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0 Introduction : La prison, cette région la plus sombre de l’appareil judiciaire

Mise en ligne : 20 décembre 2002

Dernière modification : 6 juillet 2003

Texte de l'article :

« Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont, en définitive, de protéger la société contre le crime. Un but tel ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir dans toute la mesure du possible que le délinquant une fois libéré soit non seulement désireux mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins. »
Règles minima pour le traitement des détenus -1955 - Genève, premier congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des détenus.

INTRODUCTION

« La prison, cette région la plus sombre de l’appareil judiciaire  » est pourtant une institution dont tout le monde connaît l’existence. Elle fait d’ailleurs tellement partie de notre corps social qu’on pourrait la croire éternelle et immuable. Ce serait une erreur, car non seulement la prison –au sens où on la conçoit aujourd’hui- est une institution « moderne », mais elle n’a cessé d’être, depuis ses origines, repensée, contestée, réformée, remaniée, aménagée. Le milieu associatif, très présent depuis une vingtaine d’années, n’est pas étranger à cette évolution.
Malgré cela, la prison reste un monde complexe, naturellement fermé et protégé, c’est pourquoi il est méconnu des citoyens. Nous savons pourtant que cette institution existe depuis des millénaires.

Conçue à l’origine pour enfermer des individus dans l’attente de châtiments aussi divers qu’effrayants, l’idée de pénitence se développa peu à peu, l’amendement permettant le rachat de ses fautes. Cette conception naquit sous l’influence de l’Eglise qui s’est très tôt intéressée à la prison. La charité religieuse vis-à-vis des détenus, qui consistait en grande partie à des visites aux chrétiens emprisonnés, s’est rapidement développée à travers les compagnies d’assistance aux prisonniers pauvres. Bien évidemment, on ne peut pas parler, à l’époque, d’associations au sens où on l’entend aujourd’hui.
Cependant, le besoin de s’associer remonter à l’Antiquité, et revêtait alors plusieurs formes : hétairies chez les Grecs ; « collegia » et « solidatia » chez les Romains ; guildes et hanses chez les Germains et les Anglo-saxons ; compagnies et confréries au Moyen-Âge et jusqu’à la Révolution de 1789.

De l’Antiquité à la Révolution, l’histoire des regroupements d’entraide est celle d’une interminable coercition. Charlemagne interdit les confréries au IXe siècle ; Philippe Le Bel prohibe en 1305 toute association de plus de cinq personnes ; en 1539, l’ordonnance de Villers-cotterêts pose les bases juridiques de la répression anti-associative ; le code Michau de 1629 défend à tous les sujets du Roi de constituer des ligues ou des associations.
Force est de constater que les associations font l’objet de craintes de la part du pouvoir. C’est pourquoi tous les groupements qui interviennent par rapport au milieu carcéral sont, à l’époque, liés au Roi : les compagnies religieuses bénéficient de sa reconnaissance et de son soutien financier ; les sociétés pour les prisons se créent à l’initiative du ministère de l’intérieur. Malgré cette dépendance, ces mouvements sont le signe de la naissance d’un regard venant de l’extérieur et porté sur l’univers carcéral.

Bien que la Révolution constitue un tournant pour le système pénitentiaire, dans la mesure où la peine se cantonne désormais à l’emprisonnement, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ignore la liberté d’association et omet sciemment le droit de s’associer : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » La nation souveraine est donc la seule association légitime.
La loi du 21 août 1790 reconnaît cependant aux citoyens le droit de s’assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libre.
Naissent ainsi des mouvements philanthropiques oeuvrant pour une réforme pénitentiaire. Considérés comme de véritables associations charitables, ils restent néanmoins fortement liés à l’Etat : les dirigeants sont nommés par le ministre de l’intérieur, sur avis du préfet. Leurs innovations seront malheureusement délaissées par la Second Empire, dont l’objectif pénitentiaire est plus d’intimider que d’amender.
Ce n’est qu’à partir de la IIIe République que l’on remet à jour les grandes libertés. La liberté d’association consacrée par la loi de 1901 s’inscrit alors parmi les grands principes de la République dont la liberté de la presse et de réunion.
La première moitié du XXe siècle se caractérise, dans le domaine carcéral, par un net appauvrissement des idées. Durant cette période, les effectifs de la population carcérale ne cessent de diminuer et l’action associative est quasiment inexistante.

L’immédiat après-guerre est, en revanche, confronté à une surpopulation pénale jusqu’alors inconnue (plus de 63 000 personnes au plus fort de l’épuration). Cette période est marquée par une audace et une générosité inégalées. La réforme pénitentiaire de 1945 repose en effet sur l’idée d’amendement et de reclassement du condamné. Pourtant, sur le fond, la situation carcérale va rester « moyenâgeuse » au regard de l’évolution des mœurs. Les années 70 sont marquées par les grandes révoltes de prisonniers, par l’apparition de mouvements en faveur des détenus, ainsi que part la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la liberté d’association (Conseil Constitutionnel, 16 juillet 1971).

Après cette longue évolution du mouvement associatif, qui s’est largement radicalisé dans les années 70 (1ère partie), la prison s’est enfin ouverte sur l’extérieur.
De nombreuses associations ont investi cet univers jusqu’alors clos pour y accomplir différentes missions : de la resocialisation à la réinsertion des détenus (2ème partie, chapitre 1et 2), en passant par une action plus militante en faveur des droits des personnes incarcérées (2ème partie, chapitre 3). Ainsi, le milieu associatif a pris en charge une grande partie de la mission de l’administration pénitentiaire qu’est la réinsertion.
Néanmoins, les relations –aussi bien financières qu’humaines- que ces mouvements de volontaires entretiennent avec la « pénitentiaire » sont pour le moins ambigus. On peut se demander si les associations, souvent subventionnées par les pouvoirs publics, conservent une marge de manœuvre assez importante pour accomplir leur mission qui abouti parfois à l’exercice d’un contre-pouvoir (3ème partie, chapitre 1). Car, en effet, les associations dites citoyennes tendent, en plus de faire respecter les droits de l’homme en prison, à susciter une évolution du système carcéral. Il appartient alors au milieu associatif d’établir les liens nécessaires avec la société civile, afin que cette dernière prenne conscience du phénomène social qu’est l’univers carcéral et qu’enfin naisse une réflexion sur la prison de demain (3ème partie, chapitre 2).