Dans cette typologie en 16 catégories, on constate déjà que 9 groupes représentent, chacun, moins de 1% de l’ensemble. A l’inverse, 6 groupes ont un poids supérieur à 8 % et recouvrent à eux seuls plus de 95 % des situations :

Hommes majeurs, mis en cause pour « autre agression » sur mineur - 28,2 %
Hommes majeurs, mis en cause pour « viol » sur mineurs - 17,9 %
Hommes majeurs, mis en cause pour « viol » sur majeurs - 15,1 %
Hommes majeurs, mis en cause pour « autre agression » sur majeur - 12,7 %
Hommes mineurs, mis en cause pour « autre agression » sur mineur - 12,5 %
Hommes mineurs, mis en cause pour « viol » sur mineur - 8,7 %
Total des six groupes - 95,1 %

3. - Statistiques de condamnations

Enfin, si on se réfère aux statistiques de condamnations prononcées, issues du casier judiciaire, on dispose d’une nomenclature en termes d’infractions sanctionnées beaucoup plus fine, les données pouvant, par ailleurs, être croisées selon les caractéristiques suivantes du condamné : sexe, âge au moment de la condamnation (et non au moment des faits) et nationalité (Tableaux 4a. et 4b.)

Tableau 4a. - Condamnations prononcées en 2002, pour crime, délit ou contravention
de 5ème classe en matière de délinquance sexuelle : effectifs

Tableau 4b. - Condamnations prononcées en 2002, pour crime, délit ou contravention
de 5ème classe en matière de délinquance sexuelle : pourcentages

En distinguant condamné(e)s majeur(e)s et condamné(e)s mineur(e)s, sur un total de 10 494 condamnations, les cinq postes les plus fréquents sont les suivants :

Condamné(e)s majeur(e)s pour atteintes ou agressions sexuelles sur mineur(e)s avec circonstances aggravantes - 27,0 %
Condamné(e)s majeur(e)s pour exhibitions sexuelles -
17,9 %
Condamné(e)s majeur(e)s pour agressions sexuelles - 9,4 %
Condamné(e)s mineur(e)s, pour atteintes ou agressions sexuelles sur mineur(e)s avec circonstances aggravantes - 7,9 %
Condamnés(e) majeur(e)s pour viols et attentats à la pudeur avec circonstances aggravantes - 5,9 %
Total des cinq groupes - 68,1 %

4. - Proposition de typologie

Pour construire une typologie qui tienne compte à la fois de considérations juridiques et de considérations sociologiques (ou criminologiques, comme on voudra), il importe de prendre en compte certaines caractéristiques de l’auteur (ou des auteurs), de la victime (ou des victimes), de l’infraction, mais aussi des relations pouvant exister entre auteur et victime, avant l’infraction.
 
Les femmes sont très rarement impliquées comme auteur en matière de délinquance sexuelle. La question mérite naturellement attention, mais afin de ne pas compliquer inutilement les choses, il est logique de restreindre la typologie aux auteurs de sexe masculin. D’emblée nous pensons qu’il faudrait distinguer les infractions commises par une personne et celles qui impliquent plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.

Etape 1. : 2 classes

Infractions sexuelles commises
- par plusieurs personnes 
- par une personne
Champ : mis en cause de sexe masculin

Le nombre de mineurs mis en cause, en matière de délinquance sexuelle, est loin d’être négligeable, surtout si l’on se réfère à l’âge au moment des faits (voir statistiques de polices). Aussi paraît-il important de distinguer parmi les auteurs, les mineurs des majeurs. Nous reviendrons ultérieurement sur la question du choix de l’âge à prendre en compte pour effectuer cette dichotomie.

Etape 2. : 4 classes

Infractions sexuelles commises
- par plusieurs personnes 
--- Au moins un mineur 
--- Les mis en cause sont majeurs 
- par une personne
--- Le mis en cause est mineur 
--- Le mis en cause est majeur
Champ : mis en cause de sexe masculin

Pour ce qui concerne la victime, là encore, il est essentiel de distinguer les victimes mineures des victimes majeures (voir infra la question des définitions).
 

Etape 3. : 8 classes

Infractions sexuelles commises
- par plusieurs personnes 
--- Au moins un mineur 
------ Victime mineure 
------ Victime majeure
--- Les mis en cause sont majeurs 
------ Victime mineure 
------ Victime majeure
- par une personne
--- Le mis en cause est mineur 
------ Victime mineure 
------ Victime majeure
--- Le mis en cause est majeur
------ Victime mineure 
------ Victime majeure 
Champ : mis en cause de sexe masculin

Pour ce qui concerne l’infraction, nous proposons de distinguer seulement cinq catégories : viols, agressions sexuelles (autres que le viol), exhibitions sexuelles, harcèlements sexuels, atteintes sexuelles sur mineurs.

Rappelons les définitions du droit pénal français en la matière :

Le viol simple : tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise.
L’agression sexuelle simple : agression sexuelle autre que le viol.
L’atteinte sexuelle simple : fait, par un majeur d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans.

Naturellement, ces distinctions ne prennent en compte la question des circonstances aggravantes que de façon très limitée (âge de la victime, du fait des croisements précédents). Mais à ce niveau de précision, nous en sommes tout de même déjà à 40 situations différentes :

Etape 4. : 40 classes

Champ : mis en cause de sexe masculin

Infractions sexuelles commises
- par plusieurs personnes 
--- Au moins un mineur 
------ Victime mineure 
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
------ Victime majeure
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
--- Les mis en cause sont majeurs 
------ Victime mineure 
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
------ Victime majeure
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
- par une personne
--- Le mis en cause est mineur 
------ Victime mineure 
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
------ Victime majeure
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
--- Le mis en cause est majeur
------ Victime mineure 
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
------ Victime majeure 
--------- Viol
--------- Agression
--------- Exhibition
--------- Harcèlement 
--------- Atteinte sur Mineur(e)
Champ : mis en cause de sexe masculin

Cette partition  [1] en 40 classes peut, à première vue, paraître complexe mais on conviendra aisément qu’elle repose sur des variables essentielles (et a priori relevées au cours de l’enquête policière et/ou judiciaire) si on ne veut pas tout confondre. N’oublions pas, que comme dans les distributions présentées supra sur la base des statistiques françaises existantes, les différentes classes auront des poids très différents, ce qui, de fait, peut simplifier considérablement le tableau. 

Etape 5. : 160 classes ?

Au risque compliquer encore un peu plus les choses, deux autres questions nous paraissent ne pas pouvoir être passées sous silence : 1. Le mis en cause était-il en situation de récidive légale ? [2] 2. Le mis en cause connaît-il la victime ? [3]

Selon les réponses à ces deux questions, posées pour chacune des 40 catégories précédentes, on obtient un nombre théorique de classes égal à 160.

Evidemment, on n’imagine pas ce type de grille utilisée dans les statistiques pénales périodiquement produites par les administrations mais ne mériterait-elle pas d’être reprise dans telle ou telle enquête ponctuelle ? 

A plusieurs reprises, il a été question de la distinction entre les majeurs et les mineurs, pour les auteurs ou pour les victimes. En droit français, l’âge de référence de la majorité est de 18 ans, mais il existe aussi une majorité sexuelle, fixée à 15 ans.
C’est par exemple cet âge de 15 ans (de la victime) qui va définir une des circonstances aggravantes pour le viol comme pour l’agression sexuelle.

Dans l’idéal, ne faudrait-il pas pouvoir distinguer pour les auteurs, ceux qui ont moins de 18 ans et ceux qui ont 18 ans et plus et considérer trois groupes pour les victimes : les moins de 15 ans, les 15 ou moins de 18 ans et les 18 ans et plus. Naturellement ces âges limites peuvent varier d’un pays à l’autre. Aussi laissons-nous ouverte cette question. 

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* Références bibliographiques

Coll. Les soins obligés ou l’utopie de la titre entente, Actes du XXXIIIe congrès français de criminologie, Lille, mai 2001, Association française de criminologie, Société belge de criminologie, Université Lille 2, Editions Dalloz, 2002.

Coll., Actualité Juridique. Pénal, Dalloz, n°1/2004, Dossier sur « les violences sexuelles », 9-26.

Coll., Actualité Juridique. Pénal, Dalloz, n°2/2004, Dossier sur « Délinquance sexuelle : quelles peines » 49-64.

Lameyre, (X.), La criminalité sexuelle, Flammarion, Dominos, 2000, 128 pages.

Tournier (P.V.), Agressions sexuelles : du dépôt de plainte à l’exécution des peines, in Agressions sexuelles : victimes et auteurs, Les Editions L’Harmattan, Coll. Sexualité humaine, Mémoire du temps, 1998, 27-56.

Notes:

[1Au sens de la théorie mathématique des ensembles

[2En cas d’infraction commise par plusieurs personnes : l’une au moins des personnes mises en cause était-elle en situation de récidive légale ?

[3En cas d’infraction commise par plusieurs personnes : l’une au moins des personnes mises en cause connaissait-elle la victime ?