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03 Chap1 1 I A Une pathologie engageant le pronostic vital

Mise en ligne : 27 février 2007

Texte de l'article :

CHAPITRE 1 - ETUDE DE LA MESURE

La suspension de peine créée par la loi du 4/03/2002 nécessite pour son application un formalisme rigoureux s’appliquant à la fois au condamné et aux juridictions concernés (section 2). Des impératifs de protection de la sécurité de la population justifient un encadrement strict de l’application de cette mesure et donc de l’élaboration de conditions précises d’octroi de cette suspension (section 1).

Section 1 - Réflexions sur la notion et le contenu de l’article 720-1-1
La mesure de suspension de peine proposée par l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale est encadrée de conditions strictes relatives à l’état de santé du condamné (I). Cette suspension exceptionnelle, car pouvant s’appliquer à des condamnés à une peine d’emprisonnement perpétuelle doit se conjuguer avec des impératifs de protection de la sécurité publique et de prévention de la récidive (II).

I - La prise en compte de l’état de santé du condamné
Pour bénéficier de cette suspension de peine, le détenu doit remplir des conditions strictes et précises sur le niveau de sa maladie. Celle-ci doit en effet soit engager le pronostic vital du condamné (A), soit être durablement incompatible avec le maintien en détention (B). Ces critères sont alternatifs. Un condamné pourra donc être éligible à la suspension de peine pour raison médicale en raison de l’incompatibilité de son état de santé avec la détention même si son pronostic vital n’est pas engagé dans l’immédiat [1]

A - « Une pathologie engageant le pronostic vital »
Cette demande de suspension a pour élément principal une pathologie spéciale et propre au détenu (1), qui de plus doit revêtir une certaine gravité pour pouvoir permettre au détenu de bénéficier de cette mesure d’aménagement de peine (2).

1 - Une pathologie
Cette pathologie doit être personnelle au détenu (b) et ne doit pas concerner les maladies mentales (a), pour lesquelles l’enfermement en milieu carcéral n’est pas envisagé.

a - L’exclusion des malades mentaux
Cette mesure de suspension de peine est envisageable pour l’ensemble des condamnés majeurs et pour certains mineurs [2]. Cependant, une nuance est à apporter. Il s’agit des malades mentaux. En effet, ces derniers ne pourront bénéficier de cette mesure [3] comme le confirme l’article 720-1-1 [4] lui-même in fine : « (...) hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux ».
L’exclusion de cette catégorie de personne peut s’expliquer par le fait que ces derniers ne peuvent dans leur état exécuter leur peine en en comprenant le véritable sens [5]. Ainsi, ils sont dirigés vers un système fermé, adapté à leur pathologie mentale. Pendant ce temps, la peine sera suspendue, elle ne reprendra son cours que lorsque l’individu aura recouvré une meilleure santé mentale.
Cependant, la raison véritable semble être le refus de permettre à ces derniers d’être libérés dans le but de protéger la société et eux-mêmes. Pour comprendre l’exclusion de cette catégorie de personne, il faut jumeler [6] cet article 720-1-1 avec l’article D.398 [7] du CPP. Ce dernier précise que les détenus atteints de troubles mentaux ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire, ils doivent être alors orientés et placés dans un établissement spécialisé. Ces malades mentaux ne peuvent bénéficier de cette mesure s’ils sont hospitalisés dans un établissement public de santé mentale. Cependant, cette suspension pourra leur être applicable s’ils peuvent « être traités en hôpital de jour [8] », ou s’ils sont traités hors de ces établissements de santé publics. Le degré de gravité de l’état mental permettra ou non à ce condamné d’être éligible à ce mode de suspension de peine [9]. Ainsi une demande de suspension de peine pour retrouver une personne de sa famille mourante ne rentre pas dans le cadre fixé par cet article. Le condamné a alors à sa disposition dans ce type de cas, des procédures de suspensions différentes, telles que les permissions de sortir, la libération conditionnelle pour motifs familiaux [10] comme la maladie d’un proche.
D’autre part, la pathologie invoquée pour bénéficier de cette suspension doit être réellement établie. Le texte de loi le précise très clairement : « La suspension peut également être ordonnée [...] pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant [...] ». Elle ne doit pas être hypothétique. Cette pathologie doit être établie médicalement. De simples impressions ne seront pas recevables. Ainsi, le législateur a posé des conditions précises de preuve de cet état pathologique. Deux expertises sont nécessaires pour conclure à la qualité de la pathologie [11]. Cette obligation d’établir clairement la pathologie s’explique notamment par la volonté du législateur de restreindre le champ d’application de cette mesure de suspension [12]. En effet, rappelons le, cette suspension ne prend en compte que l’état de santé du condamné et non l’origine de ses condamnations.

2 - L’exigence d’un pronostic vital engagé
L’une des situations envisagées par le législateur correspond à l’engagement du pronostic vital du condamné. Cependant, cet état de santé doit être d’une gravité importante (a) et le détenu ne doit pas s’opposer à son traitement (b) pour pouvoir espérer obtenir cette suspension.

a - Une gravité qualifiée et extrême
Une fois identifiée, la pathologie doit répondre à un autre critère très important, qui est celui de l’exigence de l’engagement du pronostic vital. Le rôle principal des deux expertises demandées est celui de prévoir l’échéance fatale de cette maladie. En effet, cette mesure de suspension de peine a été créée pour permettre à des condamnés de ne pas mourir en prison et de ne pas passer leurs derniers jours dans l’univers carcéral. Une limite de temps est ainsi posée. De ce fait, pour obtenir cette mesure de suspension de peine, la jurisprudence [13] a précisé que le pronostic vital doit nécessairement être engagé à court terme [14]. La mort du condamné doit être prochaine mais non obligatoirement imminente, du moins en principe [15].
Cette condition a suscité une vive polémique [16] ne permettront pas à un condamné de bénéficier de cette mesure par l’utilisation de cette première voie, faute de phase terminale [17]. On remarque au travers de la jurisprudence que l’appréciation de l’engagement du pronostic vital à court terme se fait au cas pas cas. La technique du faisceau d’indices et du faisceau de pathologies [18] peut ainsi être utilisée pour conclure de l’engagement à court terme du pronostic vital d’un détenu malade.
De ce fait, la maladie n’a pas à être unique, il peut en effet s’agir d’un ensemble de pathologies différentes qui prises indépendamment n’engagent pas le pronostic vital, mais qui ensemble au sein d’un même organisme engagent le pronostic vital à court, moyen ou long terme selon l’individu. Ainsi, un diabète aggravé d’une insuffisance rénale pourra être perçu comme étant une pathologie plus critique qu’un diabète de stade 1, car engageant le pronostic vital à plus court terme. Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, un homme souffrant d’un cholestérol important, d’une surcharge pondérale et d’une angine de poitrine [19], s’est vu refuser la suspension de peine pour raisons médicales, car bien qu’étant engagé, son pronostic vital ne l’était pas à court terme.

b - Le cas spécial d’un détenu refusant de se soigner
Au sein des modalités de cette suspension de peine, un cas particulier de détenu est à observer : il s’agit des détenus dont le pronostic vital est engagé et qui refusent de se soigner.
La Juridiction nationale de la libération conditionnelle [20], juridiction d’appel s’est ainsi prononcée contre une suspension de peine pour raisons médicales qu’un condamné avait obtenu de la Juridiction régionale de la libération conditionnelle alors que l’engagement de son pronostic vital à court terme avait été retenu par les experts. La juridiction a justifié de ce refus en invoquant le fait que le détenu refusait de se soigner et que son traitement ne pouvait ainsi lui être donné que dans une structure contraignante [21]. Ainsi, un détenu s’opposant à son traitement ne pourra bénéficier de cette mesure [22].
Cette prise en considération de la volonté du patient de se soigner ou non, peut sembler étonnante et hors de propos. Cette mesure de suspension de peine a pour but premier d’être humanitaire et donc de ne prendre en compte que l’état de santé du condamné. Sa volonté de se soigner, d’aggraver son état ou de précipiter l’issue fatale ne devrait pas être prise en compte dans l’accord de cette suspension [23]. Cependant, il est à remarquer que certains détenus refusent toute sorte de traitement dans le but d’aggraver leur situation physique et d’espérer pouvoir remplir les conditions pour bénéficier de la suspension de peine offerte par la loi du 4/03/2002. Une sorte de chantage est ainsi présenté aux juridictions de jugement [24].

Notes:

[1JAP Toulouse 23/05/2002, n° de décision 2002/00269 http://www.legifrance.gouv.fr/

[2Voir infra, p.56

[3BACQUE (R.), GUIBERT (N.), Gravement malade, Joëlle Aubron est la première membre d’Action directe à être remise en liberté, in Le Monde, 16/06/2004, p. 14, « [...] Georges Cipriani, 53 ans, a sombré dans la démence. Il ne peut bénéficier de la loi Kouchner qui ne prévoit pas de libération pour raisons psychiatriques [...] »

[4Loi du 4/03/2002, n°2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO n° 54, 05/03/2002, p.4118

[5STEFANI (G.), LEVASSEUR (G.), BOULOC (B.), in Droit Pénal Général, éd. Dalloz, 18ème édition, 2003,
p.597

[6VELLA (M.), JANAS (M.), Les difficultés d’application de la suspension de peine médicale, in RPDP, 2003, p. 471

[7Article D 398 Code de procédure pénale : « Les détenus atteints de troubles mentaux visés à l’article L.342 du CSP ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire. Au vu d’un certificat médical circonstancié et conformément à la législation en vigueur, il appartient à l’autorité préfectorale de faire procéder dans les meilleurs délais, à leur hospitalisation d’office dans un établissement de santé habilité au titre de l’article L.331 du CSP. »

[8HERZOG-EVANS (M.), Droit de l’application des peines, éd. Dalloz, 2002, p. 276

[9VELLA (M.), JANAS (M.), op.cit. , p. 482].

b - Une pathologie propre au détenu et établie
La pathologie visée doit tout d’abord être personnelle au détenu. Contrairement à d’autre mesures permettant une suspension ou une réduction de peine, comme précédemment cité, la suspension de peine permise par l’article 720-1-1 n’est envisageable que si la pathologie touche le détenu personnellement. Cette maladie ne doit concerner que le détenu [[HERZOG-EVANS (M.), op. cit., p. 274

[10Ibid

[11Voir infra, p. 107

[12HERZOG-EVANS (M.), op. cit., p. 275

[13Cass.crim. 28/09/2005, n° de pourvoi 05-81010, in BC 2005, n°247, p 869 http://www.legifrance.gouv.fr/

[14MONNET (Y.), Note sous Cass.crim. 28/09/2005, in Gaz. Pal.24,25/03/2006 p.26

[15HERZOG-EVANS (M.), La suspension de peine médicale de Maurice Papon, in D. 2002, n°38, p.2893

[16Voir infra, p.101].
C’est ainsi que certaines pathologies engageant le pronostic vital, mais dans un délai trop vague ou trop lointain [[JRLC de Rouen 27/09/2002, Affaire C., in HERZOG-EVANS (M.), La suspension médicale de peine et la sécurité publique état des lieux, in RPDP, n°2, juin 2005, p. 307, « [...] Ainsi, dans une affaire C. du 27 septembre 2002, la JRLC de Rouen devait-elle refuser le bénéfice de la suspension médicale de peine à un malade atteint de nombreuses pathologies invalidantes, notamment au motif que le pronostic vital n’était engagé qu’à moyen terme [...] »

[17HERZOG-EVANS (M.), Pas de suspension médicale de peine pour un malade atteint du SIDA, in AJP, janvier 2005, p. 33

[18MONNET (Y.), op. cit.

[19Cass.crim. 13/10/2004, n° de pourvoi 04-80951, http://www.legifrance.gouv.fr/

[20Juridiction d’appel des décisions de suspension de peine, prononcées par la Juridiction régionale de l’application des peines. Cette juridiction a été remplacée par la Cour de l’application des peines créée par la loi du 9/03/2004, voir infra, p.46

[21JNLC 11/07/2003, in AJP, octobre 2003, p.33

[22LARGUIER (P.), in Droit Pénal Général, éd DALLOZ, 2005, 20ème édition, p. 201

[23HERZOG-EVANS (M.), La suspension de peine médicale de Maurice Papon, in D. 2002, n°38, p. 2893

[24Voir infra, chapitre 2