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Mise en ligne : 27 février 2006

Dernière modification : 2 mars 2006

Texte de l'article :

INTRODUCTION

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la politique pénale dans notre pays est caractérisée par un mouvement de balancier qui la déporte tantôt sur le versant sécuritaire et répressif, tantôt sur celui de l’amendement et de la réinsertion.

Il est de fait que certaines tentatives de réforme engagées en la matière résistent mal aux turbulences de la conjoncture médiatique et aux échéances politiques. Qu’un crime odieux soit perpétré, qu’une évasion survienne, qu’un suspect au passé chargé soit relaxé, cela suffit à réveiller les vieux démons du populisme pénal, pour passer du droit à la volonté de punir, de la peine au châtiment.

Nombreux sont les rapports parlementaires ou d’instances nationales et internationales de défense des droits de l’homme, mais aussi les témoignages de professionnels, magistrats, médecins, sociologues, qui dénoncent le durcissement du système pénal français, l’entassement carcéral, la persistance de conditions de détention dégradées, la faiblesse chronique des dispositifs de réinsertion sociale et professionnelle des détenus.

La crise de notre système pénal témoigne d’une crise plus profonde encore qui est celle de la société toute entière et qui résulte de l’incapacité politique à faire face aux enjeux de l’égale dignité de tous et du progrès économique et social pour tous. La prison dans la plupart des cas n’est en effet que le dernier maillon d’une chaîne qui, d’échecs scolaires en précarités sociales, d’exclusions en discriminations, de l’école aux quartiers, du logement à l’emploi, peut mener peu à peu aux illégalismes, à la délinquance, parfois au crime. Un examen attentif des caractéristiques de la population carcérale et de la nature des infractions commises le corrobore.

Il en résulte notamment des situations chroniques de surpeuplement, indignes de la République, en particulier dans les maisons d’arrêt, qui soulèvent la réprobation tant dans notre pays qu’à l’extérieur. Cette inflation carcérale est génératrice de promiscuité, de tensions et de violences et amène les personnes détenues à subir des conditions de vie et d’hygiène dégradées, et d’autant plus dégradées que le parc pénitentiaire lui-même est vétuste et inadapté.

En outre, force est de constater que la pratique de la détention provisoire concourt pour une large part à ce phénomène d’encombrement des prisons ; au-delà même des drames humains que certains évènements comme le procès d’Outreau ont mis en lumière, elle amène en effet, de manière plus cruciale, à s’interroger sur le bien fondé d’une mesure qui impose à la personne prévenue l’exécution d’une peine qui n’a pas été prononcée.

Plus largement, face à cette situation d’inflation carcérale, deux approches tendent à s’opposer : l’une qui consiste à accompagner le phénomène par l’augmentation de la capacité d’« accueil » du parc pénitentiaire, l’autre qui vise en amont à recourir de manière plus importante à des peines alternatives à l’incarcération et, en aval, à des mesures favorisant le retour à la société, et le ré-apprentissage de la vie en milieu ordinaire, notamment en fin de peine.

Par ailleurs, la période de détention, qui correspond, il convient de le rappeler, à une peine privative de la liberté d’aller et de venir, doit être non seulement celle de la punition, mais aussi celle de la reconstruction. En effet, la plupart, des personnes détenues, y compris celles condamnées à de très longues peines, sont appelées à recouvrer la liberté. Dès lors, c’est cette perspective de réinsertion sociale et professionnelle, véritable exigence au regard de la démocratie et de la lutte contre la récidive, qui doit guider les politiques pénitentiaires, autant au moins que les préoccupations d’ordre sécuritaire liées à la garde et à la surveillance des détenus.

Cela passe évidemment par la modernisation et l’humanisation du système carcéral de notre pays, ainsi que par la diversification des structures, notamment en ce qui concerne l’action sanitaire et la prévention en milieu carcéral, la prise en charge des détenus malades, l’accueil et l’accompagnement des mineurs et les structures orientées vers la réinsertion.

Les personnels de l’administration pénitentiaire, notamment les personnels de surveillance et les personnels sociaux, jouent un rôle clé auprès des personnes détenues. Ils exercent un métier difficile et exigeant, qui appelle à une réflexion sur leurs conditions de travail et leurs effectifs, sur la qualité de leur formation ainsi que sur la clarification de leurs missions.

Au-delà, l’objectif de réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues, doit s’attacher à satisfaire un certain nombre d’exigences prioritaires : il en va ainsi du maintien des liens familiaux qui permettent aux personnes détenues de retrouver ou de perpétuer des valeurs et des repères, notamment affectifs, forts et structurants.

Il en va ainsi également de tout ce qui peut concourir au développement physique, intellectuel et culturel, enfin spirituel, des personnes détenues. En particulier, l’importance du phénomène de l’illettrisme en milieu carcéral renvoie à la nécessité de consolider les actions entreprises en ce domaine. Sur l’ensemble de ces champs, il faut rendre hommage aux associations qui déploient des trésors d’efforts et de dévouement, mais il importe surtout de reconnaître leur action, souvent irremplaçable, en leur accordant les moyens financiers dont elles ont besoin pour la mener à bien.

Cela implique aussi d’agir contre l’indigence et le dénuement qui frappent un nombre important de détenus, leur infligent des conditions de vie dégradantes et les rendent particulièrement vulnérables vis-à-vis de leurs co-détenus.

Enfin, droit au travail et droit du travail en milieu carcéral constituent, avec la formation professionnelle, des questions centrales dans les processus de réinsertion sociale et professionnelle des personnes détenues. La suppression du travail obligatoire en 1987 fut sans aucun doute une bonne chose, mais elle ne s’est accompagnée ni d’une amélioration de l’offre de travail, ni d’une réelle évolution du statut et des conditions de rémunération du détenu au travail. Le champ du souhaitable et même du possible est étendu dans ce domaine, dès lors que l’on accepte, non comme un principe abstrait mais comme une réalité, que « la peine, c’est la détention et pas plus que la détention » et que le détenu au travail peut avoir des droits.

Faire que la détention ne soit pas un temps inutile, un temps vide et permette à la personne détenue de se reconstruire et, à sa sortie, de s’assumer comme élément solidaire de la communauté des hommes et des femmes devrait être l’ambition de toute politique pénale.

Cependant, bien qu’ayant purgé sa peine, la personne détenue, une fois libérée, n’en a fini ni avec son passé ni avec les difficultés. Souvent, faute d’un aménagement de peine permettant d’assurer la transition entre la détention et le milieu ordinaire, l’ex-détenu libéré dans le cadre d’une sortie sèche se retrouve seul, parfois désorienté, sans ressource, sans logement, sans perspective de travail ; toutes les conditions sont alors réunies pour qu’il récidive.

C’est pourquoi il importe de considérer le moment de la sortie comme une période décisive pendant laquelle tout peut très vite basculer dans un sens, celui de la réinsertion, ou dans l’autre, celui de la récidive, qui est toujours un échec pour la société et un malheur pour celui qui y succombe.