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Approche indisciplinaire de la question pénale (Pierre V. Tournier - Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle)

03 A III. Prisons d’Europe

Mise en ligne : 6 avril 2007

Texte de l'article :

Actualité Juridique. Pénal, Dalloz, 2007, à paraître.

III. - Prisons d’Europe

Le 11 janvier 2006, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adoptait la recommandation Rec (2006) 2 sur les nouvelles règles pénitentiaires européennes. Fortement encouragée par l’ensemble des organisations qui agissent en France pour une justice pénale plus respectueuse des droits de l’homme, la direction de l’administration pénitentiaire prenait l’initiative de publier, rapidement ces règles et de les diffuser. Dans son avant-propos, son directeur, Claude d’Harcourt, écrivait : « [Ces règles] engagent les 46 signataires à harmoniser leurs politiques pénitentiaires et à adopter des pratiques communes. Elles s’inscrivent dans une logique de réalisme qui est autant le fruit de l’expérience acquise que le gage des véritables avancées futures. Elles constituent une charte pour l’administration pénitentiaire qui donne sens à l’action de l’ensemble des personnels. Les mettre en œuvre représente, par conséquent, un enjeu essentiel ». Puisse-t-il être entendu par le prochain Garde des Sceaux ! Cette « logique de réalisme » oblige chacun à replacer, en permanence, la situation pénitentiaire française dans ce cadre européen de référence. Si l’approche statistique a ses limites et doit être évidemment complétée par d’autres analyses comparatives, la connaissance d’un certain nombre de paramètres et de leur évolution nous paraît être une nécessité absolue.
 
Au 1er septembre 2005, les Etats membres du Conseil de l’Europe disposent, globalement, de 1 821 000 places de prison, et ce pour une population de 801 605 000 habitants, soit 227 places pour 100 000 habitants [1]. A la même date, on compte 1 742 600 personnes détenues, soit un taux global de détention de 217 détenus pour 100 000 habitants, la densité globale carcérale étant de 96 détenus pour 100 places. 
 Mais dans cet ensemble, deux pays, démographiquement importants, se distinguent, à plus d’un titre, la Fédération de Russie et l’Ukraine. La Fédération de Russie dispose de 955 096 places de prison pour une population de 142 800 000 d’habitants soit 669 places pour 100 000 habitants ; on y recense 823 672 détenus, soit un taux de détention record pour l’Europe de 577 détenus pour 100 000 habitants et une densité de 86,2 détenus pour 100 places (parmi les plus faibles d’Europe). L’Ukraine avec 159 011 places pour 47 100 500 habitants, dispose de 338 places de prisons pour 100 000 habitants ; elle compte 179 519 détenus, soit 381 détenus pour 100 000 habitants et une densité de 113 détenus pour 100 places. 
 Si l’on ne tient pas compte de ces deux pays, les trois indices sont les suivants : 116 places pour 100 000 habitants, 120 détenus pour 100 000 habitants, 105 détenus pour 100 places. Nous allons, désormais, nous intéresser uniquement à la France et aux 14 pays économiquement et politiquement comparables (Tableau 1.).

 1. - Des prisons surpeuplées

 Sur ces 15 pays, 9 ont une densité carcérale supérieure à 100 et connaissent donc un phénomène de surpopulation carcérale. La situation est particulièrement grave dans les pays du Sud de l’Europe : Grèce (172 détenus pour 100 places), Italie (139), Espagne (134). Une densité de 100 ou moins (indice global) ne signifie évidemment pas que certains établissements ne sont pas surpeuplés, d’autres pouvant avoir des places disponibles. En la matière, le seul indice vraiment significatif est ce que nous appelons le nombre de détenus en surnombre, indice qui n’est pas malheureusement pas collecté par le Conseil de l’Europe (voir encadré sur la situation française). 
 On regardera aussi, avec attention, les variations, d’un pays à l’autre, du parc pénitentiaire disponible, mesuré par le nombre de places pour 100 000 habitants. Cet indice varie de 50 places pour 100 000 habitants en Grèce à 145 au Royaume-Uni, la France se trouvant dans une situation médiane : 7 pays ont, relativement plus de places et 7 en ont moins. Resterait à savoir ce que l’on entend par « place en prison » dans ces différents Etats.

 2. - Tendance générale à l’inflation carcérale

 L’Etat de surpopulation carcérale se mesure à une date donnée : on constate qu’il n’y a pas adéquation entre le nombre de personnes détenues et le nombre de places opérationnelles. Le concept d’inflation carcérale est d’une autre nature (Tableau 2.) : parler d’inflation carcérale, c’est constater que l’augmentation du nombre de détenus, sur une période d’au moins quelques années est « très importante », c’est-à-dire sans commune mesure avec l’augmentation du nombre d’habitants. Ainsi le nombre des détenus, dans l’ensemble des 15 pays retenus, est passé de 374 500 au 1er septembre 2001 à 428 500 au 1er septembre 2005, soit 14 % d’augmentation en 4 ans. Seule l’Allemagne échappe complètement à ce phénomène connaissant, sur cette période, la stabilité autour de 79 000 détenus (96 p. 100 000 habitants). 

 3. - La question de la détention provisoire

 Dans le système SPACE, la population carcérale, à une date donnée, fait l’objet d’une dichotomie entre détenus « prévenus » et détenus « condamnés ». Est considéré comme prévenu, tout détenu qui n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation définitive : il bénéficie alors de la présomption d’innocence. Compte tenu de cette définition du prévenu par la négative - non condamné définitif - la catégorie ainsi déterminée est nécessairement composite. On peut la décomposer de la manière suivante : a. les détenus non encore jugés (ils n’ont pas encore fait l’objet d’une décision d’un tribunal dans l’affaire qui motive leur détention). b. les détenus déclarés coupables, mais non encore condamnés (cette distinction entre le moment de la déclaration de culpabilité et celui du choix de la sanction existe par exemple en Angleterre Pays de Galles) ; c. les détenus condamnés, en première instance, (ayant utilisé une voie de recours ou dans les délais légaux pour le faire). Sur la base de ce découpage, on peut évidemment définir de trois façons différentes la population en détention provisoire : définition au sens stricte = a, définition au sens large : a + b + c et entre les deux : a + b (définition non utilisée ici). A partir de ces définitions, on peut calculer les indices présentés dans le Tableau 3.
 Pour des raisons que nous ne pouvons pas développer ici, l’indice qui nous paraît le plus significatif est le taux de détention provisoire, au sens strict, pour 100 000 habitants. Selon ce critère, les pays qui recourent le moins à la détention avant jugement - de 1ère instance - sont l’Allemagne, le Royaume-Uni, Danemark, Finlande, Norvège et Suède (moins de 20 p. 100 000). A l’inverse, on trouve des taux supérieurs à 28 pour 100 000 en France, Espagne ou au Pays-Bas. 
 

 4. - La longueur des peines en cours d’exécution

Dans différentes publications concernant la situation française, nous avons proposé le typologie suivante en matière de longueur des peines (fermes) privatives de liberté : « courtes peines » = un an et moins, « peines intermédiaires » = plus d’un an à 5 ans, « longues peines » = plus de 5 ans à 10 ans, « très longues peines » = plus de 10 ans. Nous avons repris ce découpage pour décrire les structures, à une date donnée, des détenus condamnés selon la peine ferme en cours d’exécution (Tableau 4.). En se référant au poids des courtes peines, on peut distinguer trois groupes de pays.
Groupe 1. « Plus de 35 % de courtes peines » : Allemagne, Danemark, Finlande, Norvège et Pays-Bas. Dans ces pays, le poids des très longues peines est inférieur à 8 %.
Groupe 2. « Moins de 20 % de courtes peines : Belgique, Grèce, Italie et Portugal, Royaume-Uni. Le poids des très longues peines est alors supérieur à 15 % et peut dépasser 40 % comme en Grèce.
Groupe 3. « De 20 % à moins de 35 % de courtes peines : Autriche, France et Suède. Dans ce troisième groupe, la France se distingue des deux autres, par des peines plus longues. 

 Ainsi la distribution des détenus condamnés que l’on observe en France est atypique : un peu moins d’un tiers de courtes peines, 1/3 de peines intermédiaires, et un peu plus d’un tiers de longues peines. Les autres pays ont des distributions ou bien plus marquées vers les courtes peines, ou bien plus marquées vers les longues et très longues peines.

 5. - Mouvements d’entrées en détention et durées 

 Toutes les informations présentées brièvement supra sont des données d’état (aussi dites de « stocks ») : elles se réfèrent à la situation à une date donnée. Ces caractéristiques de population vont dépendre des flux d’entrées et des flux de sorties ou, dit d’une autre manière, des flux d’entrées et du temps passé en détention avant la sortie (durées). Pour décrire ce que l’on appelle, en démographie, les modes de renouvellement des populations carcérales, le système SPACE nous permet de disposer d’un certain nombre d’éléments qui vont montrer une nouvelle fois, les fortes disparités d’un pays à l’autre (Tableau 5.) : nombre d‘entrées en détention en 2004, taux d’entrées en détention pour 100 000 habitants, proportion parmi les entrées des entrées de prévenus (avant condamnation définitive) et enfin indicateur de la durée moyenne de détention.
 
 Pour montrer, sur un exemple, l’intérêt de ce type d’approche à trois dimensions (stock, flux d’entrées, durées), comparons le cas de la France et celui de la Norvège. Le taux de détention au 1er septembre 2005 est de 92 p. 100 000 en France, contre seulement 67 en Norvège. Si nous avions un tel taux de détention, il nous suffirait de 42 000 places pour avoir une densité de 100 détenus pour 100 places. Or, on incarcère nettement plus en Norvège qu’en France : 239 entrées en détention pour 100 000 habitants contre 135 en France (2004). Mais la durée moyenne de détention est plus de deux fois plus faible (3,3 mois contre 8,1 dans notre pays), 19 % des détenus purgent des peines de 5 ans ou plus contre 38 % en France et la peine à perpétuité n’existe pas. Il serait intéressant d’aller y regarder de plus près. 

 

La statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE)

 Les données européennes présentées dans cet article sont issues de la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE), enquête 2005, PC-CP (2007) 2. Ce système statistique permanent a été créé en 1983 par nos soins. SPACE est placé, aujourd’hui, sous la responsabilité de Marcelo Aebi et Natalia Stadnic (Université de Lausanne). La statistique au 1er septembre 2005 porte sur l’ensemble des 46 Etats membres à l’exception d’Andorre et de la République d’Irlande qui n’ont pas répondu à l’enquête.
Le volet SPACE 1 (statistique du milieu fermé) permet de connaître, pour les 46 Etats membres, les indicateurs de stock suivants (1er septembre de l’année n) : nombre absolu de personnes détenues, taux de détention par habitant, capacité des établissements pénitentiaires, densité carcérale, proportion parmi les détenus de mineurs, de femmes, d’étrangers, proportion de détenus sans condamnation définitive (et taux par habitant), proportion de détenus non jugés (et taux par habitant), distribution des détenus condamnés selon l’infraction sanctionnée et selon la longueur de la peine prononcée. Nous disposons aussi de données de flux, sur l’année n - 1 : nombre total d’entrées en détention (et taux par habitant), nombre d’entrées en détention avant condamnation définitive, proportion d’entrées en détention avant condamnation définitive, nombre total de journées de détention, indicateur de la durée moyenne de détention (en mois), nombre d’évasions dans l’année (et taux par détenu), nombre total de décès dans l’année (et taux par détenu), nombre de suicides dans l’année (et taux par détenu). Lors de certaines enquêtes (une sur deux), des données sur le personnel sont aussi collectées, en particulier le taux d’encadrement des détenus par les surveillants.
 SPACE comprend aussi un 2ème volet que nous avions mis en place au début des années 1990 et qui est en cours de redéfinition.
PVT
Pour en savoir plus :
http://www.coe.int/t/e/legal_affairs/legal_co%2Doperation/prisons_and_alternatives/statistics_space_i/Council%20of%20Europe_SPACE%20I%20-%202005%20-%20final%20version.pdf

 

La surpopulation dans les prisons françaises

 Au 1er février 2007, l’effectif de la population sous écrou est de 61 525 (métropole et outre-mer) [2]. Soit 97,2 personnes écrouées pour 100 000 habitants. Le nombre de personnes écrouées était de 60 634 il y a un an (+ 1,5 %). En excluant les 1 857 condamnés placés sous surveillance électronique et les 380 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale globale de 59 288 détenus hébergés pour 50 588 places opérationnelles, soit 117 détenus pour 100 places. Le nombre apparent de détenus hébergés en surnombre est donc de 59 288 - 50 588 = 8 700
 Le nombre réel de détenus hébergés en surnombre (NDS) est, en fait, à cette date de 10 413. Cet indice NDS, calculé par nos soins, s’obtient en ne considérant que les établissements pénitentiaires (ou quartiers) qui sont en état de surpopulation (densité carcérale supérieure à 100 détenus pour 100 places). Il suffit alors de calculer, pour chacun de ces établissements (ou quartiers) le solde entre le nombre de détenus « hébergés » et le nombre de places opérationnelles et de faire la somme de ces soldes (positifs).
 Ces détenus, en surnombre, sont essentiellement dans les maisons d’arrêt. La densité carcérale globale est de 130 pour 100 pour les maisons d’arrêt (MA) et quartiers MA, 81 pour les centres pour peines aménagées (CPA) et quartiers CPA, 82 dans les centres de semi-liberté (CSL) autonomes, 88 dans les maisons centrales (MC) et quartiers MC et 98 dans les centres de détention (CD) et quartiers CD.

 10 établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 p. 100, 38 ont une densité comprise entre 150 et 200, 48 entre 120 et 150, 39 entre 100 et 120. 91 ont une densité inférieure à 100. A la maison d’arrêt de Béthune qui comprend 180 places opérationnelles, on compte 410 détenus « hébergés » (densité de 228 p. 100 places). A la maison d’arrêt de Lyon Perrache qui comprend 350 places opérationnelles, on compte 793 détenus « hébergés » (densité de 227 p. 100 places).
PVT
 

* Références bibliographiques

Céré (J.P.), Panorama européen de la prison, Editions L’Harmattan, 2002, 255 pages.

Conseil de l’Europe, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance de A. Kuhn, P.V. Tournier et R. Walmsley, coll. Références juridiques, 2000, 212 pages.

Conseil de l’Europe, Politique pénale en Europe. Exemples prometteurs en matière pénale Les éditions du Conseil de l’Europe, 2006, 210 pages.

Conseil de l’Europe, Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE I), enquête 2005, Conseil de coopération pénitentiaire, PC-CP (2007) 2.

Direction de l’administration pénitentiaire, Les règles pénitentiaires européennes, Travaux et Documents, hors série, août 2006, 103 pages.

Tournier (P.V.), Lutter contre le crime en Europe : l’arme des droits fondamentaux, in La funcio social de la politica penitenciari, Congrés penitenciari internacional, conferència inaugural, Barcelona 2006, Ministeri de l’Interior, Generalitat de Catalunya, Departament de Justicia, Conseil d’Europa, 2007, CD.

Tournier (P.V.), Que faire des nouvelles règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe, le 11 janvier 2006 ? in Dockès (E.) Dir. Au coeur des combats juridiques- Pensées et témoignages de juristes engagés, Dalloz, 2007, 245-258.

Tournier (P.V.), La longueur des peines en France, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique sous presse.

Notes:

[1Voir encadré sur la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE)

[2Source : Direction de l’administration pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, Situation au 1er février 2007