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"Le Suicide en milieu carcéral" de Deheurles-Montmayeur Lisa

00 Introduction

Mise en ligne : 5 novembre 2005

Texte de l'article :

La France est un pays qui connaît un des plus important taux de suicide, que ce soit en milieu libre ou en milieu carcéral. En effet, on compte en moyenne entre 11 000 et 10 000 suicides par an en milieu libre. On peut alors se demander si cette tendance française explique le fait que le taux de suicide en milieu carcéral soit si élevé. En effet, depuis 1996, le nombre de suicides en prison a atteint le taux record de 138 suicides en 1996. Ce nombre s’est ensuite stabilisé à un niveau élevé, oscillant entre 104 suicides en 2001 et 120 suicides en 2004.

En établissant une corrélation entre le taux de suicide en milieu libre et le taux de suicide en milieu carcéral, des études mettent en évidence que l’on se suicide 12 fois plus en prison qu’en milieu libre. Ce constat met en évidence une spécificité du milieu carcéral par rapport au milieu libre et suscite une interrogation : pourquoi se suicide t’on plus en milieu carcéral qu’en milieu libre ? En d’autres termes, on peut être amené à se demander quelle est la part de responsabilité imputable à la prison dans ces suicides. Pour tenter de répondre à cette question, nous allons donc nous appuyer sur la notion de responsabilité, puisqu’elle parait centrale, en la déclinant à différents niveaux.

La notion de responsabilité peut, tout d’abord, être analysée en terme de causalité. Nous allons donc, dans un premier temps, nous demander quelles peuvent être les facteurs explicatifs du phénomène de sur-suicidité carcéral. En effet, le suicide en prison n’est-il qu’un phénomène amplifié du suicide en milieu libre, ou, au contraire, est-il spécifique aux caractéristiques du milieu carcéral ? Cela nous amènera à analyser si les causes du suicide en milieu carcéral se situe au niveau de l’individu, c’est-à-dire si la population carcérale concentre une population qui présentent des risques suicidaires élevés, ou si elles se situent au niveau du milieu, c’est-à-dire si la prison est un milieu suicidogène.

Dans un deuxième temps, nous allons voir que l’analyse des causes du suicide en milieu carcéral trouve son véritable enjeu dès lors que l’on va chercher à déterminer quelles sont les responsabilités de chacun dans le problème du suicide en prison. En effet, la judiciaristaion croissante de ce problème explique ce glissement entre la recherche d’une simple causalité et la recherche d’une responsabilité. On peut alors mettre en scène ce mouvement sous la forme d’un procès fictif. Nous allons donc successivement présenter les arguments de chacune des parties en présence. D’une part, nous allons présenter les arguments de l’AP, qui va chercher à confirmer la thèse de l’accident ou de la folie, afin d’écarter sa responsabilité dans les suicides survenus en prison. D’autre part, les arguments de ceux qui considère la prison comme étant entièrement responsable de ces suicides et qui vont promouvoir l’image du détenu victime au sein de l’opinion publique, vont être mis en évidence. Dans son verdict final, nous verrons que la justice semble de plus en plus trancher pour une mise en cause croissante de l’AP face aux suicides. Cela nous amènera à voir, dans un dernier temps quelles sont les conséquences de cette responsabilisation croissante de l’AP face aux suicides.

Nous verrons enfin que la notion de responsabilité peut se décliner sous un dernier angle : celui de la prise en charge du problème du suicide en prison. Or, nous allons voir que la responsabilisation de l’AP face au suicide a des effets contradictoires. En effet, si elle permet une amorce de prise en charge du problème des suicides par l’administration pénitentiaire avec la mise en place d’une politique de prévention des suicides, en l’absence d’une prise de conscience de la société de sa part de responsabilité dans le phénomène du suicide en prison, cette prise en charge restera très superficielle et n’agira pas sur les déterminants du problème des suicides en milieu carcéral. En effet, en revenant sur les causes profondes que le phénomène de sur-suicidité carcérale révèlent, nous mettrons en évidence que le suicide en prison est un révélateur de disfonctionnements beaucoup plus vastes du système pénal et que, pour apporter une réponse à ce problème, une réflexion globale, sur le sens que la société souhaite donner à ses prisons doit être menée.