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(2001) Psychiatrie en milieu pénitentiaire (Franche Comté)

1 La prise en charge psychologique des mineurs à la maison d’arrêt de Besançon, un défi ?

Mise en ligne : 18 juin 2005

Texte de l'article :

La prise en charge psychologique des mineurs à la maison d’arrêt de Besançon, un défi ?
1° Journée des soins Psychiatriques en Milieu Pénitentiaire (Franche-Comté)

Sophie Royer, psychologue clinicienne à l’UCSA de la maison d ‘arrét de Besançon

(Franche-Comté 1 Juin 2001)

La prise en charge psychologique des mineurs incarcérés serait un défi, mais il y a lieu de s’interroger pour qui ? pour le psychologue ? pour les mineurs ? pour l’administration pénitentiaire ?

Etat des lieux :
 J’ai pris mes fonctions en juillet 2000, pour un premier poste en milieu pénitentiaire, à temps plein. La période estivale m’a permise de m’installer tranquillement et de prendre contact avec ce milieu si particulier. ..Très vite néanmoins, j’ai eu entre autre, la responsabilité de prendre en charge les mineurs incarcérés. A mon arrivée une douzaine de jeunes étaient présents. Avec l’accord du psychiatre du service, nous décidâmes que j’assurerais seule les entretiens entrants des jeunes de manière à prendre contact avec eux et leur assurer de ma disponibilité pour les rencontrer en priorité.
 Quel ne fût pas mon étonnement en constatant qu’il n’existait pas officiellement de quartier mineurs sur Besançon (même s’il existe des projets de construction). Je pris aussi rapidement contact avec les deux surveillants qui assuraient l’encadrement des jeunes, de manière à les sensibiliser à mon intervention spécifique. Ils me décrivirent une population difficile à « manager » d’autant plus qu’il existe cette proximité avec les majeurs. Au gré de mes rencontres, j’ai pu entendre certains agents témoigner de la difficulté à travailler dans un quartier mineur, voire de la hantise d’y être affecté en remplacement.
 Progressivement, je réussis tant bien que mal à instaurer une consultation systématique avec les mineurs arrivants, suite à ce que je nommerais des résistances de l’administration pénitentiaire. De plus les locaux exigus de I’UCSA ne me facilitèrent pas vraiment la tâche.
 A compter de septembre je décidai de mettre en place, parallèlement aux réunions bimensuelles qui regroupent la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les Magistrats, l’Administration Pénitentiaire, les services sociaux et I’UCSA, une réflexion régulière avec la participation de tous les intervenants auprès des mineurs. J’invite donc toutes les personnes qui gravitent autour du mineur à se retrouver pour évoquer avec son éducateur référent sa situation passée, actuelle et son avenir. Un véritable travail de partenariat a été mis en place avec la plupart des personnes intervenant autour de ces jeunes (éducateurs, infirmière, assistants sociaux, directeurs d’établissements, SPIP, PJJ, CAEh, SEAT...). Ces rencontres m’ont permis non seulement de rompre l’isolement dans lequel je me trouvais mais aussi de partager mon expérience unique.
 Quelle difficile position que celle d’évoluer entre deux logiques l’une pénitentiaire qui est celle de la répression et l’autre de l’hôpital qui est celle du soin. Intervenir en respectant l’articulation soins - justice est très complexe !
 Travailler avec les mineurs incarcérés demande beaucoup de temps et d’énergie. En somme, il s’agit presque de l’équivalent d’un mi -temps. A ceci s’ajoute, en ce qui me concerne, la difficulté de travailler à la fois avec des adultes et des jeunes. Il ne s’agit évidemment pas des mêmes problématiques, pas des mêmes demandes (quand elles existent)...

Statistiques  :
Merci à Marleyne Folletet, stagiaire psychologue pour sa contribution au calcul des statistiques.
 Depuis juillet 2000, 35 mineurs ont été incarcérés à la maison d’arrêt de Besançon. L’âge moyen est del6 ans et 1/2.
 68% sont là pour des vols, dont 60% assortis d’actes de violence. 16% sont là pour violence, séquestration, violence sur ascendant, outrage à AFP. 10 % sont des auteurs d’agression sexuelle, et enfin 5% sont incarcérés pour des infractions à la législation des stupéfiants.
 Durée moyenne de la peine :28 jours.
42 % sont déscolarisés, 21 % reviennent après une première incarcération. 50% ont des parents de culture étrangère.
 La délinquance juvénile est universelle. Elle a augmenté de 150 % entre 1985 et 1995. En 1997, les mineurs représentaient presque 20 % des auteurs d’infractions. Cette délinquance augmente plus que la délinquance en général. La criminalité juvénile devient à la fois plus précoce et plus violente. Un jeune nous a confié avoir fait son premier cambriolage à 7-8 ans, avec des adultes. Au départ, les infractions existent surtout contre des biens, puis progressivement elles atteignent les personnes.

Qui sont ces jeunes ?
 Un mineur sur le plan pénal est un individu de moins de 18 ans. A Besançon, en l’occurrence la Maison d’Arrêt n’accueille que des garçons. La population des mineurs est à la fois vulnérable et fragile. Au niveau de leurs profils, ce qui marque chez ces jeunes, c’est la persistance d’une mentalité infantile (comme chez beaucoup d’adultes), un retard dans l’éveil du sens de la responsabilité et de la prise de conscience (au premier abord parfois on ne retrouve ni honte, ni remord, ni souffrance apparente liée à l’incarcération). Les faits qui les ont conduits à être incarcérés sont banalisés, niés, et nous retrouvons les mêmes mécanismes observés chez les adultes incarcérés. Avec les mineurs accusés d’agression sexuelle, l’acte reproché est insupportable et les coupables sont des enfants. Le travail du psychologue visera là à survivre. Pour une majorité d’entre eux, le milieu familial est difficile, pauvre en limites instaurées (réactions familiales quand 1er délit extrêmement diversifiées : réaction abusive, excessive, démission des parents, ou approbation, voire indifférence), peu de communication entre tous les membres de la famille. Les parents sont souvent séparés, avec des mariages multiples, les familles recomposées, éclatées, mixtes, avec des jeunes à cheval sur deux cultures. Tout cela pose la question des problématiques identitaires avec des enfants en manque de repère. Le père est absent dans la majorité des cas, ou ne reconnaît pas son enfant.
 Ainsi, l’adolescent psychopathe en reste à répéter la carence du père à incarner la loi (Yves Morhain, Journal des psychologues, « Violences d’adolescent dans un monde de désenchantement, juin 1997). Il appelle la loi en la transgressant, agit au lieu de parler, et demande l’impossible par le recours à la violence. Il est un être déchiré, à la fois victime et bourreau.

La place du psychologue :
 Prendre en charge des mineurs incarcérés est une tâche difficile, étant sollicité de toute part, renvoyé régulièrement à nos limites propres, à notre condition d’être humain. Travailler avec des mineurs nous titille dans nos rapports intimes à la transgression, à l’agressivité, à la violence et peut mettre notre soi -disant souplesse psychique à rude épreuve !
 Notre travail mérite réflexion, peut être ici plus qu’ailleurs (pour se désenkyster du présent, prendre du recul et ne pas rester absorbé par notre pratique), et le besoin d’échanger et de rompre l’isolement dans lequel se trouvent les personnes qui ont en charge les mineurs se fait très vite ressentir. Combien il est dur là, d’accueillir l’Autre... et si un enfant n’est pas écouté, le risque c’est qu’il renonce à sa question (Dolto) et laisse la place au symptôme. Le même auteur nous disait aussi d’oublier notre savoir quand on écoute un enfant.. .car il s’agit bien de jeunes ici. Citons aussi Paul Valéry « penser c’est perdre le fil ».
 Délinquant vient du latin de-linquo qui signifie rupture de lien. Notre travail c’est aussi de maintenir du lien, voire de retisser un lien, avec le jeune lui -même, son entourage, son éducateur épuisé car à bout de projet. . . nous pouvons prendre contact avec les familles quand le jeune est d’accord.
 La violence est inhérente à l’humain mais elle peut être ravageante si elle est impossible à métaboliser, bref si elle n’a plus de sens. La parole peut permettre d’endiguer cette violence intérieure. Winnicott soulignait la notion d’espoir dans l’acte délinquant. Le passage à l’acte, expliquait - il arrive quand la déprivation survient à un moment où justement l’environnement ne doit pas être manquant. La pratique singulière du clinicien intervenant en prison est teintée de frustration. La prison est un lieu d’arrêt ; c’est ainsi qu’on la nomme. On y tombe, c’est la fin de la course dans laquelle sont engagés nombre de délinquants. La mise en détention .est une contrainte, c’est-à-dire qu’elle correspond à ce qui entrave la liberté d’action d’un être, soit du dehors, soit du dedans. La rencontre avec un arrivant mineur (c’est ainsi qu’on appelle le nouveau détenu mineur), fait surgir le plus souvent l’insupportable d’avoir été ainsi arrêté. Au bout de quelques jours, le jeune va renouer avec l’action, en allant à l’école, en pratiquant un sport. L’activité est valorisée en maison d’arrêt. Cet agir ne nous appartient pas, et tend parfois même à contrarier nos rencontres avec le jeune, qui peut hésiter à quitter le foot pour venir nous voir, ou qu’il y ait les résistances des surveillants, qui supportent parfois difficilement les perturbations de l’organisation que nous suscitons (comme l’interruption de travail, les mouvements de personnel pour aller chercher un détenu et l’accompagner jusqu’à l’infirmerie).
 Pour en revenir à ce qui fonde notre présence dans ce lieu, qu’en est -il de la parole et de la loi, médiatrices et repères qui n’ont pu que faire défaut à celui qui s’est fait prendre dans les filets de la justice. L’impossible symbolisation qui explique le passage à l’acte de l’adolescent criminel est-il synonyme de l’impossibilité de prise en charge psychologique ?
 En maison d’arrêt, la parole est disqualifiée. Le non-dit est la règle, et, en parallèle à la nécessité de maintenir l’ordre, le personnel pénitentiaire réduit ses interventions à des injonctions, la hiérarchie accordant ponctuellement des audiences. La parole du détenu est a priori marquée du sceau du mensonge : « à les écouter, tous des agneaux, y’en aurait pas un de coupable ». La contestation du règlement est vécue comme une transgression. Etre en infraction peut entraîner « un rapport » qui conduit au prétoire, où, en l’absence de toute défense, l’unanimité du jury est acquise à l’avance.
 Etre clinicien auprès de jeunes adolescents incarcérés, c’est aussi reconnaître les limites de nos interventions. C’est appréhender le jeune avant tout comme un sujet pendant que d’autres le repèrent selon l’infraction qu’il a commise et qui l’a conduit à être incarcéré. Cela suppose de travailler en équipe (se reconnaître dans nos identités professionnelles et nos missions respectives) autour du jeune c’est à dire avec tous ceux qui interviennent avant, pendant et après la sortie, sortie qu’il faut dans la mesure du possible à moins d’une OML ( ordonnance de mise en liberté ), préparer. C’est soutenir un projet individualisé pour chaque jeune. Le travail psychologique visera aussi à réinscrire le jeune dans son parcours de vie.

Qui les mineurs mettent-ils au défi ?
 C’est bien d’adolescents dont nous parlons ici. Or les adolescents selon Mme Descargues Wery, psychanalyste, invitée par l’association de Jean Charmoille sur Qui l’adolescent met-il au défi ?, ont horreur qu’on les comprenne, ils demandent juste à être rencontrés. L’adolescent attend tout et ne demande rien.
 Le défi, c’est quelque chose autour de la provocation, se surmonter, aller plus loin, mais jusqu’où ? Idée de relever un défi pour un psychologue, c’est se positionner de façon à ce que la demande se maintienne, sachant que rien ne pourra la satisfaire (résister au fantasme qu’un état de complète satisfaction est possible), le temps nécessaire à une élaboration chez l’adolescent. L’adolescent nous demande d’être hyper intelligent, branché, il nous met au défi en nous lançant un t’es pas cap. Heureusement, l’adulte ne correspond bien souvent pas à leur imaginaire, et de ce fait, évite de les enfermer. Il s’agit pour nous de faire jouer la différence, de calmer l’exaltation. Tenir la place d’un tiers, entre la famille, l’administration pénitentiaire / les juges.
 La vulnérabilité psychique liée à la fois à leur jeune âge et à la problématique adolescente en pleine action est accrue chez les jeunes détenus. Au sujet de l’incarcération des adolescents, rappelons Alain Maurion (1990, « incarcération des adolescents, de la contention au traumatisme », revue Adolescence), qui évoque le caractère traumatique qu’elle représente pour de jeunes individus qui, par essence, sont aux prises avec une problématique narcissique cruciale pendant une période charnière de formation de la personnalité. Ce que Maurion a nommé le trauma carcéral, représente pour le jeune sujet une blessure avec effraction, et se traduit par un processus de sidération et d’effroi qui le saisit à l’entrée de l’établissement pénitentiaire. L’ado est confronté, toujours selon l’auteur, à l’expérience du vide, à la plongée dans le raptus anxieux, et à la confrontation avec l’emprise de la mort.

Conclusion 
La prise en charge psychologique des mineurs à la maison d’arrêt de Besançon, Défi ou pai ?
 Que vont-ils devenir après leur passage à la maison d’arrêt ? Nous rencontrer, c’est leur donner l’occasion de se raconter. Mais c’est souvent dans l’urgence que l’adolescent vient, et le psy doit faire en sorte que la rencontre tienne, et ce pour permettre d’apaiser l’angoisse. L’urgence est double, à la fois interne et externe, et le temps de rencontre est bien souvent bref. Rencontrer des adolescents en maison d’arrêt, c’est relever le défi de les écouter, de repérer rapidement leur problématique, tout en ne les recevant en entretien que ponctuellement.
 Malgré les effets pathogènes du milieu carcéral, il faut reconnaître que, paradoxalement, la prison peut représenter pour certains un lieu propice à une rencontre psychologique. En effet, l’incarcération représente un temps d’arrêt, parfois la seule halte possible dans l’itinéraire de ces jeunes marqué souvent par des rejets successifs de plusieurs établissements qui ont tenté de les prendre en charge. Toutes ces caractéristiques propres à l’incarcération du mineur, en prise avec sa propre adolescence, parfois l’existence de troubles de la personnalité, de type psychopathique / limite, la présence d’éléments socioculturels, rendent l’approche de ces jeunes difficile, riche à la fois, nous sollicitant dans une écoute particulière et attentive. Nous insistons sur la nécessité qu’existent des temps de réunion pour une réflexion objective, efficace, les échanges ne pouvant être que fructueux.
 Psychologue dans une maison d’arrêt consiste à chercher avec le détenu consentant le sens de la peine qu’il encourt. Pour faire émerger ce sens, il s’agit de dégager éventuellement l’articulation qui existe entre le passage à l’acte commis et le parcours de vie ayant précédé ce passage à l’acte. Il pourra aussi s’agir de réinscrire le délit dans l’histoire individuelle du sujet.
 Actuellement les prises en charge des mineurs sont individuelles, à long terme nous envisageons d’animer un groupe de parole avec les mineurs, centré sur leurs préoccupations et leur problématique, afin qu’existe un lieu où ils puissent s’exprimer librement et sur un mode collectif sans être jugé. Remettre la parole en circulation dans ce lieu singulier qu’est la détention.

BIBLIOGRAPHIE  :
* Yves MORHAIN, Violences d’adolescent dans un monde de désenchantement. Le journal des psychologues, juin 1997
* Donald Woods WINNICOTT, Quelques aspects psychologiques de la délinquance juvénile in L’enfant et le monde extérieur. Paris, Payot, 1957, pp 165 à 174.
* Marie Antoinette DESCARGUES WERY, Qui l’adolescent met-il au défi ? Communication du 18 octobre 2000, association Tirésias, Besançon.
* Alain Maurion, Incarcération des adolescents, de la contention au traumatisme. Revue adolescence, 1990.
* Jean Larguier, Ampleur du problème de la délinquance juvénile, in Criminologie et science pénitentiaire. Dalloz, 1999, pp. 54 à 61.

Source : site psy désir