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"Les personnes placées sous main de Justice : un public en peine(s) de culture" d’Axelle Nagrignat

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Mise en ligne : 30 mai 2007

Texte de l'article :

Introduction

Aller les yeux ouverts là où une société va enfouir ce qu’elle ne veut pas voir et ne pas savoir d’elle-même.
Michèle Sales

Pourquoi cette envie d’effectuer un stage au sein du milieu pénitentiaire alors que tant d’autres se refusent à voir ce qui s’y passe ou même à admettre l’existence des prisons ?
« Pourquoi ? » C’est la question qui revient sans cesse, et à laquelle il faut donner une réponse toujours juste et sincère. L’étonnement est encore plus grand quand précision est faite qu’il s’agit particulièrement du développement culturel en milieu pénitentiaire.
Pourquoi s’intéresser au monde fermé de la Pénitentiaire quand on est étudiante en culture ?
Choisir d’effectuer son stage de fin d’études dans un milieu aussi singulier que celui de la prison, et qui plus est dans un contexte pénitentiaire plutôt hostile au développement d’actions culturelles, ne provient pas d’une curiosité personnelle qui serait déplacée mais plutôt d’une volonté de confrontation avec toutes ces idées reçues véhiculées par la société et les médias. S’interroger sur la culture en milieu pénitentiaire permet aussi d’approcher une institution réputée si rigide, un monde clos bien souvent méconnu ou mal connu de l’opinion publique. Que se passe-t-il derrière les murs de la prison ? On oublie bien souvent qu’une fois passés le détecteur de métaux et les lourdes portes, il y a des hommes et des femmes ordinaires.
Monde fermé sur lui-même, la prison ne se laisse pas facilement approcher et apprivoiser. C’est pourquoi il y a tant de préjugés et d’a priori à dépasser quand on entame une discussion à ce sujet avec un interlocuteur non familier de ce milieu : « Oui, il y a de la culture en détention » ; « Non, les détenus ne sont pas les seules personnes qui ont affaire à la Justice, il y a aussi les probationnaires », etc. Expliquer, définir un jargon technique dont l’Administration pénitentiaire est friande, afin de transmettre une réalité toute simple : les personnes placées sous main de justice forment potentiellement un public culturel. Car un public que l’on prive de liberté n’est pas pour autant empêché de jouir de ses autres droits, comme celui de l’accès à la culture. En effet, le préambule de la Constitution affirme depuis 1946 que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation professionnelle et à la culture » [1], [2].

Hypothèses de travail
Il s’agissait de mieux comprendre les spécificités de ce public de personnes placées sous main de justice, c’est-à-dire de personnes incarcérées ou faisant l’objet d’une peine alternative à l’incarcération ou de mesures d’aménagement de peine (libération conditionnelle, placement à l’extérieur, semi-liberté, sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général...).
A partir de là, il est possible de saisir les enjeux de la culture ou plutôt de l’action culturelle en milieu pénitentiaire. C’est l’étude d’un public bien particulier, constitué de « personnes condamnées incarcérées (milieu fermé) ou non (milieu ouvert) » [3]. Il n’existe pas à proprement parler de littérature spécifique à l’action et au développement culturels en milieu pénitentiaire. Les informations et les données se glanent au fil des lectures. Les témoignages apportent de même un éclairage riche sur la question. Que cela soit dans les murs, en détention, ou à l’extérieur pour les probationnaires, la réflexion sur le développement culturel continue à avancer depuis une vingtaine d’années.
Cette notion de public est très importante. Elle est garante de l’existence de la culture et de l’art en général. Sans regard extérieur, une oeuvre n’est pas. Inversement, la culture peut être une passerelle qui emmène la personne condamnée à une possible réinsertion dans la société. Dans un contexte aussi fort que celui de l’incarcération, la culture réintroduit un peu de liberté. En accédant à la culture, l’individu « puni » recouvre un droit : celui d’exister. Ce constat suffit à lui seul à poser la question fondamentale du rôle de l’action culturelle en milieu pénitentiaire, de sa valeur et de son nécessaire développement.

Méthodologie
La méthode suivie dans ce mémoire est une approche bibliographique du sujet, doublée d’une approche de terrain lors d’un stage de trois mois au sein du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (ou Spip) de Côte-d’Or. A cette occasion, des rencontres avec divers acteurs culturels ou pénitentiaires, avec des détenus également, ont pu étayer et élargir le propos.
Lorsque l’on traite d’un sujet comme celui-ci, il est difficile de rester objectif tant cela suscite à la fois fascination et répulsion. La prison, objet de tous les fantasmes, ne laisse jamais indifférent et il faut faire la part des choses entre la réalité et ses représentations. Il n’est pas possible de prétendre à une pleine impartialité, car quoi qu’il en soit, la prison est un milieu qui touche profondément et qui interroge. Quand on décide d’évoluer dans ce milieu il est important de rester neutre mais pas indifférent. Il faut alors s’efforcer de se tenir le plus possible loin de toute forme de militantisme et de toute prise de position déplacée, et essayer d’être un observateur à la fois attentif et discret lors des nombreux passages dans un établissement pénitentiaire.

Approches
Comment aborder les questions complexes des actions culturelles en milieu pénitentiaire sans avoir au préalable une bonne connaissance de cette institution réputée opaque ? Il est indispensable de prendre le temps d’une première partie pour se familiariser avec le système pénitentiaire et l’organisation de la détention aujourd’hui, en France. Ce travail ne vise ni l’exhaustivité d’un état des lieux ni la thèse sociologique ; aussi ne prétend-il donner à voir toute l’organisation de l’Administration pénitentiaire. Il s’agit seulement de s’approprier ce contexte très fort et prégnant pour mieux aborder la question du « public ».
Au vu de ces éléments, nous consacrerons ensuite la seconde partie à l’étude plus minutieuse de l’action et du développement culturels de la Direction régionale des services pénitentiaires (ou DRSP) de Dijon, et plus particulièrement au sein du Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Côte-d’Or afin de saisir de manière très concrète les enjeux de la culture dans ce milieu et de voir comment le public pénitentiaire se saisit
de cette offre.

Notes:

[1Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation, Les actions culturelles et artistiques en milieu pénitentiaire. Guide pratique, (Paris : FFCB, 2004)

[2Par souci de distinction entre les citations des personnes interrogées lors de ma période de stage et celles des auteurs, le choix a été fait de présenter les premières comme des citations hors texte, dès qu’elles excèdent quelques mots, alors que les secondes sont insérées dans le corps du texte

[3Ministère de la Justice, Les 200 mots-clefs de la Justice, (Paris, 2005)